Plus d'un propriétaire sur deux de maison individuelle est confronté à ce phénomène : le retrait-gonflement des sols argileux, à l'origine de fissures sur son logement. D'après le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), il existe, en effet, plus de 10,4 millions de maisons individuelles « potentiellement très exposées » sur 19 millions. Sauf que selon cet établissement public d'Etat, il demeure « une méconnaissance » des sinistrés et des acteurs locaux.
Pour les assureurs, le coût de la sécheresse va tripler dans les trente prochaines années
Une ordonnance a bien été publiée le 9 février au Journal officiel dernier pour modifier le Code des Assurances et y ajouter un nouveau mécanisme permettant la reconnaissance « catastrophe naturelle » dit « CatNat » de communes ayant subi une succession « anormale » de sécheresses d'ampleur significative. Elle précise également les conditions d'indemnisation des sinistres résultant de phénomènes naturels de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols. Elle fixe encore une obligation pour les assurés d'affecter l'indemnité perçue à la réalisation effective des travaux de réparation durable de leur habitation. Une demande historique de France Assureurs.
Selon cette fédération professionnelle, depuis la reconnaissance en 1989 de la sécheresse comme catastrophe naturelle, il y a près de 30.000 sinistres par an pour un total d'environ 16 milliards d'euros sur trente-trois ans. En 2022, la facture devait ainsi atteindre entre 1,9 et 2,8 milliards d'euros, contre 2,1 milliards d'euros en 2003, date de l'avant-dernière canicule historique. Pis, si le coût des sinistres climatiques va doubler dans les trente prochaines années, il va tripler pour la sécheresse.
En avril, Borne avait missionné un député proche de Darmanin
C'est pour toutes ces raisons qu'en avril dernier, la Première ministre Elisabeth Borne avait missionné le député (Renaissance) de la 10ème circonscription du Nord, Vincent Ledoux, « sur les réponses à apporter » à ce phénomène. Sa mission ces dix derniers mois consistait à « évaluer les aides aux ménages les plus modestes » et à « formuler des propositions pour renforcer leur efficacité ». L'occasion également de se pencher sur la prise en charge par les assureurs de ces catastrophes.
« Actuellement, le régime des ''CatNat'' prend, en charge, en moyenne, 90% du coût des sinistres [...] La prise en charge des dommages matériels [...] risque de profondément déséquilibrer le régime », soulignait, en effet, la Première ministre dans sa lettre de mission.
« Des réassureurs sont complètement sortis du RGA »
Elle ne croyait pas si bien dire. Nouvelle co-rapporteure depuis 2022 de la mission d'information avec Sandra Marsaud (Charente, Renaissance), la députée (EELV) de Paris, Sandrine Rousseau, a déjà fait adopter, par l'Assemblée, une proposition de loi visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait‑gonflement de l'argile. Le texte a été déposé le 7 avril dernier en commission des Finances du Sénat, mais n'a jamais été examiné.
Déjà lors d'une audition le 14 décembre au Palais du Luxembourg, le président (UDI) de la commission de l'aménagement et du développement durable de la Chambre haute avait déclaré que « depuis 2017, les dossiers liés à la sécheresse sont supérieurs à 60% dans les cas de catastrophe naturelle ».
« De 30% en 2018, nous sommes passés à 50% en 2019-2020, mais 50% des dossiers ne sont pas pris en charge par les assureurs », avait pointé Jean-François Longeot.
« Depuis le 1er janvier 2023, des réassureurs sont complètement sortis du retrait-gonflement des argiles », avait confirmé, sans le vouloir, une professionnelle de l'assurance, lors d'une matinale sur la résilience urbaine organisée le 14 avril par Bouygues Construction, Linkcity et Elan, trois entités du groupe Bouygues.
Le rapport« RGA, n'attendons pas que ce soit la cata ! » a été remis
Si le député Ledoux a été choisi par la Première ministre Elisabeth Borne, c'est parce qu'il est « concerné » dans sa circonscription et notamment dans sa commune de Roncq dont il a été maire jusqu'en 2017.
« Chez moi, un collectif de retraités, que j'ai rebaptisé les ''papis experts'', s'est constitué. Parfois, c'est kafkaïen en termes d'assurance alors que ça peut coûter des dizaines de milliers d'euros », témoigne-t-il à La Tribune.
Cela tombe bien: le parlementaire devait « veiller à étudier les voies et les moyens afin de mieux sensibiliser » les propriétaires et « examiner les solutions visant à faciliter [leur] accès aux aides [...] les procédures d'indemnisation [ainsi que] l'appui des services de l'Etat et de préfectures » aux élus locaux concernés.
Les assureurs sous pression
Six mois plus tard, la promesse est tenue. Le 9 octobre dernier, sa mission est arrivée à son terme et les conclusions ont été remises au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Le rapport de Vincent Ledoux, intitulé « RGA [Retrait-gonflement d'argile], n'attendons pas que ce soit la cata ! », soumet ainsi au gouvernement trois axes de travail : réduire la survenance [de sinistres], reconnaître au sinistré un statut de victime et adapter le logement vulnérable au changement climatique.
Son idée phare: objectiver l'instruction de l'assureur et la rendre plus transparente pour les assurés. À commencer par définir la notion de « cause déterminante » clé de l'instruction du dossier par l'assureur l'expert.
« Il faut rappeler en particulier le principe de prise en charge de l'aggravation des dommages dans le cas où une fissure aurait été déclarée à l'assureur une ou plusieurs années avant celle de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle de la commune », soutient le député du Nord.
Dans ce domaine, Vincent Ledoux propose aussi de fixer un délai maximal de six mois pour un premier rapport de l'expert d'auteur. Ce document dresserait les conclusions de l'expert à date, et les études complémentaires éventuellement nécessaires. À l'issue, un second délai pourrait encadrer la remise du rapport définitif.
Enfin, Vincent Ledoux recommande de rendre obligatoire la transmission de tous les éléments du dossier à l'assuré, y compris les devis estimatifs de travaux ou de reconstruction. Une demande des associations de sinistrés.
Contactée par La Tribune, la fédération France Assureurs indique être en train d'étudier le rapport.