C'est la fable du coq et du panda. Lors de sa dernière visite en France, il y a cinq ans, Xi Jinping avait offert à Emmanuel Macron un vase représentant les deux animaux, symboles de la relation strictement bilatérale que la Chine souhaite entretenir avec la France. Mais le président français, depuis le début de son premier mandat ainsi que cette année pour le 60e anniversaire de la relation franco-chinoise, tient à ce que notre coq se pare du drapeau étoilé européen. En 2019, il avait accueilli le président Xi à l'Élysée en présence du chef de la Commission européenne de l'époque, Jean-Claude Juncker, et de la chancelière Angela Merkel.
La bonne échelle
Demain, Ursula von der Leyen, présidente d'une Commission qu'elle a voulue « géopolitique », sera invitée par Emmanuel Macron à participer aux premières discussions avec Xi Jinping à Paris, avant même que ne débute sa visite d'État en France. Une obsession, un caprice ?
« Un de mes objectifs principaux en accueillant le président Xi Jinping est de tout faire pour engager la Chine sur les grandes questions mondiales et d'avoir un échange sur nos relations économiques qui reposent sur la réciprocité, a déclaré Emmanuel Macron à l'hebdomadaire britannique The Economist cette semaine. Ce n'est pas l'intérêt de la Chine aujourd'hui d'avoir une Russie déstabilisant l'ordre international, d'avoir un Iran qui peut se doter de l'arme nucléaire et d'avoir un Moyen-Orient plongeant dans une forme de chaos. »
On l'a compris, la géopolitique des crises et des enjeux globaux doit être traitée sous un angle européen pour être à la bonne échelle.
XI JINPING l'entend-il de cette oreille ? Pas vraiment. Depuis qu'il est au pouvoir, l'homme n'a pas cessé, au contraire, d'exercer une diplomatie multi-bilatérale. De réclamer davantage d'influence au sein des grandes organisations afin d'y faire entendre une musique différente sur les normes de droit, jusqu'ici inspirées par les démocraties occidentales. Mais aussi, en parallèle, de diviser les grandes organisations régionales - y compris dans le « Sud global » - afin d'en limiter la puissance et la cohésion.
C'est évidemment le cas de l'Union européenne, dont certains des pays membres ou candidats à l'adhésion ont été priés de rejoindre le forum de coopération 17+1. Créé en 2012, il comprend notamment la Hongrie et la Serbie, deux pays des plus indulgents avec la Russie de Poutine et que Xi Jinping se fera un plaisir de visiter dès son départ des Pyrénées.
Le président chinois et son homologue français évoqueront-ils au cours de leurs échanges le séjour à Pékin du chancelier Scholz à la mi-avril ?
« Il y a une vraie dissension entre la France et l'Allemagne et même au sein de la coalition au pouvoir à Berlin sur le rôle que doit jouer l'Union européenne face à la Chine », estime Emmanuel Lincot, enseignant à l'Institut catholique de Paris et spécialiste de l'Asie à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Mettre l'UE à l'abri de la confrontation entre Washington et Pékin
Pour cet expert qu'Emmanuel Macron a consulté à plusieurs reprises sur les questions asiatiques, l'Allemagne n'a toujours pas compris que la relation avec Pékin ne peut être dictée par son lobby de l'industrie automobile dont 40 % des exportations sont à destination du marché chinois. L'Élysée a beau dire que Paris et Berlin coordonnent leurs positions sur la relation sino-européenne, la diplomatie chinoise ne se prive pas d'instrumentaliser leurs divergences.
Emmanuel Macron tente de mettre l'UE à l'abri de la confrontation entre Washington et Pékin
SI EMMANUEL MACRON tient à européaniser le rapport à la Chine, c'est aussi pour tenter de mettre l'UE à l'abri de la confrontation entre Washington et Pékin. « Nous avons notre propre politique par rapport à la Chine, une politique indépendante de la position des autorités américaines », souligne-t-on à l'Élysée. La France tient cependant à réaffirmer qu'elle n'est pas, tout comme l'Europe, à équidistance des États-Unis et de la Chine. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le secrétaire d'État adjoint américain, Kurt Campbell, inventeur du « pivot » américain vers l'Asie, a vanté la position française avant de rencontrer le conseiller diplomatique d'Emmanuel Macron cette semaine à Paris. Pour lui, le président français a compris que la Russie disposait de deux alliés de poids en Asie avec la Chine et la Corée du Nord, tandis que les démocraties d'Asie-Pacifique - notamment le Japon, la Corée du Sud et l'Australie - soutiennent l'Ukraine du mieux qu'elles peuvent. Cette nouvelle géographie d'alliances, bouleversée si brutalement depuis la dernière visite de Xi en France, n'est plus symboliquement animalière avec le coq, le panda, l'aigle ou l'ours. C'est celle des grands fauves où l'Europe se doit impérativement d'être puissante.