Le mois de juin s'annonce chargé pour Giorgia Meloni. Du 13 au 15 juin, sur la côte adriatique des Pouilles, dans le sud-est de l'Italie, elle accueillera le sommet des chefs d'État du G7, dont la troisième puissance économique européenne assure la présidence cette année. L'accueil pourrait être encore plus chaleureux si la leader de Fratelli d'Italia (Frères d'Italie) transformait les intentions de vote que lui prêtent les sondages en voix lors du scrutin européen du 9 juin et que son parti devenait la première formation de la péninsule.
Depuis son accession au pouvoir en octobre 2022 - une première pour une femme en Italie -, Giorgia Meloni a fait preuve de pragmatisme sur la scène internationale. Vendredi, elle a été chaleureusement reçue par Joe Biden à Washington. Le président américain s'est réjoui des vues communes sur la guerre en Ukraine et celle à Gaza, dont les théâtres, européen et méditerranéen, placent l'Italie aux premières loges. L'administration américaine a également apprécié en décembre le retrait de Rome du projet chinois des nouvelles routes de la soie, visant à développer sous l'influence de Pékin les relations économiques de nombreux pays pour relier l'Europe à la Chine. « Giorgia Meloni est un animal politique pragmatique. Elle suit la traditionnelle politique atlantiste de l'Italie, membre de l'Otan, et ne se démarque pas des positions de son parti, les Frères d'Italie, en matière de politique étrangère », explique Jean-Pierre Darnis, professeur et directeur du master en relations franco- italiennes à l'université Côte d'Azur (Nice). Elle se garde bien d'ailleurs de se prononcer sur la présidentielle américaine de novembre, ayant par le passé soutenu Donald Trump.
Dès son accession à la présidence du Conseil italien, elle a affiché un soutien clair à l'Ukraine face à l'agression russe, critiquant Vladimir Poutine, une remise en question des positions de son parti. « Giorgia Meloni est en quête de légitimité, car elle vient d'un parti dont l'histoire est ancrée dans le fascisme du XXe siècle, explique Luca Tomini, professeur de sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles. Elle a beaucoup appris des erreurs commises par Matteo Salvini lorsqu'il était au pouvoir avec le Mouvement 5 étoiles, erreurs qui l'ont isolé sur la scène européenne et internationale. »
Devenir la 3e formation au Parlement
Giorgia Meloni veut recentrer sa position sur l'échiquier international pour que son pays pèse davantage. « La guerre en Ukraine est une véritable ligne de fracture au sein de l'extrême droite en Europe », souligne Luca Tomini. Le 24 février, elle s'est affichée à Kiev au côté du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à l'occasion du deuxième anniversaire du conflit. Une ligne qu'elle a imposée à sa coalition, soutenue par Forza Italia, la formation de droite de feu Silvio Berlusconi, et la Ligue, la formation d'extrême droite de Matteo Salvini, proche de Moscou, qui vient à nouveau d'être critiqué pour avoir jugé qu'il fallait s'en remettre aux médecins et juges russes pour déterminer les causes de la mort de l'opposant Alexeï Navalny.
Cette fracture sera d'ailleurs l'un des enjeux du scrutin européen. Au Parlement, l'extrême droite est divisée aujourd'hui entre Identité et Démocratie (ID), qui regroupe entre autres la Ligue italienne, le RN français, et l'AfD allemande, et les Conservateurs et réformistes européens (CRE), où se retrouvent les Frères d'Italie, le PiS polonais, la Vox espagnole, mais aussi, depuis février, Reconquête, dont la liste sera menée par Marion Maréchal. En juin, le RN et Frères d'Italie sont bien positionnés pour devenir les leaders respectifs d'ID et du CRE, au détriment de la Ligue et de PiS, entraînant un match dans le match entre les deux groupes pour devenir la troisième formation derrière le Parti populaire européen (PPE - droite) et S&D (sociaux-démocrates). Aujourd'hui, le CRE et ID sont respectivement les 5e et 6e formations du Parlement.
Selon la dernière projection en sièges réalisée par Euractiv en janvier, ID pourrait
devenir la 3e force (de 83 à 96 sièges), grâce à une poussée du RN, qui passerait de 18 à 26 sièges, et le CRE la 5e (entre 73 et 84 sièges), avec les Frères d'Italie, qui progresserait de 10 sièges à 23 sièges, et une Ligue, membre d'ID, qui pourrait chuter de 23 à 8 sièges. « Un tel échec pourrait coûter à Matteo Salvini la présidence de la Ligue », juge d'ailleurs Luca Tomini, ce qui réduirait son influence au sein de la coalition à Rome. A contrario, « un succès de Giorgia Meloni permettrait au CRE de se retrouver en position stratégique si le PPE cherchait des appuis », indique l'analyste.
Une rivalité avec Marine Le Pen
Cette compétition entre le RN de Marine Le Pen et des Fratelli de Georgia Meloni exclut aujourd'hui tout rapprochement au niveau européen. « Ces deux formations ont des matrices culturelles et sociales très différentes », rappelle Jean-Pierre Darnis. De fait, Meloni se verrait bien après le 9 juin, via le CRE, devenir un partenaire privilégié du PPE, en lui apportant les voix nécessaires à l'obtention d'une majorité.
Ces dernières semaines, la Première ministre italienne et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sont sur la même longueur d'onde. Concernant sa politique migratoire, Rome a pu compter sur le soutien de l'Allemande. Et l'Italie a, grâce à elle, obtenu le déblocage des premières tranches du plan de relance Next Generation EU, dont le pays est le principal bénéficiaire, avec l'octroi de 200 milliards d'euros dont une part en subventions. A contrario, la responsable allemande, qui compte briguer un deuxième mandat à la tête de la Commission européenne, aura besoin des voix du groupe CRE pour être élue. « Il y a des convergences entre le PPE et les conservateurs, comme on l'a vu par exemple sur le vote de soutien au green deal, estime Luca Tomini. Par ailleurs, Giorgia Meloni veut jouer un rôle actif dans les futurs choix de la Commission, par exemple sur les nominations aux postes clés. Ainsi, cela pourrait être une situation gagnant-gagnant pour les deux femmes. »
Paradoxalement, les mauvaises nouvelles dans le parcours sans faute de Giorgia Meloni pourraient venir de la gauche. Le week-end dernier, lors de l'élection régionale, la Sardaigne a basculé dans l'opposition, la députée 5 étoiles Alessandra Todde, soutenue par le Parti démocrate, ayant battu sur le fi l (45,4 % contre 45 %) le maire de Cagliari Paolo Truzzu, membre des Frères d'Italie.