Immigration : l’Europe en panne

Eurodéputés et représentants des 27 États se retrouvent demain en espérant finaliser un accord.
Garance Le Caisne
Des migrants à Lampedusa (Italie), le 16 septembre.
Des migrants à Lampedusa (Italie), le 16 septembre. (Crédits : © Valeria Ferraro / ANADOLU AGENCY / Anadolu via AFP)

Marchandages, apartés, tractations à huis clos... la journée s'annonce tendue demain à Bruxelles. Pour leurs dernières heures de négociations avant les vacances de fin d'année, les eurodéputés et les représentants des 27 États membres du Conseil vont tenter de s'entendre enfin sur la réforme de la politique migratoire européenne. L'annonce d'un accord demain soir serait une avancée pour l'UE alors que, hasard du calendrier, ce lundi 18 décembre est la journée internationale des migrants instaurée par l'ONU.

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En marge du Forum mondial sur les réfugiés de l'ONU jeudi à Genève, Ylva Johansson, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, a affirmé qu'il restait « très peu de points de friction en suspens ». « Nous sommes très, très près de trouver un compromis final, a-t-elle précisé. Bien sûr, nous n'y sommes pas encore vraiment. Donc l'heure n'est pas encore aux réjouissances. »

Les Européens doivent faire vite pourtant. La présidence tournante espagnole se termine le 31 décembre et les élections européennes auront lieu en juin prochain, scrutin pendant lequel la question de l'immigration sera un thème important. Depuis trois ans, et la proposition en septembre 2020 de la Commission européenne de réformer la politique d'asile, les États membres n'ont pu se mettre d'accord sur un cadre juridique afin de se coordonner pour gérer les demandeurs d'asile. Notamment lorsqu'ils arrivent en nombre, comme en 2015.

Fuyant la guerre et la violence politique, des Syriens, des Afghans et des Irakiens cherchaient alors un refuge pour vivre dignement et en sécurité. Cette année-là, la venue de 1 million d'entre eux a démontré l'incapacité des États européens de s'entendre et de faire preuve de solidarité pour les accueillir. « La crise humanitaire de 2015 a montré que l'Union européenne était un géant aux pieds très fragiles, analyse Matthieu Tardis, codirecteur du centre Synergies Migrations et spécialiste de l'immigration et de la question des réfugiés. La situation a révélé la crise du fonctionnement de l'Union européenne et exacerbé la méfiance entre États membres. C'est une des raisons pour lesquelles il y a toujours des désaccords aujourd'hui. »

Le pacte migratoire européen veut prévenir une nouvelle crise grâce à un partage plus équilibré de l'accueil entre les pays qui gèrent l'arrivée des migrants par bateaux, comme la Grèce, l'Italie et l'Espagne, et les autres États qui devraient se montrer solidaires. Au cœur de l'ensemble des textes législatifs de cette réforme, des points sur la procédure et la gestion de l'asile sont très discutés.

Le premier porte sur la « relocalisation ». Le principe qui affirme que le premier pays d'arrivée du migrant est responsable de la demande d'asile ne change pas mais le pacte migratoire veut instaurer un mécanisme de solidarité obligatoire. Les 27 pays devraient accepter d'accueillir, de « relocaliser », donc, 30 000 personnes par an pour soulager les premiers pays d'accueil. S'ils refusent, ils devront s'acquitter d'une contribution financière, à hauteur de 20 000 euros par personne refusée.

La crise humanitaire de 2015 a montré que l'Union européenne était un géant aux pieds très fragiles

Matthieu Tardis, codirecteur du centre Synergies Migrations

Le deuxième point porte sur l'installation de centres de tri aux frontières de l'UE. Une sorte de « filtrage » des demandeurs d'asile y serait effectué : relevé des empreintes, contrôles d'identité, sécuritaires et sanitaires. Dans un délai de cinq jours, les arrivants devront savoir s'ils ont droit à une procédure d'asile classique ou s'ils seront renvoyés vers leur pays d'origine. Les demandeurs originaires de pays pour lesquels moins de 20 % des demandeurs obtiennent en moyenne le statut de réfugié suivraient eux une « procédure accélérée » afin qu'on puisse les renvoyer plus rapidement.

Autre point sensible entre les États membres, celui des « situations de crise », quand des demandeurs d'asile arrivent en grand nombre. Le pacte prévoit un allongement de la durée de rétention de ceux-ci aux frontières de l'UE. Une disposition très critiquée par les ONG qui craignent un confinement à grande échelle dans des centres de rétention.

« Se mettre d'accord sur des directives au sein de l'UE est toujours compliqué, mais l'immigration est devenue une question politique, polarisante et politisée », explique Virginie Guiraudon, directrice de recherche au CNRS qui travaille, entre autres, sur les politiques européennes d'immigration, d'asile et de contrôle aux frontières. « Il y a beaucoup de tensions en ce moment car, d'un côté, les eurodéputés et les États membres veulent faire vite avant la fin du mandat et la tenue des élections de juin et, de l'autre côté, certains États politisent la question de l'immigration. Ces États vont-ils continuer à bloquer les discussions pour en faire une arme auprès de leur électorat ou vont-ils finalement accepter un accord? » Comment trouver en fait un compromis avec des États populistes qui surfent sur l'antieuropéanisme et le refus de tout réfugié ? Pour des raisons électoralistes et de souveraineté, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque et l'Autriche, entre autres, refusent en effet le principe de solidarité obligatoire. À moins de leur donner quelque chose en échange.

Si un compromis est trouvé demain, il faudra encore des semaines avant que le pacte soit adopté par le Parlement et le Conseil européens, sous la supervision de la Commission. Surtout, sa mise en œuvre s'annonce très compliquée. « Le pacte veut généraliser l'approche des hotspots sur l'ensemble du territoire européen mais on a bien vu en Grèce que cela ne marchait pas, avertit Matthieu Tardis. Les demandeurs d'asile y vivent dans des conditions déplorables et cela entraîne des frictions avec la population locale pourtant ouverte à cet accueil, au départ. »

Garance Le Caisne
Commentaires 2
à écrit le 17/12/2023 à 9:54
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Bizarre, ces dirigeants européens qui laissent faire la destruction de l'identité européenne, ils n'ont donc aucune fierté ?

à écrit le 17/12/2023 à 9:41
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Mais l'Europe (UE) est une panne.

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