
La tension monte entre l'Italie et la Banque centrale européenne. Alors que l'institution s'active depuis plus de six mois pour tenter de ralentir l'inflation, Rome voit d'un mauvais œil la nouvelle stratégie mise en place. Le gouvernement dirigé par Giorgia Meloni, reproche à la BCE « d'aggraver » la situation économique du pays.
« Il n'y a pas besoin d'un prix Nobel, il suffit d'avoir le bon sens d'une ménagère pour comprendre que certaines décisions ont des effets négatifs car elles amplifient la crise », a lâché le ministre de la Défense Guido Crosetto le 4 janvier dans un entretien au quotidien La Repubblica, dénonçant « le changement soudain de politique de la banque centrale (qui) risque d'avoir un effet particulièrement négatif sur nous ».
En cause, la décision de la BCE de resserrer sa politique monétaire. Depuis le mois de juillet, elle a opéré quatre relèvements de ses taux directeurs, de 50 points de base d'abord, puis de 75 points à deux reprises, pour ensuite revenir à une hausse de 50 points. De plus, la BCE a acté la fin de son programme de rachat de dette publique lancé en 2015 et destiné à racheter massivement des titres obligataires publics sur le marché secondaire, celui où les agents économiques peuvent acheter et vendre des actifs financiers déjà existants. Autrement dit : la BCE rachetait de la dette émise par les Etats afin de faire baisser les coûts de financement de ces derniers et donc de stimuler leur économie.
Elle n'était d'ailleurs pas la seule à avoir lancé de tels programmes, à l'instar de la Réserve fédérale américaine, qui y a également mis fin. Car si l'objectif était jusqu'alors de lutter contre la déflation pour qu'elle se stabilise à 2%, la courbe de la hausse des prix a, désormais, largement dépassé ce seuil dans la zone euro comme aux Etats-Unis ou ailleurs. Les banques centrales ont donc été contraintes d'inverser leur politique pour, cette fois, lutter contre l'inflation. Celle-ci atteignait 9,2% en décembre sur un an dans la zone euro.
« En quelque sorte, c'était la BCE qui finançait la dette publique des gouvernements de la zone euro. Or, ça ne fait pas partie de son mandat qui est de maintenir l'inflation autour de 2%. Compte tenu du contexte actuel, l'institution estime qu'en rachetant des titres de dette publique, elle incite les gouvernements à alourdir leur déficit public pour permettre aux ménages de dépenser davantage, ce qui nourrit la hausse des prix. En cessant son programme de rachat, elle entend pousser les gouvernements à mener des réformes structurelles pour faire baisser leurs dépenses publiques et ainsi ralentir l'inflation », résume Sandrine Levasseur, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)-Sciences Po.
S'endetter coûtera plus cher aux Etats
Or, cette nouvelle stratégie impacte particulièrement l'Italie, pays le plus endetté de la zone euro après la Grèce. Sa dette publique représente 150% de son Produit intérieur brut (PIB). En comparaison, celle française atteint 113% du PIB du pays et environ 70% pour l'Allemagne. Augmenter les taux peut être un « choix compréhensible, mais ne plus intervenir sur les émissions de dette publique comme auparavant est une chose plus difficile à comprendre et à justifier », a donc fait valoir Guido Crosetto. « Il suffit de regarder la loi de finances » pour 2023, a-t-il lancé, pointant qu'il faudra « plus de 20 milliards d'euros de plus que l'an dernier pour payer les intérêts de la dette publique ».
La fin du programme de rachat de dette publique par la BCE signifie « qu'il y aura une hausse des taux pour tout pays qui souhaite s'endetter davantage », résume Sandrine Levasseur. Et pour cause, ils ne pourront plus s'endetter auprès de l'institution mais des marchés financiers qui se montrent plus « exigeants ».
En effet, l'annonce par la BCE de la fin du programme de rachat en juin dernier avait provoqué une hausse brutale du taux d'emprunt italien à 10 ans. Ce dernier avait bondi au-dessus des 4%, une première depuis 2014, avant de redescendre. Or, un seuil trop élevé pénaliserait largement Rome pour lever de l'argent sur les marchés, ces derniers manifestant leur inquiétude quant à ses capacités à rembourser les sommes empruntées. « Du point de vue de la croissance ou encore de la productivité, les marchés ont l'impression que l'économie allemande, par exemple, est en meilleure santé que celle italienne. Ils prêtent donc plus facilement à la première et à des taux plus bas », conclut l'économiste.
Cette hausse inattendue avait surtout creusé l'écart entre le taux à 10 ans italien et celui allemand, pris en référence puisqu'il s'agit du pays qui emprunte au taux le plus bas dans la zone euro. Cet écart, surnommé « spread » avait atteint 200 points de base. Si cela reste bien loin des 600 points enregistrés lors de la crise de la zone euro en 2011, ce fut assez pour faire craindre une fragmentation au sein des économies européennes.
Un nouvel outil de soutien soumis à des conditions
Pour calmer les inquiétudes italiennes, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, avait alors promis un outil anti-fragmentation. Baptisé « Transmission protection instrument » (TPI), il a été approuvé le 21 juillet dernier et « garantira que l'orientation de la politique monétaire est transmise sans heurts dans tous les pays de la zone euro », explique la BCE. « Il pourra être activé pour contrer les dynamiques de marché injustifiées et désordonnées qui menacent gravement la transmission de la politique monétaire dans la zone euro », ajoute l'institution.
Plus précisément, « l'Eurosystème pourra effectuer des achats sur le marché secondaire de titres émis dans des juridictions connaissant une détérioration des conditions de financement non justifiée par les fondamentaux propres à chaque pays ». Il est également précisé que « l'ampleur des achats de TPI dépendra de la gravité des risques de transmission de la politique monétaire ».
Mais ce n'est pas le seul critère imposé par la BCE. Elle précise, en effet, que « le conseil des gouverneurs examinera une liste cumulative de critères pour évaluer si les juridictions dans lesquelles l'Eurosystème peut effectuer des achats dans le cadre du TPI poursuivent des politiques budgétaires et macroéconomiques saines et durables ».
Or « la BCE considère justement que l'Italie ne fait pas assez d'efforts pour réduire sa dette publique », souligne Sandrine Levasseur. De son côté, le gouvernement italien reproche à l'institution son discours qui vise l'Italie, sans la nommer, arguant qu'elle « alimente le feu et encourage ainsi la hausse des taux d'intérêt exigés par les marchés », ajoute-t-elle. Tout en assurant « respecter » l'autonomie de la BCE, la présidente du Conseil des ministres italiens, Giorgia Meloni, a ainsi estimé que « dans la situation dans laquelle nous nous trouvons, il vaudrait mieux éviter de faire des choix » qui aggravent la situation. « Il serait utile de bien gérer la communication, sinon nous risquons de générer, non pas de la panique, mais des fluctuations sur les marchés qui compromettent le travail que les gouvernements font au quotidien », a-t-elle prévenu.
Faut-il pour autant s'attendre à un refus de la BCE d'aider l'Italie si cette dernière risquait la faillite ? Un scénario peu probable, selon l'économiste à l'OFCE. « Le risque est qu'une explosion des taux d'emprunt empêche le pays d'assurer certaines de ses échéances et qu'il se retrouve en banqueroute. Mais ce scénario secouerait énormément la zone euro puisqu'il pourrait conduire à l'exclusion de l'Italie, l'un de ses pays fondateurs. On se questionnerait alors sur la viabilité de la zone économique. Aucun Etat, même ceux réputés pour être les plus durs, n'a intérêt à un tel éclatement », analyse-t-elle.
Toutefois, une aide ne viendrait pas sans contrepartie, prévient-elle, expliquant que « dès lors qu'il y a une solidarité qui se met en place dans l'UE, il est clair que l'institution aura certaines demandes et Giorgia Meloni ne veut pas se retrouver sous tutelle de la BCE en se voyant imposer des mesures de rigueur budgétaires ». De quoi laisser envisager un véritable bras de fer entre l'institution et Rome.
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