Le choc de la pandémie se prolonge sur l'ensemble du Vieux continent. Près d'un an après l'arrivée de cette maladie infectieuse en Europe, les autorités sanitaires s'inquiètent grandement de la multiplication des variants. Beaucoup de pays ont de nouveau durci leurs mesures d'endiguement et le fiasco de la campagne de vaccination repousse toujours les espoirs d'une reprise rapide au cours du premier semestre. Dans ce contexte sinistré, les ministres des finances de la zone euro, dans le cadre de l'Eurogroupe se sont réunis ce lundi au cours d'une rencontre virtuelle informelle. Demain, c'est au tour des ministres des Finances des 27 (Ecofin) de se retrouver. L'heure est cruciale pour les pays européens qui traversent une crise sanitaire et économique historique.
La solvabilité des entreprises inquiète au plus haut
La récession qui frappe le continent européen provoque des dégâts colossaux sur les entreprises. Si la plupart des Etats ont mis en oeuvre des dispositifs jugés relativement efficaces par la plupart des économistes, la durée de la crise soulève des inquiétudes dans les couloirs bruxellois. « Un quart des entreprises en Europe aurait eu des problèmes de liquidité en 2020 selon la Commission européenne. La Commission souligne le rôle important des prêts garantis par l'Etat. Cela a évité une forte hausse des endettements et certaines entreprises ont même pu faire des réserves pour leur trésorerie » rappelle l'entourage du ministre de l'Economie Bruno Le Maire lors d'une réunion avec les journalistes.
Il n'empêche que la situation financière des firmes européennes inquiète au sommet de l'exécutif français. « ll ne faut pas retirer trop rapidement ces aides sinon il existe un vrai risque de 'zombification' de l'économie. Il faut maintenir ces dispositifs » ajoute Bercy. Le moment de la sortie de crise pourrait être déterminante. Face aux risques d'une hécatombe dans les rangs des entreprises européennes, « l'idée est de développer les prêts participatifs à destination des entreprises viables. Les aides d'Etat doivent se transformer en dispositif de soutien à l'économie » plaide le ministère de l'Economie. Du côté français, « la situation des entreprises va dépendre des restrictions mises en oeuvre sur le plan sanitaire. Tant qu'il y aura des fermetures administratives, les aides se poursuivront » assure-t-on. Si les aides d'Etat sont en théorie interdites par les traités européens, la Commission européenne a assoupli sa réglementation depuis le début de la crise et a même annoncé qu'elle allait prolonger cet assouplissement jusqu'à la fin de l'année 2021. Normalement, quand un Etat de l'UE accorde une aide à l'une des entreprises de son pays, il doit recevoir l'aval de la Commission européenne qui veille à la bonne marche de la concurrence au sein de l'Union.
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Une dépendance accrue, une relocalisation ciblée
La pandémie a jeté une lumière crue sur l'extrême dépendance de l'Europe à l'égard du monde et en particulier de l'Asie. La Chine est ainsi devenue pour la première fois le premier partenaire commercial de l'Union européenne en 2020. La pénurie de gel, de masques et de traitements médicamenteux ont provoqué l'affolement des populations au printemps 2020. Un an après ce cataclysme, Bruno Le Maire et et le commissaire européen Thierry Breton veulent montrer qu'ils mettent le paquet sur la relocalisation de produits critiques. Lors d'un point presse ce lundi midi au ministère de l'Economie et des Finances, les deux responsables ont mis l'accent sur la nécessité de rapatrier certaines activités.
« Il nous apparaît indispensable de renforcer la stratégie industrielle en maintenant la capacité industrielle, en la renforçant dans un avenir proche et en renforçant la souveraineté. La crise nous a montré les lacunes en matière de santé et de composants électroniques [...] Le point le plus important est de renforcer l'indépendance technologique de l'Europe. Nous le faisons au niveau national dans le plan de relance en créant de nouvelles chaînes de valeur en France. Certaines sont très importantes comme le luxe, l'agroalimentaire, l'aéronautique mais la crise nous a montré les lacunes et nous nous sommes trouvés désarmés. C'est pourquoi nous avons fait le pari de l'hydrogène, le calcul quantique ou l'intelligence artificielle » a déclaré le ministre français de la Relance à l'issue de sa réunion avec le commissaire.
Si certains pays ont conservé un tissu industriel relativement important, beaucoup de grandes puissances européennes comme la France ont connu une désindustrialisation spectaculaire depuis des décennies. De façon plus globale, la part de l'industrie dans l'économie européenne s'est fortement effritée depuis le début des années 90.
Si quelques économistes et responsables politiques plaident pour une relocalisation importante des activités industrielles et le retour d'une planification, ce n'est pas vraiment la ligne défendue par Bruno Le Maire et Thierry Breton. « Par relocalisation, on n'entend pas le rapatriement de toutes les activités. Nous voulons créer les chaînes de valeur sur des produits critiques qui permettent d'assurer l'indépendance nationale et européenne » a expliqué Bruno Le Maire interrogé sur ses ambitions. « II n'est pas question de refaire de la planification comme l'a fait l'Europe de l'Est » a ajouté l'ancien PDG d'Atos.
Une reprise économique en sursis
La pandémie oblige les économistes à revoir régulièrement leur scénario et prévisions économiques. Lors de leur réunion, les ministres de l'Union monétaire ont abordé les dernières projections macroéconomiques de la Commission européenne. « Les prévisions macroéconomiques sont plus optimistes en raison de la mise en oeuvre des campagnes de vaccination, la résilience des économies européennes au second semestre, l'accord avec le Royaume-Uni. Le scénario est légèrement revu à la baisse pour le premier semestre et est révisé à la hausse pour le second semestre » a analysé l'entourage de Bruno Le Maire. Il reste que de nombreux aléas planent au dessus de la reprise. « On redoute les effets d'hystérèse (des phénomènes persistants) sur l'économie comme les hausses des faillites, l'augmentation des d'inégalités » explique Bercy.
Si beaucoup d'exécutifs se sont félicités d'un accord sur le plan de relance à l'échelle européenne l'été dernier après d'âpres et interminables réunions, d'autres épreuves importantes attendent les Etats européens. En effet, le bras de fer entre la Commission et certains gouvernements sur le sujet des réformes à présenter en contrepartie des aides risque une nouvelle fois d'entraîner des frictions freinant la mise en oeuvre de l'arsenal budgétaire et les dispositifs de prêts. En outre, la reprise en ordre dispersé pourrait creuser les fossés au sein d'un continent déjà miné par la crise de 2008 et la crise des dettes souveraines de 2012. « Il plaidera pour une coordination économique plus soutenue entre les pays de la zone euro. Il ne faut pas que la reprise accentue les déséquilibres au sein de la zone euro » assurent les proches de Bruno Le Maire.