
Les craintes se multiplient à l'OCDE. La cheffe économiste de l'institution internationale Laurence Boone a tiré la sonnette d'alarme ce lundi 4 janvier dans un entretien accordé au Financial Times. "L'impact économique de la pandémie de coronavirus devrait modifier le comportement des gouvernements en matière de dépenses publiques et de dette" a mis en garde l'économiste.
Depuis plusieurs mois, la crise a ravivé les débats sur la dette et les déficits chez les économistes et les politiques. Si certains à l'image de Bruno Le Maire ou d'autres membres du gouvernement ont déjà affirmé que le remboursement de la dette Covid devait être "une priorité", d'autres estiment que l'ampleur de la crise et la persistance des taux bas devrait amener les autorités publiques à repenser leurs objectifs. L'OCDE qui est restée pendant longtemps le temple des réformes libérales et de l'orthodoxie budgétaire (réduction de la dépense publique, ouverture des marchés, privatisations, excédents budgétaires) semble revoir ses positions dans un contexte de récession historique.
Les risques de l'austérité
L'économiste qui siège au sein des bureaux de l'OCDE à Paris alerte notamment sur les risques de l'austérité. "L'erreur que nous avons faite en 2009 n'était pas un manque de stimulus durant la récession...l'erreur est venue plus tard en 2010, 2011 et après et cela était vrai des deux côtés de l'Atlantique "dit-elle. "La première leçon est d'être certain que les gouvernements ne vont pas réduire la dépense publique dans les années suivant la récession", poursuit-elle.
A l'époque, le retour précipité aux règles budgétaires des traités européens et les cures d'austérité avaient entraîné la zone euro dans une nouvelle récession, aggravant les écarts au sein de l'Union monétaire. Pour Laurence Boone, le spectre d'une colère sociale n'est pas très loin. "Le public se révolterait contre une nouvelle cure d'austérité ou une hausse des taxes si les gouvernements cherchaient à revenir trop rapidement à des niveaux de dette et de déficit antérieurs à la pandémie". Au printemps 2020, les institutions européennes avaient décidé de suspendre les règles budgétaires européennes sans vraiment susciter de débats. Elle appelle les Etats à poursuivre l'usage de leur outil fiscal -"haut niveau de dépenses publiques et taxes faibles"- pour aider les économies à se redresser. Surtout, la plupart des grandes banques centrales devraient maintenir leur taux d'intérêt très bas pendant encore longtemps.
La crise accélère les inégalités
Si l'économie française devrait se relever de la crise d'ici à 2022, la situation sociale du pays sera elle "pire" qu'avant la pandémie, avec davantage d'inégalités, a alerté à la mi-décembre Laurence Boone lors d'une audition devant la commission des finances de l'Assemblée nationale. "Quand on va se retrouver mi-2022 dans la situation (économique) de 2019, on va se retrouver dans une situation qui est en réalité pire en terme de société, puisqu'on va avoir creusé des inégalités", a-t-elle affirmé.
"On n'a jamais vu une crise aussi inégalitaire: non seulement le Covid affecte les personnes qui vivent dans de mauvaises conditions, qui font des métiers difficiles, qui doivent prendre les transports en commun, mais les secteurs qui sont touchés le plus, ce sont ceux qui concentrent le plus de jeunes, de moins qualifiés, et de contrats précaires", a-t-elle énuméré.
D'autant que, de l'autre côté de l'échelle sociale, la crise n'a pas empêché les ménages les plus aisés de continuer de s'enrichir, notamment ceux détenant un patrimoine financier et qui ont bénéficié du dynamisme des marchés boursiers, abreuvés de liquidités par les banques centrales. Cette "situation sociale (...) pire qu'en 2019" inquiète la cheffe économiste de l'OCDE, car avant la crise, la France était en croissance "mais avait aussi des 'gilets jaunes' dans la rue".
Rappelant que la France fait partie des mauvais élèves de l'OCDE en ce qui concerne l'éducation des jeunes enfants, elle craint aussi les perturbations du système éducatif engendrées par l'épidémie. Comme ailleurs dans le monde, les écoles, collèges, lycées et les universités françaises ont été fermés plusieurs mois, et si les premiers ont rouvert progressivement depuis la rentrée de septembre, les universités n'ont toujours pas le droit d'accueillir tous leurs étudiants. Cette situation risque d'accentuer les inégalités d'accès à l'éducation et à la formation, selon Mme Boone.
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