Une économie plus prospère, plus robuste et plus souveraine. Telles étaient les promesses des partisans du Brexit. A commencer par Boris Johnson qui clamait dans ses spots de campagne que le Royaume serait à même de « libérer tout son potentiel » économique une fois affranchi du carcan réglementaire de Bruxelles. 18 mois après la sortie effective de la Grande-Bretagne de la communauté européenne, la prophétie de BoJo est loin d'être devenue réalité.
Les entreprises et les ménages britanniques sont englués dans une période chaotique, à l'instar de l'ensemble des pays occidentaux depuis le choc de la guerre en Ukraine. Sauf que les maux qui frappent les voisins du Royaume-Uni prennent des proportions plus importantes outre-Manche.
A commencer par l'inflation qui frôle les 10% (à 9,4% en juillet sur un an contre 6,1% en France, et 13% attendu en octobre). Le sujet monopolise la campagne des Tories qui doivent choisir qui, de l'ancien ministre des Finances Rishi Sunak ou de sa collègue à la diplomatie Liz Truss, deviendra le prochain Premier ministre. « La mécanique inflationniste s'est enclenchée de manière plus forte et plus rapide qu'ailleurs. Il y a eu une reprise post-Covid très dynamique dès 2021 marquée par de fortes pénuries de main d'œuvre, de marchandises bien avant la guerre en Ukraine », note la directrice de la recherche économique d'Allianz Trade Ana Boata qui rappelle que la hausse des prix de l'énergie a débuté au Royaume-Uni il y a plus d'un an.
Attentisme du gouvernement et de la BoE face à l'inflation
Sous le feu des révélations qui ont érodé sa légitimité politique, le gouvernement de Boris Johnson a tardé à prendre la pleine mesure de l'inflation et de ses conséquences. Sunak a longtemps rechigné quand il était Chancelier de l'Echiquier à ouvrir les cordons de la bourse. Avant de se résoudre à débloquer des milliards d'aides aux ménages sous la pression sociale. Les 37 milliards de livres des plans cumulés d'urgence ont essentiellement servi à compenser les pertes de pouvoir d'achat des Britanniques, sans s'attaquer à la racine du problème. A savoir les prix de l'énergie.
« Notre priorité numéro 1 est de lutter contre l'inflation et de ne pas l'aggraver », affirme désormais Rishi Sunak. Son programme consiste à attendre le recul de l'inflation pour baisser les impôts. « L'ancien ministre des Finances veut attendre que le pic de l'inflation prévu pour la fin de l'été-début de l'automne soit passé pour faire un stimulus budgétaire en réduisant les impôts », analyse la directrice de la recherche économique d'Allianz Trade Ana Boata.
Sa concurrente Liz Truss prône aussi une réduction massive mais immédiate des impôts de l'ordre de 30 à 40 milliards de livres en guise de relance budgétaire. Ces deux personnalités qui se revendiquent de Margaret Thatcher entendent rendre du pouvoir d'achat aux Britanniques. Objectif : relancer la croissance par la consommation intérieure dans un pays dont la part de l'industrie a décru, mais un peu moins que chez son voisin français. Le moteur de l'économie demeure les services à l'image de la City, poumon économique de la région de Londres.
Les planètes sont-elles néanmoins alignées pour un tel stimulus budgétaire ? L'économiste Ana Boata se montre dubitative au moment où la Banque d'Angleterre (BoE) vient de procéder ce jeudi à une hausse drastique de son taux directeur à 1,75%. « Il y a un durcissement de la politique monétaire de la Banque d'Angleterre, très progressif mais réel, qui va se poursuivre d'autant plus que la BoE se trouve sous pression étant donné les surprises à la hausse de l'inflation malgré le ralentissement de l'économie », constate l'experte de l'économie britannique.
Les chaînes de valeur à l'heure du Global Britain
Toujours est-il que le revirement monétaire est enclenché et qu'il pèse inévitablement sur les perspectives de croissance. Lesquelles s'affaissent déjà. La demande se tasse et les craintes de récession se font jour plus vite qu'ailleurs. La Banque d'Angleterre prévoit que la normalisation de sa politique monétaire plonge le pays dans une récession d'un an de fin 2022 à fin 2023. Ces difficultés, observables dans nombre d'économies occidentales, ressemblent dans le cas britannique à des problèmes de long-terme plutôt qu'à des turbulences passagères.
« On a du mal à départager l'impact du covid de celui du Brexit. Mais les délais de livraison pour les entreprises britanniques sont déjà beaucoup plus longs que ceux des entreprises européennes. Le Brexit, avec ses procédures bureaucratiques, ses fortes pénuries de travailleurs dont certains Européens qui subissent des procédures lourdes pour travailler au Royaume-Uni, va rendre les chaînes de valeur durablement tendues. Sans allègement des règles d'immigration, les Britanniques ne combleront pas le manque de main d'œuvre », alerte Ana Boata.
Importer des marchandises depuis l'Union européenne s'avère aujourd'hui aussi long et compliqué que de faire venir des produits de Chine, qui est moins chère. Les entreprises achètent donc de plus en plus en Chine. Un comble quand on connaît les positions radicalement anti-chinoises du futur Premier ministre, qu'il s'agisse de Sunak ou Truss. « Le Brexit rend le Royaume-Uni plus dépendant, et donc plus vulnérable, de sources d'approvisionnement lointaines comme l'Asie, et plus particulièrement la Chine », confirme l'économiste Ana Boata.
Lorsqu'on l'interrogeait sur l'avenir du Royaume-Uni une fois détaché du Vieux contient, Boris Johnson préconisait le modèle de Global Britain, à savoir une Grande-Bretagne qui tisse des liens commerciaux privilégiés avec des puissances extra-européennes. Finalement, le Premier ministre n'a pas menti sur toute la ligne. Le Global Britain commence bien à prendre forme aux dépens des Britanniques, moins souverains et plus dépendants que jamais de l'extérieur.