Du temps. C'est cette denrée précieuse que Marine Le Pen s'est procurée en confiant la gestion du Rassemblement national à Jordan Bardella. « Il faut qu'elle puisse réfléchir, se concentrer, voir des gens », glisse un membre des instances dirigeantes du RN. À la fin de l'été, l'élue du Pas-de-Calais a pu revoir Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal Ethic, qu'elle a reçue une première fois à l'Assemblée nationale fin 2022 pour familiariser ses troupes au monde de l'entreprise. Une formation à la normalisation, en somme.
Toujours candidate naturelle de son camp à la prochaine présidentielle, Marine Le Pen économise son verbe médiatique. « Elle a théorisé le fait que plus elle se taisait, plus elle engrangeait », avance une source parlementaire frontiste. La cheffe du groupe RN au Palais-Bourbon fait la part belle des interventions radio-télé à Jordan Bardella et certains députés capés comme Jean-Philippe Tanguy ou Sébastien Chenu. La répartition des plateaux est passée en revue le lundi matin, au siège, avant le comité de campagne pour les européennes.
La maison mère, immeuble impersonnel du 16e arrondissement de Paris, Marine Le Pen y met beaucoup moins les pieds. Dès la présidentielle de 2022, la candidate a délégué les tracas de la gestion du parti. Elle privilégie deux choses pour consolider sa position de surplomb : les déplacements à l'étranger pour rendre visite aux alliés nationalistes - le plus récemment au Portugal et en Hongrie - et le suivi du travail à l'Assemblée nationale. Après les législatives, qui ont fait élire 89 députés RN (88 aujourd'hui) à la stupéfaction générale, Marine Le Pen a répété ce message : « Ici, je veux des futurs ministres et secrétaires d'État, pas des gens pour faire des petites phrases à la télé. »
La commande a été respectée, même si les rares sorties de route comme celle de Grégoire de Fournas - « Qu'ils retournent en Afrique ! » - sont là pour rappeler la radicalité consubstantielle au parti. Le bilan parlementaire, en tant que tel, est maigre. Très peu d'amendements RN ont été repris, aucune proposition de loi n'a été adoptée. « Ça pourrait être mille fois pire, minimise un conseiller. Comme ils ont peur de prendre la moindre critique sur le dos, ils sont parfois un peu paralysés du stylo. Mais le niveau monte lentement. »
Elle a théorisé le fait que plus elle se taisait, plus elle engrangeait
Un parlementaire frontiste
La Macronie veut y voir une preuve de l'isolement de Marine Le Pen, qui s'adapte en misant sur des « coups » qu'elle prépare avec Renaud Labaye, son méthodique secrétaire général de groupe. Ici le vote d'une motion de censure de la Nupes pour renvoyer LR à son image de béquille de l'exécutif, là un texte consensuel sur l'endométriose qui oblige les uns et les autres à déployer des trésors de com pour expliquer pourquoi ils ne le soutiennent pas. Le 7 décembre, le tandem a prévu de « vampiriser » la niche parlementaire de la droite, dont la proposition de loi constitutionnelle vise à élargir le champ du référendum aux sujets migratoires. « On va présenter nos mesures, voir ce que les autres en pensent, demander des scrutins publics... ça va être intéressant », pressent un cadre. L'impatience avant une nouvelle session de judo.