Grèce : nouvelle offensive des créanciers contre le gouvernement

La démission du dirigeant de la Banque du Pirée a provoqué une offensive des créanciers contre la gestion "politisée" des banques. Son objet est cependant d'affaiblir encore le gouvernement grec, sur fond de discussions sur la réforme des retraites.
Le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, s'émeut des "nominations politiques" dans les banques grecques.

La lutte entre le gouvernement grec et ses créanciers est décidément rouverte. Alors qu'Athènes présente une réforme des retraites qui risque de fortement déplaire à ses bailleurs de fonds en ce qu'elle tente de protéger le montant actuel des pensions, un nouveau front vient de s'ouvrir. L'annonce du départ du patron de la Banque du Pirée, Anthimos Thomopoulos, a donné, en effet, un nouvel axe d'attaque de la part des créanciers.

Colère d'un fonds spéculatif

Le coup d'envoi de la polémique est donc la démission, le 14 janvier dernier, du patron de la Banque du Pirée. Cette démission a provoqué l'ire d'un des actionnaires de la banque, le fonds spéculatif étatsunien Paulson & Co. Ce dernier avait participé à l'automne dernier à la levée de fonds de la banque, prenant 9% du capital. Selon le fonds, il aurait été entendu, lors des négociations, qu'Anthimos Thomopoulos demeurerait président de l'établissement.

Paulson & Co crie alors aux « pressions politiques » qui auraient contraint le président à partir. Le premier actionnaire de la Banque du Pirée, avec 26% des droits de vote, est le Fonds de stabilité financière hellénique (HFSF), un fonds indépendant chargé de gérer l'argent de « l'aide internationale » destinée aux banques.

Les attaques de Jeroen Dijsselbloem

Pourtant, le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a décidé vendredi, de relayer les plaintes de Paulson & Co. Lors de sa conférence de presse, il a dénoncé « l'influence de la politique dans les nominations des dirigeants de banques » - alors que la nomination du successeur d'Anthimos Thomopoulos n'est pas encore connue. Il s'est aussi dit « inquiet qu'il puisse y avoir une influence négative [de ces événements] dans les perceptions de marché et, ainsi, dans le retour de la Grèce sur les marchés, et donc aussi un impact sur la revue » du programme qui commence ce lundi 18 janvier. Pour enfoncer le clou, le quotidien conservateur Kathimerini publie ce même lundi, de la plume d'un des plus farouches adversaires de Syriza, le journaliste britannique Hugo Dixon, un article faisant le parallèle entre cette affaire en Grèce et la situation en Pologne en évoquant dans les deux cas une « atteinte à l'Etat de droit. » L'offensive est donc lancée.

Un problème d'Etat de droit ?

La comparaison avec la Pologne semble assez peu pertinente. Le gouvernement grec n'a pas - pour l'instant - manipulé les institutions. Certes, Hugo Dixon évoque le renvoi par le gouvernement grec du patron de l'autorité fiscale indépendante. Mais la procédure était légale et, depuis, les rentrées fiscales se sont améliorées. En réalité, le gouvernement Tsipras est si scrupuleux qu'il a maintenu, à la tête de la banque centrale Yannis Stournaras, opposant ouvert au gouvernement actuel et ancien ministre des Finances du précédent gouvernement, nommé par son Premier ministre. D'autres gouvernements n'ont pas eu cette patience et ce respect. L'actuel gouvernement conservateur chypriote, par exemple, a fini par chasser Panikos Demetriadis, le gouverneur de la banque centrale nommé par l'exécutif précédent en mars 2014, sans que cette décision ne provoque, étrangement, l'émotion des créanciers de Chypre et de la presse financière internationale (qui alors soutenait le limogeage du banquier central nommé par la gauche).

Un respect de l'Etat de droit en Grèce ?

Cette comparaison peut même apparaître étrange de la part de créanciers qui se sont donnés, dans le dernier mémorandum, la capacité d'approuver les projets de loi déposés par le gouvernement avant même l'approbation par le parlement. Elle l'est aussi de la part de créanciers qui ont refusé d'entendre le résultat du référendum du 5 juillet et qui ont clairement demandé au gouvernement de « contourner » la décision du Conseil d'État hellénique sur les retraites qui annulait les coupes décidées précédemment sous la pression de la troïka. Les créanciers de la Grèce n'ont, en réalité, pas eu beaucoup de respect au cours des six dernières années pour l'Etat de droit dans ce pays.

Le HFSF est-il indépendant ?

La question centrale est celle du HFSF. Ce Fonds est-il indépendant ou dépend-il du gouvernement grec ? En réalité, l'indépendance de ce fonds n'a pas vraiment été remise en question par les créanciers lorsque les gouvernements grecs leur « convenaient. » L'idée d'une pression politique est assez peu probable. Les trois membres du directoire du HFSF sont certes nommés par le ministère des Finances, mais son choix est examiné par un comité formé pour moitié de représentants de ce ministère et de celui de la Banque de Grèce. Le président du HFSF a été nommé le 16 juillet dernier, époque à laquelle le gouvernement ne cherchait pas réellement à irriter les créanciers.

Fable des "pressions politiques"

De plus, comme l'a prévu le mémorandum, le parlement a approuvé en octobre la constitution d'un « comité de sélection » chargé d'examiner les trois directeurs du fonds. Établi voici quelques jours, il devrait commencer ses travaux dans une semaine. Ce comité est constitué de trois représentants des institutions, de deux du ministère des Finances et d'un de la Banque de Grèce. Autrement dit, le gouvernement grec y est minoritaire ! La direction du HFSF, qui est constitué de banquiers et non de militants de Syriza, n'aurait donc eu aucun intérêt à céder à des pressions politiques d'un gouvernement qui, dans les prochains jours, ne pourra les sauver d'une éventuelle destitution. Du reste, la procédure de recrutement lancé par la Banque du Pirée a fait appel au cabinet de recrutement d'origine suisse EgonZehnder, une référence dans le domaine. Il y a donc volonté de trouver un dirigeant compétent et non un membre de Syriza pour remplacer Anthimos Thomopoulos. Il y a donc à parier que cette idée de « pressions politiques » relève de la fable.

Une affaire privée

En fait, la Banque du Pirée n'est pas une institution de l'État. Et du reste, si l'actionnaire principal de cette banque a souhaité faire partir le président de cette banque, selon la presse financière grecque pour des raisons de divergences sur les stratégies de recapitalisation, il n'y a là rien qui sorte de l'Etat de droit. N'en déplaise à Paulson & Co, on ne fait pas la loi au sein d'une entreprise privée avec 9% du capital, lorsqu'un actionnaire en détient 26%. Depuis quand, les intérêts ou plutôt les vœux d'un fonds spéculatif déterminent ou non le respect de l'Etat de droit dans un pays ?

Une entrave au retour sur les marchés ?

Quant au retour sur les marchés invoqué par Jeroen Dijsselbloem,  c'est une raison qui n'est guère plus valable. Chacun sait que la Grèce aujourd'hui ne peut revenir sur les marchés, avec ou sans Anthimos Thomopoulos à la tête de la Banque du Pirée. Le dernier mémorandum est sans doute une raison beaucoup plus valable que la direction de cette banque pour détourner les investisseurs d'Athènes.

En comprimant encore la demande intérieure, en réduisant encore les perspectives de croissance, en rajoutant encore de la dette à la dette (l'endettement public pourrait atteindre 200% du PIB), c'est bien plutôt les choix de l'Eurogroupe qui détournent les investisseurs de la Grèce. Et seule une intégration de la Grèce dans le programme de rachat de la BCE serait capable de faire revenir les acheteurs, précisément parce que cet achat sera en quelque sorte « garanti » par l'action de Francfort.

L'idée d'un rétablissement de la confiance permettant le retour sur les marchés est parfaitement un mythe dans le cas grec. D'ailleurs, l'intervention de l'État dans une banque n'est pas synonyme de rejet pour les marchés. Lorsque Jeroen Dijsselbloem en février 2013 a nationalisé la banque en faillite SNS Reaal et a exproprié les actionnaires et les détenteurs de dette junior, il n'a pas contribué à faire des Pays-Bas un enfer pour les investisseurs...

Affaiblir le gouvernement grec

Cette polémique a donc été volontairement grossie pour affaiblir un peu plus le gouvernement grec. Le but est évident : montrer que le gouvernement actuel pratique le même clientélisme que ses prédécesseurs et qu'il en dispose pas de la confiance des créanciers. C'est donc un appel assez ouvert aux citoyens grecs à soutenir l'opposition conservatrice.

 Il s'agit aussi d'exercer davantage de pression sur Alexis Tsipras, pour lui faire accepter une réforme des retraites qui engagerait des baisses de pension, ce qu'il continue de refuser. En agitant la menace de la « revue », Jeroen Dijsselbloem a touché le point sensible : sans une revue positive, Athènes ne perdrait pas seulement le déblocage de la seconde tranche de « l'aide », elle perdrait aussi la possibilité de voir la BCE accepter à nouveau la dette grecque comme collatéral (garantie) pour le refinancement des banques grecques. Autrement dit, le gouvernement grec pourrait ne pas voir la situation de son secteur bancaire se normaliser. De plus, sans une revue positive, il n'y aura pas de renégociation de la dette.

Alexis Tsipras de moins en moins soutenu

Le moment est bien choisi pour les créanciers. Car le gouvernement d'Alexis Tsipras commence à perdre le soutien populaire : la « narration » du gouvernement cherchant à atténuer les demandes de la troïka s'affaiblit au fur et à mesure que le mémorandum est déployé.  Le parti de droite Nouvelle Démocratie (ND) est donc pas passé, dans un sondage publié par Alco le 15 janvier devant Syriza. Le Premier ministre ne peut donc pas réellement engager un bras de fer avec les créanciers, comme l'an dernier. Quant à sa majorité, elle risque de tout accepter pour éviter de nouvelles élections qui chasseraient Syriza du pouvoir. Les créanciers sont donc en situation de force. Et ils comptent en profiter pour réduire encore toute volonté de résistance en provenance d'Athènes.

Commentaires 23
à écrit le 20/01/2016 à 9:23
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Grece ,feuilleton à épisodes ..., dont les titres ne changent pas : demain on rase gratis ! comme l'a ecrit Petros Markaris : ..." l'Etat est la seule mafia au monde qui ait réussi à faire faillite ..." mais en fait , ils n'ont pas fait que failli...

à écrit le 19/01/2016 à 18:59
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Après l'épisode Chypre, la Grèce est l'exemple ultime des sanctions que l'UE veut appliquer pour "mauvais" comportements. Que l'on trouve que la Grèce ait un peu truandé ou essaie de pomper des ressources à l'UE sans trop se fouler est possible mais ...

le 20/01/2016 à 11:53
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@vitevu: toutes les civilisations se sont écroulées quand elles ont perdu le contrôle de leurs sociétés. Elles ont perdu le contrôle en raison de l'incompétence des dirigeants, de la corruption rampante et de l'indigence générale en résultant. La civ...

le 23/01/2016 à 14:44
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Aaah ce cher Patrickb, toujours là à se faire passer pour un connaisseur en la matière .... Cette tradition "moyen-orientale" comme tu le dis s'appelle "Byzantine", ... Souhaites tu que je te fasse un petit cour sur la civilisation Byzantine et ce qu...

à écrit le 19/01/2016 à 16:22
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La Grèce ne voulait pas sortir de l'euro pour en garder les avantages et n'obtient, en fin de compte, que les inconvénients! Une fois esclave, elle ne pourra plus en sortir!

le 19/01/2016 à 17:21
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@Bref: l'argent est en effet la seule raison pour laquelle la Grèce veut se maintenir dans l'UE. Pour le reste, c'est un pays avec une mentalité moyen-orientale :-)

le 21/01/2016 à 19:24
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Réponse à Patrick : les clichés, les stéréotypes et les poncifs se ramassent à la pelle dès que vous touchez votre clavier. Vous me rappellez les réacs américains qui ne cessent pas de présenter la France comme un pays communiste

à écrit le 19/01/2016 à 16:22
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Faisons un cauchemar : un jour, Monsieur Dijsselbloem - dont la fonction n'a aucun fondement légal inscrit dans un traité - se mêlera de vouloir dicter à la France toutes ses décisions financières ou économiques. Ce jour-là on verra ce qu'est vériatb...

le 21/01/2016 à 19:27
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Ce n'est pas un cauchemar, ce n'est que votre avenir tout proche

à écrit le 19/01/2016 à 14:19
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Les politiques ne doivent pas intervenir dans la gestion de notre argent par les banques, sauf pour les sauver de la faillite, selon le petit rigolo de Bruxelles.

à écrit le 19/01/2016 à 12:30
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Pourquoi le commissaire européen ne dénonce t il pas non plus l'influence des banques dans la formation des gouvernements ?

à écrit le 19/01/2016 à 12:18
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Been... Chers collègues, vu ce que vient de donner comme chiffres le gars Béchade hier, j'ai vaguement l'impression que nous n'aurons pas le temps de bien profiter d'une nouvelle "crise" grecque... Notez, ils pourront toujours nous la refaire plus ta...

à écrit le 19/01/2016 à 12:14
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La Grèce a largement gonflées ses retraites dans une période d'euphorie européïste, ces dernières étaient également poussées par la hausse sans limite des salaires. Le tout étant financé par de la dette car disait-on le pays allait devenir un coffre-...

le 19/01/2016 à 15:00
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Les oligarques grecs, comme tous leurs homologues européens, ont bien profité des années fastes. Au point de provoquer une crise économique mondiale. Ils profitent maintenant de la socialisation des pertes par la privatisation des profits. Sinon : bo...

à écrit le 19/01/2016 à 11:47
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Article du 2 juillet 2015 : La Grèce n'est pas en mesure d'imprimer des drachmes, car "les presses ont été détruites", a souligné jeudi le ministre des Finances grec Yanis Varoufakis, pour qui la question ne se pose de toute façon pas car "nous vo...

à écrit le 19/01/2016 à 11:44
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On doit écrire en bon français : "Depuis quand les intérêts... déterminent-ILS...?" Et je suis encore plus surprise par la phrase "Le parti de droite... est donc pas passé" !! Sur le fond, merci à R. Godin de continuer à se démarquer de ceux qui hu...

à écrit le 19/01/2016 à 10:49
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Evidemment c'est ainsi ; ce Dijsselbloem n'a-t-il pas prévenu lors de l'affaire cypriote qu'elle devait servir d'exemple d'une pratique à généraliser ? D'autres pourraient arguer d'exemples de Porto-Rico ou du Zimbabwe, du Brésil ou de l'Argentine ...

à écrit le 19/01/2016 à 10:35
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Tsipras boira le calice jusqu'à la lie,si les grecs veulent reprendre leur liberté ,ils doivent sortir de l euro mais ils seront encore plus pauvres mais libres ,cruel dilemme , l euro est pour eux une prison dorée .

le 19/01/2016 à 11:54
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Sauf que vous n'avez jamais commercé à l'international. Et il n'a pas difficile de se rendre compte qu'au plus une monnaie est utilisée, au plus elle est difficilement attaquable. (voir sorros avec la Livre en 1993). Et donc, TOUTE "petite" monnaie d...

à écrit le 19/01/2016 à 10:03
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Voilà ce qui arrive quand on perd la souveraineté sur sa monnaie. Ce sont les fonds privés, spéculatifs qui dictent leur loi, nient l'état de droit, contestent la (les) démocraties. Cette situation d'asservissement peut-elle perdurer? Certainement pa...

à écrit le 19/01/2016 à 9:57
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"Yen a marre de cette démocratie qui empêche de faire d'énormes marges bénéficiaires mais quand est-ce qu'elle va définitivement enfin crever !?." World Company Merci beaucoup pour cet article.

le 21/01/2016 à 19:32
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En fin de compte, si les banquiers et les eurocrates n'y arrivent pas, on peut toujours faire descendre les chars dans les rues. Avec Pinochet, tout marchait bien pour les élites

le 22/01/2016 à 9:41
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Rocard l'avait bien demandé durant les manifestations en Grèce, ils ont tellement peur de perdre leurs indécents privilèges tous...

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