Slovénie : la BCE conteste l'action de la justice contre la banque centrale

Le justice slovène a saisi des documents au siège de la banque centrale le 6 juillet dans le cadre d'une affaire liée à la crise bancaire de 2013. Mario Draghi a envoyé une lettre de protestation et veut engager des poursuites contre l'Etat slovène. Avec raison ?
La Slovénie s'oppose à la BCE sur une affaire judiciaire.

La BCE, on le sait, est particulièrement jalouse de son indépendance. Elle en a aussi une des interprétations les plus extensives du monde, lorsqu'on la compare à celles d'autres banques centrales. L'institution de Francfort a encore prouvé cette double ligne de conduite mercredi 6 juillet. Le président de la BCE, Mario Draghi, a ainsi envoyé deux lettres de protestation. L'une au président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, l'autre au procureur général de Slovénie, Svonko Fiser.

La colère de Mario Draghi

L'objet de l'ire présidentielle est une descente de police dans les locaux de la banque centrale slovène, la Banka Slovenije (BS) où plusieurs documents ont été saisis, dont certains, comme l'ordinateur du gouverneur de la BS, Boštjan Jazbec, sont considérés par Mario Draghi comme étant des « données confidentielles de la BCE » protégées par la loi européenne. « La saisie d'informations détenues par la BCE ou appartenant à la BCE, où que ces informations se trouvent, et qu'elles soient classées secrètes ou non, est en contradiction avec le protocole sur les privilèges et les immunités de l'UE », estime Mario Draghi. Pour la BCE, la police slovène ne pouvait donc pas saisir les documents détenus par la Banka Slovenije à Ljubljana sans son autorisation. La BCE se réserve le droit de porter l'affaire en justice.

La Slovénie est membre de la zone euro depuis 2009. La banque centrale du pays est donc depuis intégrée dans l'Eurosystème : la BS est actionnaire de la BCE, mais aussi son représentant chargé d'appliquer sa politique monétaire et financière dans cet Etat de 2,1 millions d'habitants ancien membre de l'ex-Yougoslavie. Son gouverneur siège ainsi au Conseil des gouverneurs de la BCE. Distinguer ce qui relève de la BCE et, strictement, de la Banka Slovenije, est donc très difficile. Il est toujours possible, alors, d'avancer une interprétation très large visant à considérer que les banques centrales nationales sont protégées par les mêmes immunités que la BCE.

Le sauvetage bancaire à la slovène

De quoi s'agit-il exactement dans le cas slovène ? Les autorités sont venues chercher des documents dans le cadre d'une enquête en lien avec le renflouement des banques slovènes à la fin de 2013. A cette époque, la situation des trois grandes banques du pays était désespérée en raison du poids des créances douteuses dans leurs bilans. La raison de ces difficultés était double. D'abord conjoncturelles : la Slovénie a été affectée par la baisse de la demande mondiale après 2008 et par la récession dans l'ensemble de la zone euro à partir de 2011, conduisant à de nombreuses faillites d'entreprises. Mais cet élément a été aggravé par une mauvaise gestion de ces banques qui, sous la pression politique, avait accepté de prêter à des entreprises douteuses et fragiles.

Ljubljana devait alors trouver absolument un peu plus de 4 milliards d'euros. Le choix était clair : la Slovénie pouvait demander l'aide du Mécanisme européen de stabilité (MES) et passer sous les fourches caudines d'une participation des créanciers, déposants et actionnaires des banques (dont l'Etat) accompagnée d'une cure d'austérité sévère ou bien trouver de l'argent sur les marchés. C'est cette dernière option qui a été choisie, car quoique plus onéreuse, elle permettait d'éviter l'arrivée de la troïka. Le gouvernement a alors créé une « structure de défaisance », la Bank Asset Management Company (BAMC) pour recevoir sous garantie d'Etat les mauvaises créances.

Mais pour adoucir la facture, on a décidé de faire contribuer une partie des créanciers des banques, les détenteurs des créances dites subordonnées (autrement dit non prioritaires). Ces derniers ont perdu 400 millions d'euros, ce qui a permis de protéger les autres créanciers. L'Etat y était doublement gagnant : sa garantie était réduite et ses créances envers les banques protégées. Mais plusieurs petits porteurs n'ont pas apprécié et ont contesté l'évaluation des risques et du besoin de renflouement réalisée par la banque centrale. Leur version prétend que la Banka Slovenije a agi pour favoriser les banques et l'Etat. La plainte principale concerne les créanciers de la Nova Ljubjanska Banka (NLB), la principale banque du pays pour quelque 257 millions d'euros.

La justice slovène conteste la vision de la BCE

Le procureur général slovène a alors demandé un certain nombre de documents à la Banka Slovenije qui a refusé de les transmettre, se prévalant toujours de son indépendance et de son immunité. Il a alors demandé l'intervention de la police pour saisir les documents. En réponse à Mario Draghi, il a précisé que « les suspects concernés n'agissaient pas en tant que représentant de l'UE et ont été traités en tant qu'employés d'une institution slovène ». La procédure va donc se poursuivre et elle concerne directement Boštjan Jazbec et plusieurs responsables majeures de la Banka Slovenije.

En réalité, la défense de la BCE ne tient pas puisque l'Union européenne n'a pas été concernée par le renflouement des banques slovène et c'était même là le cœur de l'opération du gouvernement slovène : éviter l'intervention du MES. Tout se passe comme si, selon les circonstances, les banques centrales nationales jouent sur l'ambiguïté de leur statut. Lorsque la BS a besoin d'organiser un sauvetage bancaire, elle est un organe national, mais lorsqu'elle doit s'expliquer sur ce sauvetage, elle n'est plus qu'un membre de l'Eurosystème et en cela, elle bénéficie de l'immunité de l'UE... le plus inquiétant demeure que le président de la BCE soutienne - au besoin juridiquement - cette manœuvre de défausse.

L'erreur de la BCE

Ceci est d'autant plus inquiétant que la Slovénie a clairement besoin de transparence. Une des plaies du pays est en effet la corruption politique, comme la crise l'a clairement montré. L'affaire de l'ancien premier ministre Janez Janša, emprisonné pour une affaire de pots-de-vin avant d'être libéré, et de se considérer lui-même comme victime d'un règlement de compte politique, en a été un autre exemple. A la différence d'autres pays, cependant, la Slovénie a pris ce problème au sérieux et en a tenté d'améliorer la situation. L'élection du centriste Miro Cerar après les élections de 2014 au poste de premier ministre a ainsi représenté une rupture avec le personnel politique ancien.

Compte tenu du prix important que l'économie et le système financier slovène ont eu à payer à la collusion politique, la BCE aurait toutes les raisons de soutenir les efforts de la justice slovène, au lieu de protéger ses privilèges. La position de la BCE est difficilement tenable, car, précisément, l'enquête slovène n'atteint pas son indépendance, mais s'interroge sur la réelle indépendance de la Banka Slovenije en 2013. En théorie, donc, la justice de Ljubljana vient en appui des intérêts de la BCE. La protestation de Mario Draghi ne saurait donc se justifier autrement que par une défense « catégorielle » qui entretient une image de manque de transparence. Cette susceptibilité est donc bien mal venue.

Un « miracle économique slovène » ?

La Slovénie a affiché en 2015 une croissance de 2,9 %, en hausse de 0,1 point par rapport à 2014. C'est un des rares pays à avoir retrouvé une croissance proche du rythme d'avant la crise de 2008. Comment ce « miracle » a-t-il pu se produire après la terrible crise bancaire qui a secoué le pays ? Beaucoup d'économistes évoquent, comme souvent, les « réformes » pour expliquer cette renaissance. Il est vrai que le coût du travail réel a reculé dans le pays de 1,1 % en 2015 après 2,1 % de baisse en 2014, ce qui a conduit à une augmentation des exportations de 5,2 % en 2008 et de 5,8 % en 2015. Mais cette baisse ne s'est pas faite au détriment des salaires qui ont crû de 1,1 % en 2014 et 0,8 % en 2015. La baisse s'explique par une réduction des taxes sur le travail qui n'a été qu'en partie compensée dans le budget : le déficit structurel a ainsi progressé de 2,1 % à 2,7 % du PIB entre 2013 et 2015. Si, donc, l'apurement de la socialisation de la dette bancaire et la croissance a permis de réduire le déficit budgétaire de 15 % du PIB à 2,9 % du PIB sur la même période, la Slovénie a évité une cure d'austérité violente que lui aurait promis un recours à la troïka.

Un bon « policy mix »

La consommation des ménages a pu ainsi sauver la croissance, aidée par la baisse du prix de l'essence. La Slovénie a certes dû faire face à des mesures budgétaires difficiles, mais cet ajustement a été limité et s'est déroulé dans un environnement meilleur que les autres pays périphériques en 2010. En 2013, la croissance de la zone euro était revenue, alimentant la demande en produits slovènes. Surtout, la baisse des investissements publics a largement été compensée par la forte hausse des investissements européens. Enfin, la crise bancaire n'a été que l'ajustement d'une crise économique entamée en 2008. Fin 2013, le PIB était 12 % en deçà du niveau de celui de cinq ans auparavant. Le plus dur pour l'économie slovène était donc passé et la crise bancaire n'a été qu'un phénomène annexe de cette crise qui s'est résorbée, du reste, plus lentement qu'ailleurs dans la zone euro. Plus que la simple magie des « réformes », c'est bien plutôt un bon « policy mix », ou dosage des politiques économiques, ainsi qu'un bon calendrier, qui a permis à la Slovénie de sortir la tête de l'eau.

Le revers du miracle

Car il convient de ne pas surestimer le « miracle slovène ». Le PIB du pays au premier trimestre 2016 en données désaisonnalisées était encore de 5,5 % inférieur au pic du troisième trimestre 2008. En 2015, le PIB par habitant était 6,5 % sous son niveau de 2008. Le taux de chômage, en moyenne à 6,5 % entre 1996 et 2011, se situe encore à 9,3 %. La croissance slovène est vive, mais elle créé moins d'emplois. De même la croissance de la consommation reste très en deçà de la moyenne de 1996 à 2011 (2,6 %). Rien d'étonnant à cela : le taux de ménage en risque de pauvreté, selon Eurostat, est passé de 10 % à 17 % entre 2009 et 2014. Le pays va donc mieux, ce qui n'est pas rien quand on voit l'atonie de la croissance dans la Croatie voisine, mais il reste convalescent.

Commentaires 5
à écrit le 10/07/2016 à 4:15
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La BCE est indépendante dans ses decisions ( en théorie ). Elle veut maintenant être au dessus des lois . Pour pouvoir faire encore plus de conneries et faire marcher encore plus la planche a billets ? Pour rappel la BCE a un compte de résultat et...

à écrit le 08/07/2016 à 18:40
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La BCE, la Commission européenne et super Baroso qui va intégrer Goldman Sacs. Tout ce petit monde est sans foi ni loi et fait régner la terreur. Il est grand temps que cette terreur se retourne contre eux.

le 09/07/2016 à 8:29
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Avec le Brexit les masques tombent, et en effet Barroso qui part chez Gsachs est un signal on ne peu plus clair !

à écrit le 08/07/2016 à 17:44
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Obstruction à la justice. Qui peut y avoir intérêt sinon ceux qui ont des choses à se reprocher ? Draghi n'hésite pas à prendre le risque de couvrir des délits. Pour qu'elle raison ? Pour défendre un principe ? Lui, le pragmatique ?

à écrit le 08/07/2016 à 17:36
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Il y avait peut-être des informations sur d'autres sujets financiers dans les ordinateurs, que la BCE ne souhaitait pas voir entre les mains de la justice Slovène... qui sait. Le monde est bien méchant. "Patapouf 1er" dirait, le chantage, cela existe...

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