À Rafah, l’angoisse et le désespoir des Palestiniens

Alors qu’Israël menace de lancer une offensive terrestre contre la ville du sud de l’enclave, de nombreux déplacés ne mangent plus à leur faim.
Rafah, le 19 février. « Il y a un niveau de désolation sans précédent », déplore le Programme alimentaire mondial.
Rafah, le 19 février. « Il y a un niveau de désolation sans précédent », déplore le Programme alimentaire mondial. (Crédits : © MOHAMMED ABED/AFP)

« Mes enfants me demandent sans cesse quand on va rentrer à la maison et dormir dans de vrais lits », raconte par téléphone Ayman. Le père de famille est exténué, les bombardements résonnent au loin et la ligne est de mauvaise qualité. Mais ce Palestinien d'une quarantaine d'années arrive à trouver un peu de réseau pour raconter son quotidien grâce à une carte SIM égyptienne. Depuis le lancement des représailles israéliennes aux attaques du Hamas du 7 octobre, ses deux enfants, sa femme enceinte de six mois et lui ont été déplacés de force trois fois de la ville de Gaza. Aujourd'hui, ils vivent sous une tente à Rafah, dans l'extrême sud du territoire. Ils dorment sur des matelas posés au sol. Quelques couvertures et seulement les habits qu'ils portaient le jour où ils ont fui.

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« Je n'arrive pas à dire à mes enfants que notre maison a été réduite à l'état de gravats, avoue Ayman. Nous avons tout perdu en une fraction de seconde. Tout ce que nous avions construit. En ce moment, c'est comme si on courait pieds nus sur une forêt d'épines. C'est terrible, mais le pire est de ne pas savoir quand cela va s'arrêter, ce qui va arriver ensuite. À Rafah, c'est une angoisse permanente. »

L'aide humanitaire est insuffisante

Israël menace de lancer une offensive terrestre sur cette ville frontalière de l'Égypte, où s'entassent 1 million de déplacés, si le Hamas ne libère pas les derniers otages d'ici au début du ramadan, vers le 11 mars. Les pourparlers pour instaurer une trêve patinent. « S'il y a une attaque israélienne, ce sera un carnage, prévient Ayman. Ceux qui ne vont pas mourir n'auront plus accès à rien. Je ne supporterai pas de voir mes enfants mourir de faim. »

Dans l'enclave côtière, le nombre de camions d'aide humanitaire est toujours largement insuffisant. En cause ? La fermeture des points de passage, à l'exception de ceux de Rafah depuis l'Égypte et de Kerem Shalom depuis l'État hébreu, les multiples contrôles israéliens auxquels sont soumis les semi-remorques. Mais aussi les bombardements et les combats au sol qui se poursuivent et entravent la progression des véhicules. « Il y a un niveau de désolation sans précédent. Les habitants risquent de mourir de faim alors qu'à quelques kilomètres d'eux se trouvent pourtant des camions remplis de nourriture qui attendent [de franchir les points de passage] et chaque heure perdue met d'innombrables vies en danger », a déploré le Programme alimentaire mondial (PAM).

Dans le Nord coupé du monde, les habitants se rabattent sur les herbes sauvages comme le khubeizeh (de la mauve). Des vidéos montrent des Gazaouis se jetant sur les camions d'aide pour les dépouiller et récupérer quelques cartons. Parfois un chauffeur est frappé, des poids lourds esquivent des tirs d'armes à feu. Faute de pouvoir assurer la sécurité des humanitaires, le PAM a décidé mardi dernier de suspendre à nouveau ses activités dans cette zone. Les représailles israéliennes ont entraîné un effondrement total des services publics, la destruction des infrastructures et la disparition de l'administration publique. C'est le chaos.

« Je n'ai jamais vu ça, soupire Khaled, employé d'une ONG médicale déplacé à Rafah. Des jeunes ramassent de la farine à même le sol. Il y a un marché noir à Gaza, mais à quel prix ? Tout a été multiplié de manière exponentielle, ce qu'il y a dans les rayons est inabordable. » Un paquet de riz de 1 kilo coûte désormais 75 shekels, soit près de 20 euros. Le sac de farine de 20 kilos peut atteindre 500 euros au marché noir. « Il faut faire la queue plusieurs heures et à la fin il n'y a parfois plus rien, souffle Khaled. Alors on a faim. Presque tous les adultes sautent des repas. Dans certaines zones, les femmes utilisent le moins possible les toilettes insalubres où l'intimité manque. L'eau potable n'est plus qu'un vague souvenir. »

Sur sa page Instagram, Youssef a posté une photo de son fils Ahmed, tout sourire : sur son visage, une moustache blanche de yaourt. « C'était la première fois qu'il en mangeait un depuis les cent dix-sept jours de la guerre », raconte dans un message vocal ce père de deux enfants, 31 ans, déplacé de la ville de Gaza. Les yeux d'Ahmed se sont illuminés devant les petits pots bleu et blanc de laitage qu'il mangeait quotidiennement avant la guerre : « Ça m'a réchauffé le cœur de le voir si content, mais ça m'a brisé en même temps. Ce n'est plus une vie, ce n'est pas celle à laquelle on aspirait. Toutes ces privations, ces déplacements, cette violence, ces morts, tous ces deuils, ce cauchemar permanent... Cela restera dans leurs mémoires. Comment les rassurer alors que même nous, adultes, nous ne savons pas de quoi sera fait le lendemain ? »

Presque tous les adultes sautent des repas. L'eau potable n'est plus qu'un vague souvenir

Khaled, employé d'une ONG médicale

« Qui se soucie de nos vies ? »

Signe du désespoir, quelques manifestations sporadiques sont apparues. À Rafah cette semaine, des enfants ont pris des pancartes de carton et sont sortis dans la rue pour exprimer leur mécontentement, appeler à un cessez-le-feu et à un meilleur acheminement de l'aide humanitaire. Fin janvier déjà, une petite centaine de Gazaouis étaient sortis dans les rues de Khan Younès malgré les combats et les bombardements. « Bedna salam, bedna salam » (« nous voulons la paix »), chantait le cortège. Sur des vidéos postées par plusieurs habitants et des journalistes, on y voyait des hommes et des femmes défiler avec des drapeaux blancs ou levant des bidons d'eau vides, symbole du manque d'accès à l'eau potable dans cette minuscule bande de terre. « Qui se soucie de nos vies ? Personne. Ni la communauté internationale, ni Israël, encore moins le Hamas. C'est toujours la même chose : ici, ce sont les civils qui paient le prix », témoigne Taha, un père de six enfants qui a participé aux manifestations. Lui et sa famille ont dû quitter leur logement dans le Nord pour se réfugier au sud de Khan Younès.

Si les Palestiniens tiennent Israël comme le premier responsable de leur situation, les critiques à l'égard du mouvement islamiste au pouvoir se multiplient. « On commence à les entendre sur les rares marchés ou dans les rassemblements pour attendre l'aide humanitaire, poursuit Taha. Les gens n'ont plus rien à perdre, ils sont affamés, ils ont l'impression que quelqu'un se fait de l'argent sur leur dos avec le marché noir. Le Hamas n'a pas encore été détruit, mais il ne fait pas non plus grand-chose pour améliorer notre situation. »

Commentaire 1
à écrit le 25/02/2024 à 5:47
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Palestiniens et Israéliens sont engages dans une guerre démographique, tout cela ne pouvait finir que par la famine

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