Impôt européen sur les sociétés : quel impact pour les entreprises ?

Le projet d'harmonisation fiscale de Bruxelles devrait permettre aux entreprises de faire des économies de gestion et de gagner en visibilité. En revanche, l'absence de précisions, notamment sur les normes comptables, soulève un certain nombre d'incertitudes.
Jean-Christophe Catalon
L'UE compte 28 pays (27 après le Brexit) et autant de politiques fiscales, une situation surprenante alors que les Européens échangent dans un marché commun et qu'une partie utilise la même monnaie.

La taxation des géants du numérique préoccupe beaucoup les ministres des Finances européens, Bruno Le Maire en tête. Mais les GAFA ne sont pas les seuls concernés par les réflexions autour de l'imposition sur les bénéfices.

Depuis octobre 2016, la Commission européenne a relancé un projet d'harmonisation de l'impôt sur les sociétés (IS), aussi appelé Assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Après un premier échec en 2011, faute d'unanimité entre les pays l'Union européenne, les révélations successives sur les pratiques fiscales de certaines entreprises, notamment à travers les LuxLeaks, ont incité les 28 à travailler sur des mesures pour taxer les bénéfices là où ils sont générés.

Plus récemment, la France a annoncé vouloir élaborer, avec l'Allemagne, une position commune sur l'ACCIS d'ici à décembre. De même, le budget prévisionnel sur le quinquennat, présenté par Bercy fin septembre et actuellement en discussion à l'Assemblée nationale, comprend une baisse progressive de l'IS de 33,33% à 25%, proche de la moyenne européenne. Preuve qu'une harmonisation est en cours.

En revanche, les contours ne sont pas encore figés. Dans une étude intitulée "L'ACCIS à l'aune de la compétitivité des entreprises en Europe", l'Institut Friedland, think tank de la CCI Paris Ile-de-France, analyse les impacts potentiels sur les entreprises de cette nouvelle donne fiscale selon les différents scénarios envisagés par Bruxelles.

Réduire les charges administratives ? Oui mais...

L'UE compte 28 pays (27 après le Brexit) et autant de politiques fiscales, une situation surprenante alors que les Européens échangent dans un marché commun et qu'une partie utilise la même monnaie. Pour les entreprises, s'adapter à chaque régime fiscal demande d'assumer des coûts administratifs pour être en conformité.

Adopter un "langage commun" a donc comme avantage de donner de la visibilité à ces sociétés, leur activité n'étant plus sujette aux variations des politiques fiscales de chaque pays dans lequel elles sont implantées. Par ailleurs, cela apporte de la simplicité dans leurs démarches administratives et donc pourrait leur fait réaliser des économies de l'ordre de 800 millions d'euros par an, d'après les estimations de la Commission européenne.

Reste que ce gage de simplicité n'est possible que si les Européens s'accordent sur des normes comptables communes, ce qui n'est aujourd'hui pas abordé dans les textes. "Il faut faire attention à ne pas simplement créer une énième loi ou à faire doublon avec les normes IFRS (standards internationaux, Ndlr)", pointe Delphine Siquier-Delot, analyste à l'Institut Friedland et auteure de l'étude.

750 millions d'euros de chiffre d'affaires mondial

Dans sa première mouture en 2011, le projet prévoyait que l'ACCIS (le dispositif d'harmonisation fiscale européenne) soit facultatif : en clair, les entreprises auraient pu choisir entre appliquer la fiscalité européenne ou celle de l'Etat membre dans lequel elles sont implantées.

Le projet actuel prévoit désormais de rendre obligatoire l'ACCIS, mais seulement aux sociétés réalisant un chiffre d'affaires mondial supérieur à 750 millions d'euros. "Les autres entreprises - et même les plus petites - pourront aussi décider d'opter pour l'ACCIS", précise dans sa présentation du texte le commissaire européen aux Affaires économiques et à la Fiscalité Pierre Moscovici.

Effets de seuils

Problème, cette règle peut créer des effets de seuils, avec des entreprises devant dégager des ressources et du temps afin de déterminer s'il est plus avantageux de maintenir leur chiffre d'affaires en-dessous de ce montant, et de rester sous le même régime fiscal, ou de le dépasser, et de passer au régime européen. En plus, une fois le choix figé, les entreprises doivent s'engager à rester sous le même régime fiscal pendant cinq ans...

Selon l'étude, ce seuil créé également une inégalité de traitement entre les secteurs et même entre les entreprises au sein d'un même secteur. L'Institut Friedland donne l'exemple de la grande distribution en France, avec des groupes organisés de manière intégrée, et d'autres de manière décentralisée via le système des franchises. Les premiers entreront dans le champ de l'ACCIS, quand les autres en seront exclus. "Plus largement, cela pose la question du respect du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt", ajoute Delphine Siquier-Delot.

L'assiette avant la consolidation ?

Le calendrier politique peut aussi impacter les entreprises. Bruxelles a prévu de décomposer la mise en place de l'ACCIS en deux étapes (en deux directives). D'abord l'instauration d'une ACIS, c'est-à-dire une assiette commune mais sans la consolidation (le deuxième "C"), d'ici fin 2018, avant d'ajouter justement la consolidation (encore plus difficile à faire adopter à l'unanimité par les 28) d'ici à fin 2020. Or, les deux directives n'ont pas du tout les mêmes conséquences.

Pas de coup d'arrêt à la concurrence fiscale entre Européens ?

Se cantonner à une assiette commune signifie que les 28 se sont accordés sur la définition du bénéfice imposable, mais les Etats garderaient le pouvoir de fixer le taux d'IS qu'ils souhaitent. Problème : dans ces conditions, la concurrence fiscale va se poursuivre entre les Européens, et les entreprises continueront de s'interroger sur des questions de fiscalité dans leurs stratégies d'implantation, au lieu de se concentrer sur des critères économiques.

Avec la consolidation, les entreprises seraient imposées sur un résultat global agrégeant l'activité de toutes les filiales européennes du groupe et leurs échanges internes. Cette nouvelle donne amènerait les sociétés à engager des réorganisations, selon l'étude de l'Institut Friedland.

Reste que la Commission a des difficultés à convaincre les Etats membres à réaliser cette harmonisation car elle constitue une perte de souveraineté sur un levier d'attractivité pour certains pays. Si, faute d'unanimité, les Européens faisaient le choix de la "coopération renforcée", ou autrement dit, si seulement quelques Etats (neuf au minimum) adoptent l'ACCIS en attendant que les autres suivent, cela pourrait ajouter de la complexité pour les entreprises et être source d'incertitudes. Soit exactement l'inverse des promesses affichées par les objectifs de simplification et de visibilité.

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Définitions

Assiette fiscale : le montant sur lequel est appliqué l'impôt. Si les pays ont des assiettes différentes de l'impôt sur les sociétés, cela signifie que pour un bénéficie donné, le montant déclaré varie.

Consolidation : cela consiste à agréger, à regrouper les résultats comptables de plusieurs sociétés et à les publier en un seul rapport.

Jean-Christophe Catalon
Commentaires 10
à écrit le 21/10/2017 à 10:17
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L'IS moderne et juste n'est plus une imposition sur le bénéfice (ajustable au gré des pouvoirs donnés aux entreprises ) mais un impôt sur le chiffre d'affaires payables par toutes les entreprises . C'est la seule base sur laquelle une possible harmo...

à écrit le 20/10/2017 à 21:44
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et qui va refuser , nos collègues européens Irlande et Luxembourg, les deux pays qui ont pour fond de commerce de piller l'economie des autres.

le 21/10/2017 à 8:14
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@amaldo: tout à fait ! Les IRFS (International Financial Reporting Standards) sont tout à fait clairs. Ce n'est donc pas le "reporting" qui est en question, mais les manœuvres immorales de notamment les deux pays cités :-)

à écrit le 20/10/2017 à 18:19
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S'il s'agit de nommer un ministre des impôts et taxes, je propose de chercher un membre de nos brillantes élites tant elles y excellent; pour la gestion, il vaudrait mieux voir ailleurs qu'en France.

à écrit le 20/10/2017 à 17:26
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Vu combien de telles réformes pourraient bouleverser dans le mauvais sens l’économie de certains États (Irlande, Luxembourg...), il est illusoire d’attendre leur accord. Autant débuter entre Etats volontaires et de préférence gros (Allemagne, France...

à écrit le 20/10/2017 à 17:25
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le projet ACCIS est une fausse bonne idée, pour diverses raisons, et au final une vraie mauvaise idée : - ce projet attaque de front la souveraineté des états, laquelle est certes source de difficultés, mais résulte d'un processus historique auquel...

le 21/10/2017 à 10:32
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et donc , si je vous suis bien, ne rien faire reste la bonne option.....

le 21/10/2017 à 11:32
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La souveraineté est un outil permettant d’atteindre des objectifs de sécurité et de prospérité. S’il n’est plus adapté, il est non seulement possible mais nécessaire de l’adapter. Et dans le cas de l’Europe, l’objectif est aussi de construire une sou...

le 21/10/2017 à 11:36
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Justement, cette réforme essaie de limiter la concurrence fiscale acharnée que nous mènent certains Etats membres en la rendant plus claire. Elle ne va certainement pas la créer !

le 21/10/2017 à 11:41
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Oui l’optimisation fiscale que pratiquent les multinationales passera peut-être par ailleurs, mais est-ce que ça justifie qu’on ne fasse rien pour la contrer ? En conclusion, on ne comprend pas bien les raisons et objectifs de votre argumentation, q...

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