Espagne : Mariano Rajoy joue la montre

Le roi Philippe VI a demandé à Mariano Rajoy de former une coalition. Une tâche difficile, mais le chef du gouvernement va prendre son temps, espérant finir par s'imposer malgré une arithmétique parlementaire difficile.
Mariano Rajoy tente de gagner du temps pour s'imposer à sa propre succession.

Après huit mois de gouvernement en fonction, sans majorité parlementaire, le président du gouvernement espagnol sortant Mariano Rajoy a accepté le rôle que lui a confié jeudi 28 juillet le Roi d'Espagne Philippe VI : essayer d'obtenir une majorité au Congrès des députés. Renforcé par les élections du 26 juin, où son parti, le Parti populaire (PP), conservateur, est sorti renforcé en gagnant 14 sièges de plus, cette demande royale était logique. Mais cette demande ne fait pas une majorité, loin de là.

Arithmétique impossible

La constitution espagnole exige que le candidat à la présidence du gouvernement obtienne la majorité absolue des sièges du Congrès au premier tour, soit 176 voix ou, au second tour, la majorité relative. Une tâche complexe pour Mariano Rajoy qui, pour le moment, ne peut compter que sur ses 137 députés. Son seul appui potentiel serait l'autre parti de la droite espagnol, Ciudadanos, le parti d'Albert Rivera, qui, après avoir juré pendant la campagne électorale qu'il n'aiderait pas un gouvernement Rajoy a annoncé que, au nom de la défense de la stabilité politique, il acceptait de s'abstenir lors de l'investiture du président sortant.

Mais là encore, ce changement de Ciudadanos ne résout pas l'arithmétique de l'investiture. Les 32 députés de ce parti ne voteront pas contre Mariano Rajoy, mais les deux partis de gauche, les Socialistes du PSOE et Unidos Podemos, pour le moment déterminés à rejeter le gouvernement de Mariano Rajoy, cumulent 156 voix. Pire même, les partis nationalistes basques et catalans, en tout 24 sièges, semblent également déterminés à s'opposer à Mariano Rajoy. L'équation ne peut donc se résoudre pour le président du gouvernement qu'à deux conditions : l'appui et non l'abstention de Ciudadanos et l'abstention des 85 députés du PSOE. Deux conditions très difficiles à obtenir. Mariano Rajoy a annoncé qu'il rencontrerait la semaine prochaine les responsables des deux partis pour tenter de débloquer la situation.

Ciudadanos veut une grande coalition sans Mariano Rajoy

Ciudadanos, qui se présente comme un parti « régénérateur » et nouveau ne peut soutenir ouvertement le président sortant contre lequel il a dirigé une grande partie de ses critiques. Certes, Albert Rivera a avoué qu'il n'envisageait pas d'alternative à un gouvernement dirigé par le PP. Mais il ne veut pas de Mariano Rajoy. Il a donc proposé un gouvernement à trois, avec le PP et le PSOE, sans ce dernier. Ainsi pourra-t-il affirmer avoir écarté une des principales figures des « anciens partis » et donner un sens concret à la « régénération ». Interrogé par El País sur la possibilité de soutenir Mariano Rajoy, le vice-secrétaire général de Ciudadanos, José Manuel Villegas, a clairement répondu « non ». Quant au PSOE, il n'envisage pour le moment pas d'autre option que le rejet de la candidature de Mariano Rajoy. Ce dernier peut cependant compter sur deux facteurs.

Les demandes budgétaires européennes

Mercredi, la Commission européenne a demandé une baisse de 5 milliards d'euros pour 2017 du déficit structurel et de 1,6 point de PIB (16 milliards d'euros) en termes nominaux . Ces mesures devront être présentées avant le 15 octobre si l'Espagne veut éviter le gel des fonds structurels, un élément important pour l'économie du pays. Evidemment, nul au Congrès n'est pressé d'aller présenter un nouveau budget d'austérité avec Mariano Rajoy, et cela complique donc singulièrement les discussions, notamment avec le PSOE qui n'est pas pressé de recommencer l'expérience de 2010-2011, lorsqu'il avait dû se lancer dans des ajustements budgétaires. Mais, au fur et à mesure que l'on se rapprochera de la date du 15 octobre, l'absence de gouvernement rendra le risque de gel des Fonds européens plus proche et pourrait déterminer les partis à changer de comportement pour ne pas passer pour les responsables de ce désastre.

La situation catalane

Deuxième élément : la situation en Catalogne. La décision du parlement catalan d'adopter la voie de l'unilatéralité malgré l'interdiction du tribunal constitutionnel espagnol ouvre une crise institutionnelle. Mariano Rajoy entend  en profiter : il sait que si cette crise s'approfondit, il pourra en jouer pour former une alliance de « sauvegarde » de l'intégrité de l'Espagne avec Ciudadanos et le PSOE. En cas de crise avec Barcelone, l'aile droite du PSOE, celle dirigée par la présidente andalouse Susana Díaz sera sans doute plus empressé de régler la question catalane que de tenir une opposition de principe au PP. Aussi le gouvernement espagnol a-t-il décidé d'aller dès ce vendredi 29 juillet plus rapidement vers cette crise. Il a demandé au Tribunal constitutionnel d'enquêter pour vérifier que la présidente du parlement catalan, Carme Forcadell, a enfreint la loi et d'en tirer les conséquences. Madrid jette donc de l'huile sur le feu avec une arrière-pensée évidente.

Le temps joue pour Mariano Rajoy

Pour Mariano Rajoy, il est donc important de prendre son temps. Il a donc prévenu qu'il n'était pas sûr de soumettre son investiture au Congrès. Il gagne ainsi du temps, car, en cas d'échec, un compte à rebours commence : il ne reste plus que deux mois pour former une majorité, sinon il faudra retourner devant les urnes pour la troisième fois en un an.

Le président du gouvernement entend plutôt laisser le temps jouer en sa faveur. Une fois face à l'exigence européenne et à la crise catalane, Ciudadanos et le PSOE devront faire le choix entre un blocage qui pourra leur être imputé ou accepter un gouvernement minoritaire pour gérer cette double crise. Du reste, après le 26 juin, Mariano Rajoy peut espérer qu'un nouveau scrutin débouche sur un renforcement du PP. Les autres partis tentent donc de forcer Mariano Rajoy à présenter rapidement sa candidature, pour l'écarter de la course et tenter une autre option, sans lui. Un débat court du reste sur le droit de Mariano Rajoy de ne pas présenter son investiture, malgré la demande royale. Mais le chef du gouvernement tient bon pour rester à la Moncloa encore longtemps.

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