L'Europe va-t-elle trouver la parade face à la déferlante industrielle chinoise ? À quelques semaines des élections européennes, les inquiétudes sont vives dans les milieux industriels du Vieux continent. Frappées de plein fouet par l'explosion des prix de l'énergie depuis la guerre en Ukraine, les usines européennes tournent au ralenti. L'indice des prix a certes ralenti depuis maintenant plusieurs mois mais les entreprises restent empêtrées dans de vastes difficultés. Les prix à la production ont marqué le pas d'environ 8% sur un an tout en restant bien au-dessus de leur niveau d'avant guerre selon les derniers chiffres d'Eurostat dévoilés ce jeudi 4 avril.
En première ligne dans la crise énergétique, l'Allemagne a payé un lourd tribut de sa dépendance au pétrole et au gaz russes. A cela s'est ajouté le ralentissement brutal chinois resté longtemps un débouché important pour le « Made in Germany ». Pendant ce temps, les entreprises chinoises inondent les marchés européens de voitures électriques et de panneaux photovoltaïques.
Dans ce contexte troublé, les ministres Bruno Le Maire, Robert Habeck (Allemagne) et Adolfo Urso (Italie) doivent se retrouver lundi 8 avril dans les Hauts-de-Seine à Meudon pour plancher sur la politique industrielle de l'Europe. « L'objectif est de définir une stratégie économique commune pour faire face à l'offensive de la Chine et des Etats-Unis », a déclaré Bruno Le Maire, lors d'une réunion avec des journalistes. « Il faut montrer les dents face à des adversaires qui ne font pas de cadeaux ». « Le modèle de la Chine repose sur l'interventionnisme et les Etats-Unis comptent sur le protectionnisme, l'Inflation Reduction of Act (IRA) et un coût de l'énergie faible. L'Europe doit absolument défendre son modèle économique décarboné et compétitif », a tonné le ministre.
Robert Habeck, Adolfo Urso et Bruno Le Maire lors de la dernière réunion triennale à Rome en octobre dernier. Crédits : Reuters.
Marchés publics et exemptions pour les ETI
Pour bâtir cette stratégie, la France va proposer plusieurs pistes aux deux autres grandes puissances économiques de la zone euro. Parmi les options mises sur la table par le ministre de l'Economie français, figure la réforme des marchés publics européens. « Faut-il réserver des parts de marché à des produits européens ? C'est déjà le cas en Chine et aux Etats-Unis. Des règles d'origine doivent faire partie des discussions pour protéger notre marché », explique Bercy. À ce stade, le ministère des Finances n'a pas évoqué d'objectifs chiffrés sur ce sujet sensible. Mais favoriser la production industrielle européenne pour les marchés publics pourrait constituer un levier important pour les entreprises.
L'autre piste évoquée par Bercy est de pousser une directive « omnibus » pour simplifier les normes environnementales. « L'Europe ne doit pas devenir le continent de la paperasse. Nous devons simplifier les normes et débureaucratiser le continent européen », explique Bruno Le Maire. Dans les couloirs de Bercy, les conseillers de Bruno Le Maire plaident pour une remise à plat des seuils dans les entreprises. « Un certain nombre de contraintes s'appliquent en Europe. Le seuil de 250 salariés est très bas. L'idée serait de passer d'un seuil de 250 à 500 salariés pour appliquer des exemptions de normes comptables, financières ou de reporting extra-financiers », explique l'entourage du ministre. En d'autres termes, le gouvernement veut simplifier les obligations pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Les industriels conviés
Plusieurs industriels ont été conviés à la réunion triennale de lundi prochain. Parmi les grands groupes doivent figurer Michelin, Materrup (ciments bas carbone) ou encore Waga Energy. Le thème de la réunion sera consacré à la mise en oeuvre de la législation européenne sur le Green Deal, « tout en exploitant pleinement le potentiel des industries de l'Union européenne ».
Contestées par plusieurs industriels, les règles du Green Deal européen doivent permettre d'atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 (-55% par rapport à 1990). Les milieux patronaux ont mis en garde contre de possibles délocalisations ces derniers mois. « La décarbonation ne doit pas se faire au détriment de la réindustrialisation », a prévenu Bruno Le Maire.
Un déficit commercial vertigineux entre la Chine et l'Europe
La réunion entre la France, l'Italie et l'Allemagne est d'autant plus urgente que le déficit commercial de la Chine avec l'Europe s'établit à « 200 milliards d'euros » selon Bercy. La désindustrialisation qui a frappé la plupart des pays riches s'est accompagnée d'un basculement de la production industrielle vers la Chine. Résultat, Pékin est devenue une puissance commerciale de premier ordre dans le commerce mondial au détriment de l'Union européenne. Et la pandémie a jeté une lumière crue sur la dépendance de l'Europe à l'égard de la Chine sur un grand nombre de produits sanitaires de base (masques de protection, gel hydroalcoolique) et de médicaments. « Si nous restons les bras croisés, nous sommes morts », prévient Bercy. Reste à savoir si les prochaines élections européennes vont permettre ce virage.