C'est le premier champ de bataille de la campagne des élections européennes. Comme une traînée de poudre, la colère des agriculteurs du continent se propage en France, alors que le gouvernement de Gabriel Attal - où Marc Fesneau a été reconduit à l'Agriculture - prend ses marques. Multifactorielle et imprévisible, liée aux contraintes imposées par l'impératif climatique et le Green Deal européen, cette fronde relève aussi de la crise existentielle. Le chiffre est connu : en quarante ans, le nombre d'agriculteurs français a été divisé par quatre. Le mécontentement est d'autant plus surveillé par Matignon et l'Élysée qu'il ne s'appuie pas - pour l'instant - sur des revendications précises. Très remontée, la base syndicale mène la danse, notamment en Occitanie. Selon la présidente socialiste du conseil régional, Carole Delga, ce ras-le-bol généralisé illustre avant tout « la misère que connaissent nos campagnes ».
Autour d'Emmanuel Macron, l'effet tache d'huile du mouvement des Gilets jaunes, il y a cinq ans, a laissé un souvenir vivace. Dans sa conférence de presse du 16 janvier, le président de la République a mentionné le secteur agricole, promettant d'« accroître » son « accompagnement » dans les prochains mois. Vendredi, il a demandé aux préfets « d'aller dès ce weekend à la rencontre des agriculteurs et de leurs organisations représentatives ». Quant au ministre Marc Fesneau, dont le portefeuille inclut toujours la Souveraineté alimentaire, il s'est rendu hier dans le Cher. Derrière ce déplacement chez un éleveur laitier, il y a la volonté d'offrir de premières réponses sur le terrain, d'afficher une présence, de montrer que l'exécutif ne tarde pas à s'attaquer au sujet. Celui-ci opère néanmoins un premier repli stratégique : la présentation en Conseil des ministres du projet de loi sur le « renouvellement des générations en agriculture », initialement prévue le 24 janvier, est reportée au mois de mars, selon nos informations.
Au Rassemblement national, cela fait des mois qu'on surveille la température rurale. À l'instar des différents mouvements européens d'extrême droite, qui capitalisent sur le déclassement paysan, le parti de Jordan Bardella veut saisir la balle au bond pour marquer des points dans l'opinion en vue du scrutin du 9 juin. L'objectif stratégique, que nous résume le député RN Jean-Philippe Tanguy, est clair : « Il faut parler à la France des actifs pour abattre le mur des boomers. » L'électorat agricole est résiduel mais comporte une charge symbolique puissante. D'où l'offensive de ce week-end. Comme Marc Fesneau, le président du RN a effectué un déplacement thématique en Gironde, dans un élevage à Queyrac. Il s'est payé le luxe d'une intervention au 13 Heures de TF1, qui attire plusieurs millions de téléspectateurs. L'opération, dans les tuyaux depuis une dizaine de jours, a été coordonnée avec les députés du cru, Edwige Diaz et Grégoire de Fournas, référent du RN sur les sujets agricoles. « C'était une demande du cabinet de Jordan, explique le parlementaire du Médoc à La Tribune Dimanche. On n'a ni à organiser les manifestations, ni à souffler sur les braises. Il faut arrêter de confronter les agriculteurs au libre-échange, aux normes environnementales et à la feuille de route décroissante de la Commission européenne. »
Les semaines qui nous séparent du Salon de l'agriculture, qui ouvrira ses portes le 24 février, s'annoncent cruciales. On se toise les uns les autres. Nommé Premier ministre le 9 janvier, Gabriel Attal doit gérer sa première crise, nourrie par des phénomènes climatiques extrêmes comme la sécheresse ou les récentes inondations dans le Pas-de-Calais. Parti hier à la rencontre d'habitants du Rhône, le locataire de Matignon a déclaré qu'il fallait « garantir » que la profession puisse vivre de son travail et défendu la simplification des procédures administratives. Lundi, il recevra les représentants de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs, syndicats alliés du gouvernement. Du côté du RN, on a appris la leçon des Gilets jaunes, mouvement qui a apporté des dividendes électoraux aux nationalistes mais qui a aussi permis aux macronistes de s'afficher en « parti de l'ordre ». Et, ainsi, de réduire l'écart avec Jordan Bardella lors des européennes de 2019.
L'AGRICULTURE EN CHIFFRES 390 000 Nombre d'exploitations agricoles en France métropolitaine en 2020. Soit 20 % de moins en dix ans. 43 487 euros Revenu moyen brut des agriculteurs français selon la Commission européenne. La moyenne de l'UE est de 28 786 euros. 51,4 ans Âge moyen des dirigeants des exploitations. 3 % Recul du prix des produits agricoles à la production (IPPAP) entre 2022 et 2023.