A quel taux taxer les multinationales ? La bataille fait rage

La mise en place d'un taux minimum mondial sur les multinationales de 25% permettrait à l'Union européenne de collecter 171 milliards d'euros supplémentaires selon l'observatoire européen de la fiscalité lancé officiellement ce mardi premier juin et dirigé par l'économiste français Gabriel Zucman. Alors que le manque à gagner de recettes fiscales pour financer la relance plane au dessus des Etats, la possibilité d'un accord planétaire autour d'un taux de 15% se profile.
Grégoire Normand
L'Observatoire européen de la fiscalité note que l'UE pourrait davantage augmenter ses recettes en augmentant les impôts de ses propres entreprises qu'en imposant celles extérieures aux 27. Les entreprises multinationales pourraient payer 50 milliards d'euros d'impôts supplémentaires dans l'Union européenne si les pays de l'OCDE parviennent à un accord sur un taux d'imposition plancher de 15%.
L'Observatoire européen de la fiscalité note que l'UE pourrait davantage augmenter ses recettes en augmentant les impôts de ses propres entreprises qu'en imposant celles extérieures aux 27. Les entreprises multinationales pourraient payer 50 milliards d'euros d'impôts supplémentaires dans l'Union européenne si les pays de l'OCDE parviennent à un accord sur un taux d'imposition plancher de 15%. (Crédits : YVES HERMAN)

Alors que les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G7 doivent se réunir en fin de semaine à Londres, l'observatoire européen de la fiscalité a dévoilé les résultats de ses premiers travaux sur la mise en place d'un taux minimum sur les sociétés. Cette mesure est très débattue depuis l'annonce du président américain Joe Biden de durcir la fiscalité sur les multinationales.

A l'occasion du lancement officiel ce premier juin à Bruxelles de l'organisme dirigé par l'économiste français Gabriel Zucman, la mise en place d'un taux minimum mondial de 25% sur les sociétés de l'Union européenne permettrait des recettes supplémentaires de 171 milliards d'euros en 2021.

"Cette somme représente plus de la moitié du montant moyen collecté par l'impôt sur les sociétés dans l'Union européenne et 12% des dépenses de santé. Le revenu potentiel d'une telle taxe coordonnée est donc important. Cependant, ces recettes vont en grande partie dépendre du taux minimum conclu dans l'accord. Avec un taux de 21%, l'Union européenne pourrait collecter environ 100 milliards d'euros. Passer d'un taux de 21% à 15% pourrait réduire les recettes par un facteur deux" expliquent les auteurs d'une étude dévoilée ce mardi par le nouveau centre de recherches.

A l'heure où les campagnes de vaccination à l'intérieur du Vieux continent accélèrent et les levées des restrictions se multiplient, les Etats s'affrontent sur la mise en œuvre de ce taux minimum au risque de faire échouer ce vaste chantier.

"Ces dernières années, nous avons créé un nouveau cadre pour la transparence fiscale et des moyens de lutte contre la fraude fiscale. Cependant, il ne faut pas fermer les yeux sur l'évasion fiscale des entreprises. Il est important d'avoir de la transparence fiscale au moment de la relance. Nous sommes à deux doigts de parvenir à un accord fiscal à l'échelle internationale. Le lancement de l'observatoire fiscal européen représente une étape importante pour la transparence fiscale" a expliqué le Commissaire européen Paolo Gentiloni lors d'une conférence de presse ce mardi premier juin.

Gabriel Zucman

Ancien conseiller des candidats à la présidentielle américaine Bernie Sanders et Elizabeth Warren, l'économiste et enseignant à l'université de Berkeley en Californie Gabriel Zucman dirige l'observatoire européen de la fiscalité annoncé en mars dernier. Crédits : Reuters.

"Il ne s'agit pas de pointer du doigt tel ou tel pays ou d'établir une liste de paradis fiscaux. L'objectif est de faire de la recherche et de faire des propositions réalistes comme l'idée d'une taxe minimum sur les sociétés. Cette idée était encore jugée irréaliste ces dernières années. Notre objectif est de formuler de nouvelles idées" a déclaré l'universitaire lors d'un point presse.

Des scénarios alternatifs

Les économistes de l'observatoire européen de la fiscalité ont planché sur deux autres scénarios en s'appuyant sur la notion de déficit fiscal, "défini comme la différence entre ce que les multinationales paient actuellement en taxes et ce qu'elles devraient payer si elles étaient assujetties à un taux minimum dans chaque pays". La première simulation prend en compte un accord où seuls les pays de l'Union européenne appliqueraient une taxe minimale. "Dans ce scénario, chaque pays de l'Union européenne prélèverait le déficit fiscal de ses propres multinationales, auquel s'ajouterait une partie du déficit fiscal des multinationales non européennes basée sur des pays de destination des ventes" indiquent les auteurs du rapport. "Par exemple, pour une compagnie britannique qui réalise 20% de ses ventes en Allemagne, l'Allemagne pourrait ensuite prélever 20% du déficit fiscal de cette entreprise" ajoute-t-ils. Au total, l'Union européenne pourrait collecter 200 milliards d'euros de recettes supplémentaires dans ce contexte.

Dans un dernier scénario, les chercheurs ont réalisé des simulations dans lesquelles chaque Etat collecterait ce déficit fiscal des multinationales de manière unilatérale. Le premier Etat qui se lancerait dans une telle initiative pourrait augmenter ses recettes fiscales issues de l'impôt sur les sociétés de l'ordre de 70% par rapport à ses recettes actuelles. "Bien qu'une coopération internationale est toujours préférable, une action unilatérale d'un Etat membre ou d'un groupe d'Etats membres pourraient encourager les autres pays à collecter les déficits fiscaux des multinationales" note l'étude.

Fiscalité internationale : Joe Biden fait marche arrière

L'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche a clairement chamboulé la politique fiscale des Etats-Unis menée depuis des décennies. Après plusieurs années de baisse de la fiscalité accélérée des multinationales sous la présidence Trump, le Trésor américain a changé de ton. Au début du mois d'avril dernier, la secrétaire au Trésor Janet Yellen avait fait part de sa volonté de mettre en place un taux minimum mondial sur les sociétés de 21% provoquant la stupéfaction des multinationales. L'ancienne présidente de la Réserve fédérale américaine (FED) avait déclaré vouloir mettre fin à "30 ans de course vers le bas". Interrogé par La Tribune, le directeur du centre de politique fiscale de l'OCDE, Pascal Saint Amans, avait même qualifié cette annonce "de changement de paradigme aux Etats-Unis". Deux mois plus tard, l'administration américaine a annoncé qu'elle faisait marche arrière en annonçant un taux plancher à 15%. Si sur le plan politique ce recul permet d'obtenir l'assentiment de quelques pays de l'Union européenne comme la France ou l'Allemagne, ce taux à 15% ne changerait pas vraiment la donne sur la fiscalité des multinationales.

"15%, c'est trop faible. Tous les Etats du G7 ont des taux supérieurs à 15%. Les grands gagnants comme les multinationales et leurs actionnaires paient de moins en moins d'impôts alors que d'autres catégories paient plus d'impôts par le biais de la TVA par exemple. Il faut redéfinir cet équilibre. Ceux qui paient le moins doivent payer plus, c'est le seul moyen d'avoir plus de justice fiscale. L'objectif est de redéfinir les taux selon les volontés politiques" a déclaré de son côté l'économiste Gabriel Zucman lors du point presse.

Grégoire Normand
Commentaires 6
à écrit le 02/06/2021 à 1:42
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Si les USA arrive à faire plier les états hormis la France avec ses taxes stratosphériques peut être y aura t'il un regain vers la Russie ou la Chine ?

le 02/06/2021 à 11:24
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Si les multinationales occidentales délocalisent ds les Etats voyous dictatoriaux, nx paradis fiscaux de fait, l'Occident sera unanime, car ds le même bateau, pour taxer à ses frontières les importations pour dumping fiscal en plus de taxes environne...

à écrit le 01/06/2021 à 16:51
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De toutes façons, la France n’est aucunement concernée par des gains vu le niveau actuel de l’impôt sur les Sociétés !! Chez nous ce sera pour le fisc un manque à gagner….

à écrit le 01/06/2021 à 16:51
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De toutes façons, la France n’est aucunement concernée par des gains vu le niveau actuel de l’impôt sur les Sociétés !! Chez nous ce sera pour le fisc un manque à gagner….

à écrit le 01/06/2021 à 16:31
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Une très bonne nouvelle, le dumping fiscal mais aussi social est un obstacle à la libre concurrence et à la justice fiscale.

à écrit le 01/06/2021 à 15:02
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A force de tirer au bazooka à côté de la cible on se retrouve dans un champ de ruines. Taxer le travail est improductif il faut taxer le capital et avant tout interdire les paradis fiscaux. Bref une hypocrisie de plus il n'y a pas de quoi se réjouir.

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