Qui est Kamala Harris, première vice-présidente de l'histoire américaine ?

PORTRAIT. La colistière de Joe Biden a bénéficié d'une ascension politique fulgurante après un solide bilan comme procureur de San Francisco, puis de la Californie. Comme Dick Cheney en son temps, elle pourrait bien s'avérer une vice-présidente d'influence.
(Crédits : ERIC THAYER)

« Si je suis la première femme à occuper ce poste, je ne serai pas la dernière. Car chaque petite fille regardant la télévision ce soir sait que dans ce pays, tout est possible. » C'est ainsi que Kamala Harris a conclu son discours samedi soir, avant de laisser l'estrade à Joe Biden, au cours de la double allocution que les deux candidats démocrates ont prononcée suite à la victoire de leur ticket lors de la présidentielle américaine. Avec l'élection de Joe Biden à la fonction suprême, sa colistière devient la première femme de l'histoire à occuper le poste de vice-présidente.

Trois femmes avaient auparavant figuré sur un ticket présidentiel, sans jamais remporter l'élection : Geraldine Ferraro, colistière du démocrate Walter Mondale, vaincu par Ronald Reagan en 1984 ; Sarah Palin, colistière du républicain John McCain, vaincu par Obama en 2008 ; et, enfin, Hillary Clinton, candidate démocrate battue par Donald Trump en 2016. L'accession de Kamala Harris à la vice-présidence des États-Unis est d'autant plus historique qu'elle est également membre des communautés asio-américaine et afro-américaine.

Une enfance marquée par la contre-culture californienne

Elle est en effet née à Oakland, dans la baie de San Francisco, en 1964, d'un père jamaïcain et d'une mère immigrée indienne. Son prénom, qui signifie « fleur de lotus » en sanskrit et fait référence à une divinité hindoue, témoigne directement de ses origines maternelles. Dans l'Amérique des années 1960, en plein bouillonnement culturel, ses deux parents sont des activistes convaincus, qui l'emmènent régulièrement aux marches données en soutien au Mouvement des Droits civiques.

Kamala Harris passe ses jeunes années à Berkeley, juste à côté d'Oakland, une ville étudiante alors en plein bouillonnement culturel et au cœur de l'activisme politique américain. L'université de Berkeley constitue un terreau particulièrement fertile pour la contre-culture et la gauche américaine. D'importantes manifestations contre la guerre du Vietnam y éclatent en 1965, et le poète Beat Allen Ginsberg, compagnon de route de Jack Kerouac et militant communiste, vient régulièrement y donner des lectures. En 1966, le mouvement des Black Panthers est lancé à Oakland pour protester contre les injustices visant la communauté afro-américaine.

Cette période a profondément marqué Kamala Harris, qui dans ses discours fait souvent référence aux manifestations politiques dans lesquelles l'emmenaient ses parents. En janvier 2019, c'est à Oakland qu'elle choisit d'annoncer sa candidature à l'investiture démocrate, rassemblant une foule compacte de 20 000 personnes. Les habitants de la région de la Baie considèrent la nouvelle vice-présidente comme l'une des leurs. Son accession à la vice-présidence a ainsi été saluée par de nombreuses personnalités politiques locales.

« La scène à laquelle nous allons assister dans deux mois, celle d'une femme noire et fille d'immigrés, prêtant serment pour la vice-présidence du pays, aura pour toujours un profond impact sur les femmes et la communauté noire. C'est absolument incroyable », s'est réjoui London Breed, maire de San Francisco. « Fille d'Oakland, tu nous rends tous très fiers, on verse des larmes de joie partout dans la ville ! » a pour sa part déclaré Libby Schaaf, maire d'Oakland, sur Twitter, tandis que Gavin Newsom, gouverneur de Californie et ancien maire de San Francisco, félicitait également sa « chère amie » sur les réseaux sociaux.

Carrière dans la justice

Passée sa jeunesse californienne, Kamala Harris part étudier les sciences politiques et l'économie à l'Université Howard, située dans la capitale, avant de rentrer au bercail pour suivre des études juridiques à l'École de droit Hastings de l'université de Californie, à San Francisco. Diplômée en 1989, elle passe le barreau dans la foulée et commence à travailler en tant qu'adjointe au procureur de district du comté d'Alameda, à l'est de la baie de San Francisco.

En 1994, le président de l'Assemblée de l'État de Californie et futur maire de San Francisco, Willie Brown, lui confie des charges hautement rétribuées à la cour d'appel de l'assurance chômage et à la commission de l'assurance médicale. Promotion qui lui sera reprochée par la suite, Kamala Harris ayant eu à cette époque une relation avec Willie Brown, ce qui fait peser des soupçons de favoritisme sur sa nomination. D'autant que le mandat de Willie Brown à San Francisco est par la suite entaché par des affaires de corruption.

"Back on track", sa loi anti-récidive

Cela n'empêche pas Kamala Harris d'être élue procureur de district de San Francisco en 2003, mandat qu'elle occupe de 2004 à 2010, devenant la première femme à occuper un tel poste en Californie. Dès sa prise de fonction, elle doit faire face à une première affaire difficile, lorsque Isaac Espinoza, un policier de la municipalité, est assassiné par David Hill, membre d'un gang local. Opposée à la peine de mort, en vigueur dans le Golden State, mais qu'elle avait promis de ne jamais appliquer lors de sa campagne, Kamala Harris tient sa promesse et choisit de ne pas requérir celle-ci contre David Hill, qui est finalement condamné à la prison à perpétuité.

Sa décision lui vaut des critiques de plusieurs membres de son propre parti, dont le maire d'Oakland, Jerry Brown, et le procureur général de Californie, Bill Lockyer. La sénatrice de l'État, Dianne Feinstein, qui avait appuyé la campagne de Kamala Harris pour le poste de procureur de district de San Francisco, déclare même à la presse qu'elle ne l'aurait pas soutenue si elle avait su qu'elle prendrait une telle décision. Mais cette affaire montre également qu'elle sait tenir ses engagements politiques, lui vaut des galons progressistes et sera portée à son crédit lors de sa future carrière politique.

C'est également à San Francisco que Kamala Harris met en place, en 2005, le programme « Back on track », qui vise à réduire la récidive, dans un État où la surpopulation carcérale est endémique. Ciblant des individus condamnés pour des actes non violents, principalement en lien avec le trafic de drogue, le programme leur propose de suivre une formation pour acquérir des compétences professionnelles et se préparer à décrocher un emploi, comme alternative à la prison. Il permet de considérablement réduire le taux de récidive, qui tombe à 10% pour ceux qui finissent le programme, contre 53% en moyenne pour les trafiquants de drogue dans le Golden State, et sert d'inspirations pour d'autres programmes mis en place dans tout le pays.

Si le succès de Back on track est porté au crédit de Kamala Harris, le programme lui attire également des critiques de la part de l'aile gauche du parti démocrate lors de sa candidature à l'investiture du parti pour l'élection présidentielle de 2020, notamment dans son fief de San Francisco. La Californie a en effet massivement voté pour la légalisation en 2016, et l'aile gauche du parti démocrate est, tout comme 60% des Américains, largement favorable à une légalisation à l'échelle fédérale. Or, nombre des personnes ayant suivi le programme Back on track avaient été arrêtées pour trafic de cannabis, ce qui, couplé au fait que Kamala Harris a longtemps pris position contre la légalisation, avant de changer d'avis en 2017, lui a valu d'être accusée d'avoir persécuté les consommateurs de cannabis et de s'être montrée très conservatrice sur ce sujet.

Procureur général de Californie

En 2010, la carrière de Kamala Harris effectue toutefois un nouveau bond lorsqu'elle est élue procureur général de Californie, devenant la première femme et la première personne issue de la communauté afro-américaine à occuper ce poste. Dans le contexte de la crise des subprimes, elle commence par négocier un accord avec plusieurs grandes banques américaines et obtient un total de 18 milliards de dollars de réduction de dette pour les propriétaires californiens.

Son mandat est marqué par plusieurs actions progressistes, dont un refus de défendre la Proposition 8, un projet de loi de 2008 issu d'un référendum d'initiative populaire visant à interdire le mariage homosexuel. Un flou juridique règne alors en Californie sur cette question, permettant à la mairie de San Francisco de marier des couples homosexuels depuis 2004, ce qui génère un important buzz médiatique. « J'ai refusé de défendre la Proposition 8 car elle enfreint la Constitution », déclare Kamala Harris en 2013, alors que le cas est porté devant la Cour Suprême. « La Cour Suprême a décrit le mariage comme un droit fondamental à 14 reprises depuis 1888. Le temps est venu d'accorder ce droit à tous les citoyens. » L'autorité juridique se range derrière l'avis de Kamala Harris et décrète la Proposition 8 inconstitutionnelle, ce qui entraîne la légalisation de facto du mariage homosexuel dans le Golden State. Celui-ci est finalement légalisé en 2015 à l'échelon fédéral par l'administration Obama.

Kamala Harris s'efforce également de réduire les violences policières, en montant des enquêtes sur ce point, instaurant davantage de formations pour les forces de l'ordre, imposant l'usage de caméras-piétons, et rendant publiques les données concernant les décès ayant lieu au cours d'arrestations ou lors de détentions. En revanche, elle décide de ne pas s'associer à une initiative de plusieurs États américains, qui tentent de faire retirer le cannabis de la liste fédérale des substances les plus dangereuses tenue par la Drug Enforcement Administration (DEA).

Sénatrice et candidate

La carrière politique de Kamala Harris décolle en 2016 avec son élection au poste de sénatrice de Californie. Elle devient ainsi la deuxième femme afro-américaine de l'histoire à entrer au Sénat après Carol Moseley-Braun, sénatrice de l'Illinois de 1993 à 1999. Elle sert notamment au sein du United States Senate Select Committee on Intelligence, qui mène l'enquête sur une potentielle ingérence russe lors de l'élection de 2016, et du Comité judiciaire, qui réalise durant son mandat les auditions de deux juges choisis par Donald Trump pour siéger à la Cour Suprême : Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh. Elle se fait remarquer pour des questions pertinentes et pointues posées à Jeff Session, ex-procureur général de l'administration Trump, lors de l'enquête russe, et à Brett Kavanaugh lors de son audition.

En 2019, surfant sur la popularité dont elle jouit au sein du parti démocrate et la couverture médiatique dont elle a bénéficié au sein des deux commissions susnommées, elle annonce sa candidature à l'investiture du parti pour l'élection présidentielle de 2020, sortant dans la foulée son autobiographie, The Truths We Hold: An American Journey et un livre pour enfants, Superheroes Are Everywhere.

Elle apparaît alors comme l'un des concurrents les plus sérieux à Joe Biden, donné favori pour l'investiture démocrate. Lors du premier débat télévisé entre les candidats, organisé le 28 juin 2019, elle met celui-ci en difficulté en l'accusant de s'être opposé à une politique visant à accélérer la déségrégation des écoles dans les années 1970, alors qu'il était sénateur du Delaware. Suite à sa performance lors du débat, certains sondages la créditent de 15% d'intentions de vote, ce qui en fait la seconde favorite de la primaire, juste derrière Biden.

Mais lors des mois qui suivent, elle peine à se faire une place parmi les candidats, entre un camp progressiste incarné par la sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren et Bernie Sanders, sénateur du Vermont, et un positionnement plus centriste incarné par Joe Biden. Son passé de procureur général, sa lutte contre le trafic de drogue et sa longue opposition à la légalisation du cannabis lui valent l'hostilité de la gauche du parti, tandis que son soutien à des politiques comme Medicare for All la coupent des centristes, par ailleurs acquis à Biden.

Le fait qu'elle peine à adopter un positionnement clair sur certains sujets (elle se prononce ainsi dans un premier temps en faveur de l'abolition des assurances santé privées, avant de changer d'avis, pour revenir ensuite sur sa position initiale) achève de la couler dans les sondages, qui en décembre 2019 ne la créditent plus que de 3% des intentions de vote. Elle décide alors de jeter l'éponge et se rallie ensuite derrière Biden, qui la choisit comme colistière en août 2020.

Une vice-présidente d'influence ?

Comme l'ont montré le ton qu'il a choisi d'adopter durant la campagne et son discours d'inauguration, Joe Biden entend être un président rassembleur, une figure tutélaire susceptible d'apaiser la société américaine après quatre années de présidence Trump marquées par une polarisation croissante de la vie politique. Dans cette configuration, Kamala Harris pourrait occuper un rôle plus important que celui d'ordinaire dévolu au vice-président, celle-ci se chargeant de promouvoir les réformes voulues par le parti démocrate (expansion de la couverture médicale, développement des énergies vertes, lutte contre les inégalités économiques et raciales...) tandis que le président s'efforce d'unir la nation derrière lui.

Comme Dick Cheney sous George W. Bush, Kamala Harris pourrait ainsi devenir une présidente d'influence. D'autant qu'étant le président le plus âgé à entrer à la Maison-Blanche, Biden a déjà affirmé qu'il pourrait ne pas se représenter en 2024, ce qui ouvrirait la voie à une candidature de sa colistière.

Mais l'accession de Kamala Harris à la vice-présidence marque aussi un retour en force de la Californie à l'exécutif. Depuis Ronald Reagan, aucun Californien n'était entré à la Maison-Blanche sur un ticket présidentiel. Le Golden State a cependant bien changé depuis la présidence Reagan : jadis plutôt républicain, celui-ci est désormais devenu un bastion démocrate, habitué à adopter des politiques progressistes ensuite reprises à l'échelon fédéral, des normes environnementales au mariage homosexuel. Or, il est de tradition que les vice-présidents introduisent du personnel de leur État d'origine à la Maison Blanche, pour les assister et travailler au sein des diverses agences gouvernementales : de nombreux Californiens pourraient donc bientôt se retrouver à des postes d'influence au sein de l'exécutif.

Le fait que Kamala Harris soit originaire de la région de la Baie, où se trouve la Silicon Valley, et ait moins attaqué l'industrie des nouvelles technologies que les autres candidats démocrates durant la primaire, lui vaut également de nombreuses sympathies au sein de la Silicon Valley. Son entrée à la Maison-Blanche, associée au fait que Biden ait lui-même servi comme vice-président d'une administration Obama plutôt technophile, pourrait signer un timide retour en grâce de l'industrie, malmenée sous la présidence Trump. Si beaucoup d'incertitudes planent encore sur la forme que prendra la présidence Biden, il est certain que Kamala Harris n'a pas fini de faire parler d'elle.




Commentaires 3
à écrit le 08/01/2021 à 19:53
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Kamala Harris, la soi disant future vice présidente n'a toujours pas démissionné de son poste de sénateur pour se préparer au poste de vis-présidente. Et qui plus est, elle à pour objectif (par les efforts qu'elle déploie en ce moment) de faire desti...

à écrit le 16/11/2020 à 19:35
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Biden a été élu président des usa ??? Vous êtes sûrs ?

à écrit le 16/11/2020 à 11:14
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Elle n'est que la future "présidente" désigné par l’establishment!

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