![La liste RN est donnée en tête, dimanche prochain, avec plus de 30% d'intentions de vote. Le double du score crédité par les sondages à celle de la majorité présidentielle.](https://static.latribune.fr/full_width/2386376/election-ue-rn-alt.jpg)
La bataille des élections européennes entre dans la dernière ligne droite. À cinq jours d'un scrutin crucial, les principales forces politiques jettent leurs dernières forces dans une campagne très disputée. Grand favori des sondages, la tête de liste du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella a fait plusieurs propositions économiques et sociales dans un programme d'une dizaine de pages. À plusieurs reprises, le jeune leader du RN a tenté de mener une opération séduction auprès du patronat français. «Sans les entreprises, la France ne serait rien », a-t-il déclaré devant un parterre de dirigeants en avril dernier au siège du Medef.
Des mesures de souveraineté qui peinent à convaincre
Après le fiasco de la campagne présidentielle de 2017, le parti d'extrême droite cherche à conquérir une crédibilité économique et budgétaire dans les milieux patronaux. Le Rassemblement national de Marine Le Pen ne défend plus une sortie de l'Union européenne et la fin de l'euro. Mais les mesures économiques et budgétaires présentées par le parti nationaliste peinent à convaincre. « Le programme du RN n'est pas de nature à constituer un projet complet », juge Thierry Pech, directeur général de Terra Nova contacté par La Tribune. « Il prétend courir après un programme de souveraineté recouvrée. Or, il s'en éloigne sur le plan énergétique notamment. Il prévoit de mettre fin à certaines énergies renouvelables. Mais, comme les nouveaux EPR ne seront pas prêts avant 2035 au plus tôt, le risque est que tout l'ajustement se fasse sur le gaz, nous mettant du même coup dans les mains des pays exportateurs comme l'Arabie Saoudite ou le Qatar. Loin de nous rapprocher de la souveraineté, le programme du RN nous précipite dans une dépendance accrue », explique Thierry Pech.
Le Rassemblement national face à ses contradictions budgétaires
Empêtrés dans une profonde crise budgétaire, les Etats du Vieux continent sont actuellement sous la menace de sanctions de la Commission européenne. En France, la dégradation de la note de crédit par l'agence américaine Standard and Poor's est un camouflet pour le gouvernement à la veille des élections européennes. L'Hexagone ne devrait pas échapper à la procédure de déficit excessif de Bruxelles prévue à la mi-juin. Dans ce contexte de finances publiques dégradé, les candidats aux européennes ont mis sur la table des options pour financer les investissements colossaux de la transition écologique et les efforts en matière de Défense ou de Santé.
Mais les mesures contradictoires proposées par le RN rendent son programme difficilement applicable. En effet, le parti nationaliste s'oppose au fait que l'Union européenne puisse lever l'impôt. « Ce qui pénaliserait les États membres et les consommateurs ». Et dans le même temps, il défend un élargissement la taxe carbone aux frontières mise en oeuvre par l'Union européenne dans le cadre du « Green Deal ». S'agissant de la proposition du RN, Jordan Bardella suggère d'élargir l'application de cette taxe aux produits finis et semi-finis plutôt que sur les matières premières. Or, le règlement du mécanisme d'ajustement aux frontières le prévoit déjà, à partir de 2026. La taxe carbone aux frontières représente aussi des ressources propres certes encore limitées pour la Commission européenne mais elles devraient monter en puissance.
Enfin, le Rassemblement national s'oppose à tout nouvel emprunt réalisé par la Commission européenne. Pourtant, ce dispositif avait permis aux Etats après d'âpres débats de mettre en place en 2020 le programme NextGenEU de 800 milliards d'euros dotés de subventions et de prêts pour relancer l'économie du Vieux continent après la crise sanitaire.
Le RN ne prévoit pas de compensation face au réchauffement climatique
Dans le document de campagne, le Rassemblement national (RN) fixe son cap populiste autour de trois axes : « protéger, produire, et respecter la voix des peuples ». Se voulant proche de ses électeurs, le parti utilise le mot « peuple » à 18 reprises dans l'ensemble de son programme. Or, l'accélération du réchauffement climatique risque d'avoir des conséquences plus lourdes sur les ménages en bas de la distribution. Plusieurs travaux d'économistes ont pointé les risques d'une aggravation des inégalités et de la pauvreté si les Etats et l'Europe ne prenaient pas de mesures de compensation.
En effet, les bouleversements engendrés par le péril climatique risquent de propulser les prix de l'énergie et de l'alimentaire à des niveaux bien plus élevés dans les années à venir. Compte tenu du poids de ces dépenses dans le budget des ménages modestes, l'absence de mesure pour compenser les effets néfastes du réchauffement pourrait plonger de nombreux ménages dans des situations financières extrêmement périlleuses. Chez les entreprises, le manque de mesures compensatoires pourrait également pénaliser les TPE et PME confrontés à des investissements importants pour réaliser leur transition.
Des mesures fiscales extrêmement coûteuses
Face à l'envolée des prix, le Rassemblement national (RN) propose de baisser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur l'énergie de 20% à 5,5%. L'électricité, le gaz, le fioul et les carburants seraient concernés par la baisse de cette taxe. D'un point de vue budgétaire, cette taxe pourrait être un manque à gagner considérable dans un contexte de finances publiques exsangues. Plombés par les crises successives (pandémie, guerre en Ukraine), les Etats européens sont plutôt à la recherche de nouvelles recettes fiscales pour répondre aux nouvelles règles budgétaires de l'Union européenne après la parenthèse de la crise sanitaire.
En outre, cette mesure risque de peu profiter au porte-monnaie des classes moyennes et des catégories sociales en bas de l'échelle. Les taxes sur la consommation sont par nature régressives. En diminuant cette taxe, les ménages gagnants ne seraient pas les plus modestes au vu du poids des dépenses d'énergie dans leur budget. Enfin, cette mesure favoriserait la consommation d'énergie fossile alors que la plupart des Etats doivent s'engager dans une réduction des émissions de CO2 pour tenir leurs engagements internationaux.
Le RN veut détricoter le « Pacte vert »
Pilier de la Commission européenne emmenée par Ursula Von Der Leyen, le Pacte vert est attaqué de toutes parts. Dans son programme, le leader nationaliste propose une «abrogation » des directives CSRD et devoir de vigilance. Ces textes vont pousser les entreprises à rendre des comptes sur l'impact de leur activité sur le climat, l'environnement ou les conditions de travail.
Farouchement opposé à ce texte, Jordan Bardella a proposé au patronat un audit des normes jugées « utiles » et « inutiles ». Ce rétropédalage serait un risque pour l'Union européenne aux yeux de Terra Nova. « Si demain on met fin à la CSRD, les entreprises françaises seront obligées de rester avec les obligations de reporting du droit français. Renoncer à la CSRD est un moyen d'égaliser les contraintes entre les entreprises françaises et les autres entreprises européennes. Si l'Europe ne fait pas la CSRD, d'autres puissances vont imposer leurs standards », déclare Thierry Pech. Le directeur du groupe de réflexion évoque notamment « les Etats-Unis » comme les grands gagnants de cette bataille des normes.
Immigration : la position intenable du RN face à ses homologues
Concernant l'immigration, le Rassemblement national propose un tour de vis sur l'Europe. Dans son programme, le parti prévoit d'instaurer « une double frontière ». Il s'agit « de contrôler les frontières nationales et mettre en place une frontière aux portes de l'Europe en permettant à Frontex de renvoyer les migrants illégaux ». Fidèle aux positions historiques du Front national hostile à l'immigration, Jordan Bardella promet de couper les subventions aux ONG pro-migrants. « La plupart des pays ont besoin d'immigration de travail. Même l'Italie de Giorgia Meloni a ouvert la porte à 450.000 travailleurs immigrés dans les trois ans. La Hongrie est prête à en accueillir jusqu'à 500.000. La Pologne est en train de passer des accords de migration de travail», rappelle Thierry Pech. Cette position risque de compliquer les négociations entre le Rassemblement national et ses homologues en Europe. Une situation de confusion qui devrait rapidement apparaître au lendemain des élections européennes de dimanche prochain.