« Notre jardin, c'est notre planète »  : le débat Estelle Brachlianoff (Veolia), Cécile Cabanis (Tikehau), Bertrand Badré (Blue Like an Orange)

Alors que le monde connaît un choc inédit depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, La Tribune a donné la parole aux grands décideurs de l'économie en direct des Rencontres d'Aix-en-Provence du 8 au 10 juillet. Que pensent les patrons des désordres économiques actuels ? Est-ce la fin de la mondialisation ? Comment faire face au retour de l'inflation qui fait remonter les taux d'intérêt et craindre des tensions sociales ? Comment mener dans le même temps les grandes transitions énergétique, écologique et économique ? Revivez ici la vidéo de l'entretien avec Estelle Brachlianoff, directrice générale de Veolia, Cécile Cabanis, directrice générale adjointe de Tikehau Capital et Bertrand Badré, fondateur de Blue Like an Orange Sustainable Capital, enregistré depuis notre studio installé au cœur du Davos provençal.
Philippe Mabille
(Crédits : DR)

Estelle Brachlianoff, directrice générale de Veolia

Il n'y a pas de contradiction entre les différents enjeux qu'on est en train de vivre. Avec la guerre en Ukraine on découvre qu'importer des carburants fossiles ce n'est pas bon pour la planète, ni pour notre souveraineté. Chez Veolia on croit à la transformation écologique. On a des solutions locales, renouvelables : créer du biogaz à des prix abordables dans les stations d'épuration, récupérer des matériaux précieux dans les déchets. On a la ressource, une population qui a envie que cela avance et c'est créateur d'emploi et de pouvoir d'achat et de retour sur les territoires.

En France, les restrictions d'eau arrivent de plus en plus tôt, on découvre que c'est un bien précieux. Mais là aussi, on a des solutions : plus de sobriété dans l'habitat, des technologies pour économiser l'eau dans les réseaux, éviter d'y perdre 1 litre sur 5 en mettant des capteurs digitaux pour repérer les fuites, mais aussi recycler les eaux usées. Moins de 0,1% de l'eau est recyclée en France, contre 15 % en Espagne, 90% en Israël...

Cécile Cabanis, directrice générale adjointe de Tikehau Capital

A moyen long terme, la crise en Ukraine converge avec les besoins de travailler le sujet de l'indépendance et de sécurité énergétique, mais sur le court terme il va y avoir du chaos. On doit parler de transformation environnementale, mais le problème, c'est qu'on s'est rajouté des objectifs climatiques sans avoir changé le logiciel des entreprises. On n'a pas changé la façon dont elles sont évaluées. La transformation n'est pas considérée comme un investissement. Investir dans la transformation reste un coût à court terme, qu'il faut mettre dans les comptes d'exploitation. Ce qui ne plaît pas aux actionnaires et oblige à augmenter les prix, parce qu'on n'a pas encore changé le modèle. Tant qu'on n'arrivera pas à déboguer le système de contraintes dans lequel on est pris, on va y aller lentement.

La sobriété est difficile à imposer sans régime autoritaire. Sur l'énergie on arrive à changer les modes de consommation, parce qu'on propose des solutions avec la voiture électrique. Sur la chaîne alimentaire, on n'arrive pas à le faire. La transition, il va falloir la faire sur la supply chain, en changeant le mode de production et de transport

Bertrand Badré, fondateur de Blue Like an Orange Sustainable Capital

Lors de la Cop 21, nous avions pris des engagements. Sept ans plus tard, on se rend compte qu'on n'a pas fait les efforts nécessaires et qu'il faut rentrer dans le dur. Ce qui veut dire renoncer à certaines choses, faire des choix, transformer les modes de production, de consommation, de financement. Avant même la guerre en Ukraine, on était pris d'un vertige. Depuis la guerre, il y a un vrai risque que les priorités se réorganisent. Tous les financiers ressortent leur calculette. Il faut tenir, ne pas caler, sinon on ne réinventera pas les accords climat. Il faut protéger le cadre qu'on a décidé, même s'il est imparfait, mais il faut être conscient que ce sera plus dur dans les trois années années qui viennent que lors des trois passées, car les forces adverses vont se déployer.

Nous sommes parmi les plus gros pollueurs, mais si on s'ajuste et que les autres ne suivent pas sur toute la planète, on ne réglera pas le problème. Avec Blue Like an Orange, on essaye d'investir et d'inclure. Il faut aider à faire la transition. Le système actuel n'empêche pas les choses bien, mais ne les valorise pas et ne dévalorise pas les choses mal. Si on changeait le système, on pourrait faire infiniment plus. Il faut commencer à faire changer les comportements, à tous les niveaux : normes comptables, gouvernance des entreprises... On a poussé le système jusqu'à ses limites environnementales et sociales, il faut réinventer quelque chose, c'est ce qui est en gestation. Et c'est difficile sans maître du monde pour nous dicter les règles.  Mais il ne faut pas faire du mauvais Voltaire, et se contenter de cultiver seulement son jardin, en cherchant à bien faire seulement chez soi. Notre jardin, c'est notre planète.

Philippe Mabille
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