Le couperet va tomber le 24 février, lors de l'ouverture du Salon international de l'Agriculture (SIA), prévu à Paris jusqu'au 3 mars. Si les causes de la colère des agriculteurs ne sont pas résolues avant cet événement hyper médiatisé, ils ne se contenteront pas des traditionnelles « photos (du président de la République et des ministres, ndlr) avec les vaches », a prévenu le président de la Fnsea, Arnaud Rousseau, lors des voeux à la presse du puissant syndicat agricole le 10 janvier.
« Les choses doivent se mettre en place d'ici là », a-t-il mis en garde.
La menace d'un Salon de l'agriculture chahuté avait déjà été proférée par la Fnsea et son « petit frère », le syndicat Jeunes Agriculteurs (JA), le 30 novembre, à l'issue d'une rencontre avec le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, et quelques jours avant un rendez-vous avec Elisabeth Borne. La Première Ministre avait fini par céder à la pression, en acceptant d'abandonner deux mesures prévues dans le projet de loi des finances 2024 et dénoncées par les agriculteurs : une hausse de la redevance pour pollution diffuse (RPD), perçue sur les ventes de pesticides, et une augmentation cette fois de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau pour l'irrigation.
L'avertissement intervenait alors après plusieurs semaines de manifestations organisées un peu partout en France à l'appel de JA et de la Fnsea. Sous le slogan « On marche sur la tête », les agriculteurs avaient retourné les panneaux signalétiques indiquant le nom des communes, pour illustrer un « monde à l'envers ».
Une multiplication des protestations en Europe
Depuis, la tension est montée d'un cran. A Toulouse, le 16 janvier, des centaines de tracteurs et camions agricoles ont convergé vers le centre-ville, gênant la circulation et déversant devant certaines institutions de la paille et du crottin. Mais surtout, les protestations des agriculteurs se multiplient dans l'ensemble de l'Europe. Lundi 15 janvier, à Berlin, des milliers d'agriculteurs allemands se sont rassemblés avec leurs tracteurs : l'apogée d'une mobilisation massive depuis le début de l'année contre la suppression d'avantages fiscaux pour le diesel agricole. En Pologne, en Roumanie, en Slovaquie et en Hongrie, les producteurs ont protesté à plusieurs reprises contre l'afflux de céréales et d'autres denrées alimentaires d'Ukraine. Aux Pays-Bas, lors des élections locales de mars dernier, un nouveau parti fondé sur la défense de la cause des agriculteurs à détrôné les forces politiques traditionnelles.
« Ces mouvements ont tous les même ferments: l'incompréhension grandissante entre la réalité de la pratique du métier d'agriculteur sur le terrain et les décisions administratives centralisées, qu'elles soient à Bruxelles ou dans les capitales européennes, qui créent une incompréhension majeure et finalement une sorte de révolte », a estimé Arnaud Rousseau le 10 janvier, en exprimant le « plein soutien » du premier syndicat agricole français aux agriculteurs allemands.
L'ancienne présidente de la Fnsea, Christiane Lambert, aujourd'hui à la tête du Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne, insiste elle aussi sur une « exaspération » commune :
« Déjà bousculés par des événements climatiques extrêmes, la flambée de leurs coûts de production et les conséquences commerciales de la guerre en Ukraine, ils (les agriculteurs européens, ndlr) ont le sentiment de "se faire imposer" des mesures trop drastiques, notamment dans le cadre de la transition écologique », a-t-elle expliqué à l'AFP le 16 janvier.
Des propos qui entretiennent la crainte d'une contagion sur l'ensemble de la France. Selon nos informations, d'ailleurs, la Fnsea n'exclut pas de lancer un appel national à la mobilisation même avant le SIA.
Souveraineté et compétitivité
Mais le spleen des agriculteurs dépassent les seules mesures budgétaires. Ils veulent reprendre leur destin en main.
« Ça nous va bien ». Et « l'alimentation est une grande cause qui doit s'intégrer dans ces propos », résume Arnaud Rousseau, en faisant référence au discours de passation de pouvoir du nouveau Premier Ministre, Gabriel Attal, le 9 janvier.
Mais le gouvernement doit s'atteler à réduire « la distance entre les discours et les actes », martèle-t-il.
Autrement dit : l'insistance du gouvernement, depuis le début de la guerre en Ukraine, sur la nécessité d'assurer la souveraineté alimentaire de la France doit s'accompagner d'un véritable soutien à la compétitivité de l'agriculture française, face à la concurrence de pays tiers ou même européens soumis à moins de contraintes sociales et environnementales. Une « remise en cause du Green Deal (Pacte vert) de l'UE dans sa vision de décroissance », ainsi que la lutte contre la surtransposition des standards européens en France et pour leur inclusion dans les accords de libre échange avec des pays tiers, sont notamment au coeur des revendications des producteurs agricoles.
« L'enjeu stratégique de l'alimentation doit se construire avec les agriculteurs, en les dotant des outils et moyens de production adaptés, en leur garantissant une juste rémunération et en limitant les distorsions de concurrence européennes et extra-européennes », écrit la Fnsea dans un communiqué publié à l'occasion du remaniement ministériel.
Des sujets « épidermiques »
Plus concrètement, Arnaud Rousseau évoque la question, « épidermique », de la préservation des zones humides, qui représentent selon la Fnsea 29% de la surface agricole utile de la France, en raison d'une définition plus stricte en droit français qu'en droit européen. Concernant les « moyens de production », il rappelle également la nécessité d'une plus grande mobilisation sur la question « urgente » du stockage de l'eau, en promettant de profiter du SIA pour demander à l'exécutif combien de « combien de mètres cubes supplémentaires » pourront finalement être stockés.
Quant aux pesticides, Christiane Lambert a précisé à l'AFP le point de vue des agriculteurs:
« On dit qu'on veut 25% d'agriculture biologique, mais en France, avec 10% de terres en bio et seulement 4,9% d'achats en produits bio (en grandes et moyennes surfaces fin 2022), on est déjà dans une impasse. Les produits phytosanitaires, on ne peut pas exiger une baisse de 50% d'ici 2030 (comme semble le prévoir le prochain plan Ecophyto, ndlr) s'il n'y a pas d'alternatives ».
Lire : Bio: « Les producteurs font de l'apnée » (Laure Verdeau, Agence bio)
Autre sujet extrêmement sensible, en pleines négociations commerciales annuelles entre les distributeurs et leurs fournisseurs de marques nationales: le respect des lois Egalim, qui protègent le revenu des agriculteurs. La Fnsea affirme attendre « courant janvier » les résultats d'une mission de contrôle confiée par le ministère de l'Economie à l'Inspection générale des finances (IGF).
La Fnsea demande également « un soutien rapide à tous les événements climatiques hors norme », le lancement d'une « cause nationale de l'élevage » en crise, un versement plus rapide des aides de la politique agricole commune (Pac)... Le lancement du « dialogue stratégique » promis en septembre par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pourrait être l'occasion pour « sortir de la polarisation qui oppose agriculture et environnement », fait remarquer Christiane Lambert.
Le relèvement progressif du coût du GNR, un bon exemple
Quelques victoires confortent toutefois les agriculteurs français sur la prise en compte de leurs demandes. En plus du récent abandon des hausses des redevances pour pollution diffuse et pour prélèvement sur la ressource en eau, la publication d'un arrêté relatif aux conditions de production et d'utilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation de cultures est accueilli favorablement.
Le « pacte d'orientation » présenté en décembre par le gouvernement, bien qu'amputé d'une grande partie des contenus promis, a aussi satisfait ls Fnsea et JA. Et au niveau européen, les agriculteurs ont réussi à obtenir la mise de côté, probablement jusqu'aux prochaines élections européennes, de deux textes sur les produits phytosanitaires et le bien-être animal.
Mais en termes de méthode de concertation avec l'exécutif, l'exemple le plus positif cité par les organisations agricoles est celui du gaz non routier (GNR). Le relèvement progressif du coût de ce carburant utilisé par les tracteurs a en effet pu être négocié « en responsabilité » avec Bercy. La Fnsea assure vouloir se mettre autour de la table dans le même état d'esprit aussi pour la RPD.
« On ne conteste pas les transitions. Mais on veut un agenda, des moyens et des niveaux d'exigence réalistes », résume Christiane Lambert.
Sujets les + commentés