Marine Le Pen se serait-elle trouvé une nouvelle cantine ? Depuis l'automne, la cheffe de file des députés du Rassemblement national a été repérée plusieurs fois au Marco Polo, avant qu'il ferme un mois pour travaux. Le président du parti, Jordan Bardella, y a également déjeuné. Situé à quelques rues du Sénat, dans le 6e arrondissement de Paris, ce restaurant italien tenu par le frère de Claude Bartolone - ex-président socialiste de l'Assemblée nationale - est un lieu prisé du Tout-Paris politique et artistique. On y croise nombre d'élus de la chambre haute, mais aussi Bernard Kouchner ou les anciens Premiers ministres Dominique de Villepin et Bernard Cazeneuve. Les acteurs Jean Dujardin et Nicolas Bedos sont des clients occasionnels, le célèbre escroc Christophe Rocancourt est un habitué.
La fille de Jean-Marie Le Pen commence à apprécier ce genre de cadre feutré. Il tranche avec celui, effréné et bruyant, de la brasserie où elle s'attable régulièrement, près du Palais-Bourbon. Là où la pluricandidate à l'élection présidentielle a établi son camp de base ou, du moins, ce que son entourage aime dépeindre comme un tremplin vers le pouvoir. Épaulée par le secrétaire général du groupe RN à l'Assemblée, Renaud Labaye, la députée du Pas-de-Calais dirige ses troupes d'une main ferme, tout en laissant de la place à ses intuitions. « Il y a une stratégie de long terme - parfaire la dédiabolisation, s'adresser à la France centrale - et de la tactique à court terme pour y parvenir », résume un cadre du mouvement nationaliste.
Depuis l'arrivée de Gabriel Attal à Matignon, les possibilités de coups tactiques s'amenuisent. La faute à un calendrier parlementaire flou et à l'absence de textes qui polarisent au sein de l'opinion. Celle qui se veut la « première opposante » à l'exécutif s'agace en privé de ce « faux plat ». « On s'ennuie, il ne se passe rien à l'Assemblée », dit-elle. Les débuts du nouveau chef du gouvernement ? Une accumulation de mensonges, selon Marine Le Pen, passablement irritée par le trentenaire macroniste.
Le lissage en vue de 2027, lui, se poursuit. Fin janvier, elle a intimé aux membres de son groupe d'être le moins nombreux possible à s'opposer à l'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution - ils ont finalement été 12 sur 88 à le faire. Onze ans après avoir déclaré, lors d'un forum organisé par Elle, « oui au droit à l'avortement, non à celles qui abusent de ce droit [...] et que la communauté nationale ne doit pas prendre en charge », la candidate à la fonction suprême a effacé une ligne de clivage supplémentaire entre le frontisme et la « France centrale ».
Son leitmotiv : « rassurer »
Marine Le Pen et Renaud Labaye demandent désormais aux députés RN d'éviter les amendements coûteux pour les finances publiques. La candidate va-t-elle revoir le chiffrage de son programme de 2022, à plus de 68 milliards d'euros de dépenses pour l'État, gagées pour l'essentiel sur d'hypothétiques économies de politique migratoire ? Depuis les législatives, rassurer est devenu le leitmotiv du parti à la flamme, au sommet comme à la base. Quitte à fuir les prises de risque. « Les Français ont besoin de stabilité », insistent en chœur les parlementaires. La désignation de Jordan Bardella comme futur Premier ministre plus de trois ans avant la présidentielle - échéance où il peut pourtant s'avérer nécessaire d'élargir son socle en nommant à Matignon un allié et non un affidé de la première heure - s'inscrit dans cette logique. L'élue du Pas-de-Calais voit aussi Sébastien Chenu, vice-président de l'Assemblée, occuper le perchoir.
Après des européennes qui s'annoncent victorieuses pour Jordan Bardella, un creux électoral d'un an et demi séparera Marine Le Pen des municipales. Pour gérer le temps long, celle qui dédaigne les technocrates veut montrer qu'elle prépare déjà les premiers mois de sa présidence. Axes prioritaires, projets de loi en cours d'élaboration, « livret économique » de 60 pages rédigé par Jean-Philippe Tanguy... La candidate emprunte les rails des Républicains, cette droite « de gouvernement » qui l'a longtemps méprisée et qu'elle méprise en retour.
Ça, c'est pour l'image. Sur le fond, on peine toujours à discerner qui contribue à quoi au programme mariniste, de plus en plus attrape-tout. Les rencontres avec des sommités du monde économique se multiplient, mais les noms demeurent secrets. Tout juste sait-on que Marine Le Pen a pu s'entretenir récemment avec Arnaud Lagardère, le patron du groupe de médias racheté par Vincent Bolloré. Les Horaces, ces hauts fonctionnaires qui l'aident depuis 2016, auraient été remaniés, tandis qu'un autre cénacle aurait été mis sur pied. Il compterait une nouvelle plume de Marine Le Pen, qui s'appuie toujours sur son conseiller spécial et beau-frère Philippe Olivier. Lequel nous assure que la cheffe « a vocation à faire du fond, de la doctrine ». Le dernier exemple notable remonte à septembre, quand la députée nordiste a dévoilé sa « Déclaration des droits des peuples et des nations ». Le document n'a pas beaucoup été brandi depuis.