"L'urgence sanitaire et sociale va obliger Biden à agir rapidement"

ENTRETIEN. Plan de relance, fiscalité, politique environnementale, guerre commerciale... l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche va changer radicalement le visage de la première puissance mondiale pour les quatre prochaines années. Pour le directeur de la recherche macroéconomique chez Euler Hermes, Alexis Garatti, la nouvelle politique environnementale annoncée par le nouveau président est "une véritable politique industrielle pour les États-Unis".
Grégoire Normand
Alexis Garatti, directeur de la recherche macroéconomique chez Euler Hermes.
Alexis Garatti, directeur de la recherche macroéconomique chez Euler Hermes. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Que prévoit le plan de relance de Joe Biden annoncé comme un nouveau New Deal ?

ALEXIS GARATTI - Le plan  de relance de Biden prévoit une hausse du volume des dépenses budgétaires de l'ordre de 6,5 trillions de dollars à horizon 2030 par rapport à la trajectoire actuelle des dépenses. C'est une impulsion budgétaire très importante. Dans le contexte actuel d'aggravation de la situation sanitaire, un très large montant va devoir être dépensé au cours des deux premières années. On estime ce montant à 2,2 trillions de dollars. Sur la première partie de l'année 2021, beaucoup de dépenses à vocation sociale, comme des transferts sociaux et mécanismes de soutien aux ménages (chèques ou compléments aux allocations chômage) devraient augmenter. La seconde partie de l'année devrait être consacrée à la mise en place des infrastructures avec des objectifs de politique économique à plus long terme.

Ce plan représente-t-il un stimulus budgétaire à hauteur de la crise ?

L'administration actuelle a été très réactive avec un plan de soutien de 2,2 trillions de dollars en 2020. Il a permis à l'économie américaine de rebondir fortement au troisième trimestre de l'année 2020 avec une croissance supérieure à 30% en rythme annuel, et 7,2% en rythme trimestriel. Les Etats-Unis font actuellement face à une seconde vague qui va demander un nouvel effort de stabilisation. Ce nouvel effort ne va pas être aussi rapide que le dernier stimulus en raison de l'incapacité de la classe politique américaine à s'entendre au Congrès pour le vote de ce plan de relance. La nouvelle administration à partir de janvier va devoir prendre en main le coût économique que représente cette seconde vague. Joe Biden pourrait être amené à faire voter un plan de 2,2 trillions de dollars sur deux ans pour 2020 et 2021. Il serait suffisant pour absorber l'ampleur du choc.

Comment compte-t-il financer ce plan de relance ?

Son programme budgétaire prévoit une hausse des taxes de l'ordre de 3,6 trillions de dollars à l'horizon de 2030. Ces hausses de taxes vont concerner les catégories les plus favorisées et les entreprises avec une hausse de l'impôt sur les sociétés de 21% à 28%.

Au niveau des entreprises, le taux d'impôt sur les sociétés va-t-il retrouver le niveau de 2016 ?

Le taux de l'impôt sur les sociétés était à 35% en 2016. Il est descendu à 21% et remonterait à 28%. Cette hausse montre bien le caractère centriste de la politique fiscale de Joe Biden. Il ne veut pas  surpénaliser les entreprises américaines.

Joe Biden a annoncé plusieurs mesures en faveur de l'environnement. Son programme représente-t-il vraiment une rupture avec Donald Trump ?

La spécificité de son programme économique est l'accent porté sur la protection de l'environnement. Cette nouvelle politique environnementale est une véritable politique industrielle pour les Etats-Unis. Il ne va pas mettre en place les mesures portées par l'aile gauche du Parti démocrate. En revanche, il a prévu d'accroître les efforts sur les infrastructures respectueuses de l'environnement. Des mécanismes d'incitation, d'aides à la recherche et au développement ont été annoncées. Il prévoit également des mécanismes de soutien autour de ce qu'il appelle "la justice environnementale" pour réorienter la consommation des ménages vers des produits plus respectueux de l'environnement. Il y a un vrai programme de soutien à la transition énergétique qui pourrait être lancé auprès des industries les plus polluantes. Il veut engager un programme de protection des marchés américains. Derrière ces mesures, il y a une stratégie de barrières non-tarifaires liées au protectionnisme.

Dans quelle situation se trouve actuellement l'économie américaine ?

L'économie américaine a fait un rebond impressionnant au troisième trimestre de l'ordre de 30%. Ce rebond peut s'expliquer par la taille du stimulus et la mise en oeuvre rapide des mesures qui ont visé des acteurs réels de l'économie. C'est la première fois dans l'histoire économique des Etats-Unis qu'un stimulus arrive aussi massivement et rapidement en soutien à l'économie réelle.

Le problème actuellement est de voter un nouveau stimulus au Congrès alors que le nombre de contaminations augmente rapidement. Notre scénario principal est que le prochain pic de contagion pourrait arriver en janvier 2021. Ce qui signifie que des mesures restrictives pourraient encore s'appliquer jusqu'en janvier prochain.

Aux Etats-Unis, le déconfinement s'est fait de manière progressive mais le virus est tout de même de retour et la seconde vague va nécessiter le reconfinement d'un certain nombre d'activités. En moyenne, le niveau de sévérité du confinement pourrait être plus haut qu'en 2020. Ces nouvelles mesures de confinement vont entraîner une nouvelle contraction de l'activité pour l'économie américaine de l'ordre de 2,1% en rythme trimestriel au T4 2020. Le choc va être moindre qu'au printemps. En revanche, le stimulus ne va pas être de la même ampleur pour absorber ce choc macroéconomique. Il faudra attendre le premier trimestre 2021 et la mise en place de la nouvelle administration pour avoir une idée des nouvelles mesures de soutien. Ce retard à l'allumage face à la nouvelle vague devrait assombrir les capacités de rebond de l'économie américaine. L'urgence sanitaire et sociale va obliger Biden à agir rapidement et pourrait changer son agenda budgétaire. On pourrait assister à une accélération de la dépense sociale dans les mois à venir.

Quelle est la position de la Réserve fédérale pour les prochains mois ?

La FED a déjà exprimé sa capacité à intervenir rapidement dans un contexte hautement incertain. Avant la fin de l'année, on peut s'attendre à une reprise du programme de rachats de titres publics. Actuellement, le rythme de rachats permet à la taille du bilan de la FED de s'aplanir. La politique monétaire a réussi à stabiliser l'économie. La sévérité de la seconde vague n'a pas été anticipée aux Etats-Unis. Sur le plan monétaire, la FED va devoir réactiver une politique d'injection de liquidités beaucoup plus agressive. La taille du bilan de la FED pourrait s'accroître d'ici la fin de l'année.

Dans la guerre commerciale avec la Chine, quelle est la position de Joe Biden? 

Sous Trump, le niveau des tarifs douaniers appliqués sur les produits étrangers est passé de 3,5% à 7% en moyenne. Ce taux est monté à 8% au moment où les menaces sur la Chine s'aggravaient. Entre temps, les Etats-Unis ont trouvé un accord avec la Chine dans lequel elle s'est engagée à acheter des produits américains sur 10 ans. Actuellement, le taux moyen est d'environ 7%. Il ne devrait pas y avoir de retour en arrière avec l'arrivée de Biden à la Maison Blanche. La Chine n'a pas rempli ses objectifs d'achats en volume de produits américains conclus dans l'accord. La Chine va devoir accélérer le rythme d'achat des produits américains en 2021. Pour Biden, cela reste un instrument de pression sur la Chine.

Sur les normes phytosanitaires, les droits sur la propriété intellectuelle, l'accès aux marchés financiers, les Chinois ont fait des concessions importantes. Biden n'a aucun intérêt à durcir sa position et rétropédaler. Sur le plan commercial, Biden ne va non plus être tendre. Il y a un aspect "Buy america product" dans sa politique environnementale.

Sa politique environnementale ambitieuse va lui permettre de mettre en place des normes qui vont correspondre à une forme de protectionnisme non tarifaire. La grande différence avec Trump est que les relations se feront moins dans la confrontation. C'est le retour à une politique commerciale moins brutale par des barrières non tarifaires. La politique commerciale de Trump n'a pas été efficace dans la réduction des déficits courants. Cette hausse était inévitable à partir du moment où le président Trump a décidé de relancer l'activité alors que l'économie américaine était en situation de plein emploi. La surchauffe de l'économie a provoqué un surplus de demande qui a contribué à creuser le déficit américain. Le stimulus contracyclique mis en oeuvre en 2017 n'était pas adapté

> Retrouvez notre dossier spécial : Dossier Trump VS Biden: l'heure du choix

Grégoire Normand
Commentaires 4
à écrit le 31/12/2020 à 2:30
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C’est fini pour l’Amérique , une image figée dans le passé , un leader : Trump , Biden ou Obama du pareil au même , plus rien ne changera dorénavant ,par contre ce qui va changer : les points pivotants économiques , stratégiques , mondiaux, de nou...

à écrit le 12/11/2020 à 11:13
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ah, la croissance verte, il y a peu vous étiez traité d'utopiste irresponsable mais maintenant vous êtes la porte de sortie du système.... A VENDRE peinture verte pour un coût misérable, cette peinture tient sur toutes surfaces, plastiques, néonicoti...

à écrit le 09/11/2020 à 18:12
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C'est pas une histoire d'urgence, c'est une histoire de déclin. La crise actuelle est structurelle, et non conjoncturelle.

à écrit le 09/11/2020 à 9:15
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"l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche va changer radicalement le visage de la première puissance mondiale pour les quatre prochaines années" En générant des "comités de réflexions" sans rire ?! Le truc qui n'a jamais donné quoi que ce soit ...

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