Russie : une présidentielle sans opposition

Craignant que la popularité croissante de Boris Nadejdine ne vienne gâcher la fête, Vladimir Poutine a écarté le candidat pacifiste de l’élection qui se tiendra du 15 au 17 mars
Boris Nadejdine, investi par le parti Initiative civile, face à des journalistes le 31 janvier à Moscou.
Boris Nadejdine, investi par le parti Initiative civile, face à des journalistes le 31 janvier à Moscou. (Crédits : © VERA SAVINA/AFP)

La manœuvre n'a pas fonctionné comme prévu. Dans la logique du Kremlin, Boris Nadejdine, homme politique de 60 ans investi par le parti Initiative civile, était le candidat d'opposition libéral idéal pour l'élection présidentielle qui se tiendra en Russie du 15 au 17 mars. Peu connu du grand public, ce vétéran discret de la politique russe devait incarner le vernis démocratique du scrutin, sans faire de l'ombre au président sortant de 71 ans.

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Poutine veut atteindre 80% des voix

Bien que sa réélection ne fasse aucun doute, Vladimir Poutine, au pouvoir depuis près d'un quart de siècle, vise une victoire éclatante. Pour son cinquième mandat de six ans, le président sortant veut dépasser son score de 2018 (76,7 %) et atteindre les 80 %. « Un dirigeant doit être plus populaire en temps de guerre qu'en temps de paix. C'est très important pour la légitimité du pouvoir, sinon cela pourrait laisser penser que la guerre n'est pas aussi populaire que les autorités veulent le faire croire », analyse Ekaterina Schulmann, politologue et chercheuse non résidente au Carnegie Russia Eurasia Center, à Berlin.

Mais si la campagne de Boris Nadejdine, lancée à l'automne, a démarré doucement il y a un mois, sa collecte de 100.000 signatures nécessaires à la validation de sa participation a suscité une vague de popularité inattendue. Dans toutes les villes de Russie, des centaines de citoyens patientaient dans le froid glacial pour lui apporter leur soutien. Plusieurs figures de l'opposition en exil, notamment Maxim Katz et Mikhaïl Khodorkovski, ont également appelé à signer pour ce candidat pacifiste blâmant le président sortant et sa politique actuelle. « L'opération militaire spéciale est une erreur fatale de Vladimir Poutine », n'a cessé de répéter Boris Nadejdine, qui défend aussi la libération des prisonniers politiques comme l'opposant Alexeï Navalny et la baisse des dépenses militaires. Des prises de position particulièrement risquées dans le contexte de terrible répression que connaît le pays.

Nadejdine inquiétait

Dans un article du 26 janvier, une source proche de l'administration présidentielle, citée par Meduza, média russe indépendant en exil, affirmait que l'enthousiasme des électeurs autour de Boris Nadejdine était considéré comme « assez problématique » par le Kremlin. « Il est devenu évident que les gens sont attirés par la nouveauté, c'est un effet très désagréable », précisait cette source. C'est donc sans surprise que la commission électorale russe, chargée de l'organisation des scrutins en Russie, a écarté le candidat trublion jeudi. L'instance lui a reproché des irrégularités dans la collecte des signatures d'électeurs.

Si le résultat final, qui sera proclamé le 18 mars, est connu d'avance, la popularité de Boris Nadejdine a remis en question le fantasme de plébiscite absolu pour Vladimir Poutine.

« Dans les systèmes politiques étroitement contrôlés comme celui de la Russie, la légitimité du pouvoir dépend de l'expression, sinon d'un soutien massif, du moins d'un accord passif. Nous avons vu les longues files d'attente pour la collecte de signatures pour Boris Nadejdine, l'enthousiasme de ses partisans, l'ampleur de la demande pour un candidat alternatif », analyse Ekaterina Schulmann.

Pour son cinquième mandat de six ans, le président sortant veut dépasser son score de 2018 (76,7 %) et atteindre les 80 %

Davantage que la personnalité du candidat, ses positions contre la guerre en Ukraine et en faveur du changement en Russie ont répondu aux attentes insatisfaites d'une partie de la population. « La direction politique de l'administration présidentielle a sous-estimé l'ampleur de la demande sociétale de changement et d'alternative - une demande qui peut se cristalliser autour de presque toute personne qui s'avancerait et dirait qu'elle est différente de Poutine et qu'elle veut arrêter la guerre », souligne la politologue. La candidature d'une autre concurrente pacifiste, Ekaterina Dountsova, avait, elle aussi, connu un certain engouement fin 2023, avant qu'elle soit exclue de la course sans même pouvoir collecter de signatures. La femme politique indépendante de 40 ans avait alors apporté son soutien à Boris Nadejdine.


Que des candidats du système

Selon la liste définitive établie par la commission électorale, Vladimir Poutine n'aura donc face à lui que des candidats du système : Leonid Sloutski (Parti libéral-démocrate), Vladislav Davankov (parti du Nouveau Peuple) et Nikolaï Kharitonov (Parti communiste). De son côté, Boris Nadejdine a annoncé sa volonté de contester devant la Cour suprême la décision de la commission électorale de rejeter sa candidature. Dans un message sur Telegram, il a appelé ses soutiens à « ne pas abandonner », et déclare : « Il s'est passé quelque chose que beaucoup ne pouvaient pas imaginer : les citoyens ont senti la possibilité d'un changement en Russie. »

Pour l'heure, plusieurs organisations, notamment les équipes de Navalny et différents mouvements d'opposition en exil, soutiennent l'action « Midi contre Poutine », qui appelle les électeurs à se rendre tous ensemble aux bureaux de vote le 17 mars à midi pile pour démontrer l'ampleur de la contestation en Russie. « Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour changer le cours de l'histoire », déclare l'opposante Anastasia Shevchenko, exilée en Lituanie. Difficile de prédire le succès ou non de cette opération, mais la campagne présidentielle russe réserve peut-être encore quelques surprises.

Le pays malade de sa guerre

Envoyé spécial - France 2, 15 février - 21h10. (Reportage de Luc Lacroix)

Depuis des mois, des femmes de mobilisés demandent que leurs maris rentrent de la guerre. « J'ai compris que l'État allait exploiter nos gars et les jetterait comme une chose cassée », confie Masha en larmes. Dans un hôpital du Donbass, un soldat blessé de 24 ans, originaire d'une région pauvre de Sibérie, vient d'être amputé d'une jambe. Dans une petite ville près de Nijni Novgorod, un engagé volontaire, de retour en permission, a poignardé sa femme au printemps 2023. « Un homme équilibré et poli avant de partir au front », raconte un voisin... Envoyé spécial a parcouru 6 000 kilomètres à la rencontre des combattants qui mènent la guerre en Ukraine depuis deux ans : des témoignages inédits de soldats blessés et des paroles rares de familles. Une plongée intense dans la Russie actuelle, où les traumatismes et la violence rapportés de la guerre s'installent durablement.

Commentaire 1
à écrit le 11/02/2024 à 16:44
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Il est évident que Poutine ne partira pas à l'issue des élections. C'est un système autoritaire, ainsi, soit la mort soit le coup d'Etat peuvent changer quelque chose, mais pas le processus démocratique qui n'est qu'une façon de légitimer le pouvoir ...

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