La France a-t-elle vraiment pris le tournant de la réindustrialisation ? Pressé par les récentes crises géopolitiques et climatiques, le gouvernement veut montrer qu'il a fait de l'industrie un axe majeur de sa politique économique. A l'occasion du salon annuel Global Industrie, le ministre délégué, Roland Lescure, a dévoilé les résultats d'un baromètre inédit, ce mercredi. Pilotée par la direction générale des entreprises (DGE), cette enquête révèle que le solde d'ouvertures et de fermetures d'usines s'est établi à 201 en 2023 sur le territoire français contre 176 en 2022.
Ce recensement prend en compte le nombre net d'ouvertures de sites industriels et les grands projets d'extension. En se focalisant uniquement sur les ouvertures d'usines, Bercy a comptabilisé 170 nouveaux sites en 2023, contre 139 en 2022. A l'opposé, la DGE a listé 113 fermetures de sites l'année dernière contre 90 en 2022.
« Les résultats de ce premier baromètre industriel confirment la dynamique de réindustrialisation de la France et refroidissent au passage l'esprit défaitiste de certains », a réagi le ministre sur X.
En préparation depuis des mois à la direction générale des entreprises, cet indicateur inédit risque d'être scruté de près par l'Elysée, actuellement critiqué pour les dérapages plus importants qu'avancés sur les comptes publics. Auparavant, seul le cabinet Trendeo effectuait ce type d'analyse chaque année.
« Trendeo avait un biais méthodologique, car il prenait en compte les entrepôts de logistique », explique l'entourage du ministre de l'Industrie.
« Le cabinet travaille en source ouverte, certaines ouvertures et fermetures passaient sous les radars », ajoute-t-il.
L'agroalimentaire fait la course en tête, la métallurgie dans le rouge
L'agroalimentaire demeure un poids lourd au sein de l'industrie tricolore. Le solde est largement positif avec 54 ouvertures en net. Arrivent ensuite la construction (25 ouvertures en net), le textile (23) et la santé (17).
« La dynamique que l'on essaie de lancer dans la santé a l'air de fonctionner », se réjouit l'entourage du ministre.
L'éclatement de la crise sanitaire en 2020 avait jeté une lumière crue sur l'extrême dépendance de la France sur les produits de base (masques, gel hydroalcoolique) et les médicaments nécessaires au traitement des patients. Bercy s'est également félicité du solde net positif (13) des ouvertures dans l'industrie verte et l'économie circulaire.
A l'opposé, le secteur de la métallurgie est en plein marasme avec plus de destructions que de constructions de sites. C'est d'ailleurs le seul secteur du baromètre à afficher un solde négatif. L'année dernière, la production dans la métallurgie et la sidérurgie a plongé à un niveau abyssal selon l'Insee. Depuis le creux du mois de juin, la production est repartie à la hausse. Mais sans retrouver son niveau moyen de long terme.
Auvergne-Rhône-Alpes en haut de tableau
Sur le plan géographique, la région Auvergne-Rhône-Alpes (+73) domine largement le classement. Elle est suivie par la Nouvelle Aquitaine (+30) et la Normandie (+24). A l'opposé, le Centre-Val-de-Loire (0), la Corse (-1) et surtout les Hauts-de-France (-9) sont en perte de vitesse. En 2023, cette dernière a traversé de vastes difficultés à l'instar de l'entreprise Valdunes, le dernier fabricant français de roues de train. Un accord a finalement été conclu avec Europlasma pour une reprise.
De nombreux autres sites sont en zones de turbulences. L'usine Aluminium à Dunkerque, la plus grande fonderie en Europe, doit prendre au plus vite le virage de la décarbonation. Une transformation nécessaire dans le cadre du plan des 50 sites industriels poussé par le chef de l'Etat lui même.
« Cette région a connu des fermetures dans les secteurs traditionnels de l'industrie, mais elle est aussi celle où se concentrent les ouvertures de gigafactories de batteries, le pôle de véhicules électriques de Renault à Douai, et celui des composants de batterie à Dunkerque », souligne-t-on au cabinet du ministre.
Le long chemin de la réindustrialisation
Au salon Global Industrie, le ministre de l'Industrie n'a pas manqué de se féliciter de ses résultats. Il reste que le chemin de la réindustrialisation est encore long. Le dernier indice PMI, un indicateur avancé très regardé dans les milieux économiques, montre que l'activité dans l'industrie tricolore est toujours en territoire négatif. Au mois de mars, l'indice s'est légèrement redressé mais demeure en contraction depuis près d'un an.
Sur le plan macroéconomique, d'autres statistiques soulignent que la place de l'industrie dans l'économie française est encore très en deçà des niveaux des années 1970. Fin 2022, le poids de l'industrie dans le PIB s'élevait péniblement à 13,3,% selon de récentes données de l'Insee, soit un niveau encore inférieur à celui de 2017 (13,8%) au moment où Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir.
Sur le front de l'emploi, l'hémorragie semble s'estomper. Entre début 2017 et fin 2023, l'emploi industriel en France est passé d'après l'Insee de 3,14 millions à 3,27, soit environ 130.000 emplois en net. Mais les créations d'emplois dans le Made in France sont beaucoup moins dynamiques que dans le tertiaire et demeurent très loin de l'emploi industriel des années 70 (5,5 millions environ). Au total, la France a détruit plus de 2 millions d'emplois industriels en cinquante ans. La bataille pour la réindustrialisation risque de prendre encore beaucoup de temps.