S'endetter, oui, mais pour faire quoi ?

OPINION. A la suite de Keynes, voilà des années que j'en parle et que j'en détaille les mécanismes. A présent, la réalité a rattrapé les économistes «mainstream» qui reconnaissent à regrets la nécessité absolue pour les Etats de creuser leurs dettes dans le contexte actuel de récession due à la crise sanitaire. Par Michel Santi, économiste (*).
(Crédits : DR)

Si les responsables aux manettes se sont résignés à creuser les déficits publics, une question au moins théorique s'impose : jusqu'à quel niveau un Etat peut-il s'endetter ? A dire vrai, nos nations occidentales n'ont pas de quoi s'inquiéter dès lors qu'elles se réfèrent à un grand pays industrialisé, moderne, à l'économie intégrée et amplement tournée vers la globalisation comme le Japon dont la dette publique atteignait 155% du PIB... avant la pandémie. Il convient, cependant, d'être extrêmement attentif car une dette publique - même nettement inférieure à celle du Japon - deviendrait ingérable voire catastrophique dès lors que la charge de cette dette s'alourdirait si la configuration des taux d'intérêts venait à changer. Certes, la stagnation séculaire (largement expliquée dans nombre de mes analyses précédentes) que subit notre monde ne laisse-t-elle pas prévoir un bouleversement à court terme du contexte actuel de taux proches du zéro, mais il serait irresponsable pour qui est à la tête d'un gouvernement d'ignorer ce cas de figure.

Une opportunité unique

Il y a déjà près d'un siècle, celui que nombre de nos analystes, de nos économistes et de nos chefs d'Etat ont ridiculisé - à savoir John Maynard Keynes - écrivait une lettre ouverte le 31 décembre 1933 au Président Franklin D. Roosevelt publiée dans le New York Times où il expliquait que des transferts d'argent ou des réductions d'impôts n'ont quasiment aucun impact positif sur l'économie. La précieuse reflation exige en effet que les dettes contractées par les Etats soient utilisées à bon escient et qu'elles profitent au plus grand nombre. L'objectif ultime n'est donc pas tant de creuser les déficits publics que de gérer cette manne empruntée dans et pour l'intérêt général. Dans l'hypothèse où les taux d'intérêts reprendraient la verticale, rien ne saurait être reproché à des responsables publics qui ont alourdi la dette publique s'ils ont judicieusement investi pour le pays et pour les citoyens.

En cette fin d'année 2020, la stabilisation des économies passe désormais pas un interventionnisme accru de l'Etat dans la dépense publique et dans la tentative de redémarrage de nos économies. Dans notre malchance sanitaire, le niveau mondial des taux d'intérêts représente quelque part une opportunité unique, et probablement la seule chance de traverser sans trop de dégâts cette crise inouïe. Pour autant, une prise de conscience cruciale s'impose: la qualité des endettements compte bien plus que leur quantité.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier «Fauteuil 37» préfacé par Edgar Morin.
Sa page Facebook et son fil Twitter.

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