Zone euro : la croissance du revenu des ménages au plus haut depuis 2001

Le revenu disponible brut des ménages de la zone euro a crû de 0,89 % au premier trimestre. Du jamais vu depuis 15 ans. Mais la croissance reste fragile et pose des défis à la BCE.
Les ménages européens ont un pouvoir d'achat en hausse. Est-ce durable ?

La consommation des ménages a été le moteur principal de la croissance de la zone euro au premier trimestre 2016. Sur les 0,6 % de croissance trimestrielle enregistrée entre janvier et mars, la moitié trouve sa source dans les dépenses des particuliers. Par rapport au premier trimestre 2015, la contribution est encore plus notable puisque la consommation a contribué à apporter un point de croissance sur les 1,7 % enregistré, soit 59 %.

Niveau record depuis 2001

Pour comprendre ce phénomène, Eurostat publie ce jeudi 28 juillet l'évolution du revenu disponible brut (RDB) des ménages de la zone euro au premier trimestre. Il affiche une hausse soutenue de 0,89 % en termes réels sur trois mois. C'est presque trois fois plus qu'au trimestre précédent (+0,32 %). Un tel chiffre n'a été dépassé qu'une seule fois depuis 1999 et la création de la zone euro. Ce fut au cours du premier trimestre 2001. Il avait alors affiché une croissance trimestrielle de 1,28 %. Il n'a été égalé qu'une fois au premier trimestre 2009, sous l'effet de la très forte baisse des prix due à la crise financière.

L'élément nouveau de ce premier trimestre 2016 - et qui explique la forte croissance de la zone euro - est la « transformation » de cette croissance des revenus en croissance réelle de la consommation des ménages. Cette dernière progresse de 0,84 %, ce qui est du jamais vu depuis le premier trimestre 2001 (où la hausse était alors de 1,01 %). C'est même depuis 1999, la quatrième plus forte croissance trimestrielle de la consommation réelle de l'histoire de la zone euro. Les ménages ont donc profité de la forte croissance de leurs revenus pour consommer beaucoup.

La part de la baisse des prix

Pour expliquer ce phénomène, il faut d'abord expliquer les modalités de la hausse du revenu disponible au premier trimestre. Parmi les composantes de cette hausse, il faut d'abord souligner la part de la baisse des prix. Le revenu nominal a en effet progressé de 0,65 %. L'effet positif de la baisse des prix à la consommation - principalement celle des prix de l'énergie et de l'essence - sur les revenus a donc été sensible : de 0,24 point de pourcentage, soit pas moins de 27 % de la hausse trimestrielle. Il faut noter que c'est ici la quatrième plus forte contribution positive de la baisse des prix à la hausse du revenu disponible après le premier trimestre 2015 (0,28 point de pourcentage) et les deux trimestres du pic de la crise financière de la fin 2008 et du début 2009.

Contribution modeste des salaires

Reste qu'avec une progression de 0,65 %, le revenu nominal réalise une croissance inédite depuis le deuxième trimestre de 2008, donc depuis le début de la crise financière. C'est un élément encourageant, même si, du point de vue historique plus large, ce chiffre demeure relativement moyen : c'est la 32ème plus forte hausse sur 81 trimestres. C'est donc plus le signe d'un retour à la normale que d'une vraie performance. Reste que la hausse est nette par rapport au dernier trimestre de 2015 (alors à +0,43 %) et par rapport au premier trimestre de 2015 (+0,59 %). Comment expliquer cette accélération ? Pas par la croissance des salaires. La contribution des salaires versés à la croissance du RDB nominal est de 0,3 point de pourcentage sur le trimestre, soit moins de la moitié. C'est la même contribution qu'au dernier trimestre 2015 et c'est un point de moins qu'au premier de cette même année. Le poids des salaires dans la croissance du revenu est donc proportionnellement moins élevé. Pourtant, le chômage a continué à reculer en zone euro, mais les salaires demeurent sans aucune dynamique. L'effet sur le revenu global est donc faible.

Les autres contributions

Les prestations et transferts sociaux ont apporté 0,3 point de croissance au RDB au premier trimestre 2016. C'est un point de plus qu'au trimestre précédent, mais autant qu'un an plus tôt. On constate cependant que le poids de cet élément, souvent considéré comme des « dépenses inutiles » dans la croissance du revenu des ménages n'est pas anodin dans la croissance du revenu. Le bon chiffre du début de cette année s'explique cependant par deux autres éléments. D'abord, la contribution positive de l'excédent brut d'exploitation des ménages, autrement dit des revenus de leur patrimoine de 0,2 point de croissance. Certes, une telle contribution trimestrielle s'est certes constatée deux fois en 2015 (premier et troisième trimestre), mais elle ne s'était jamais vu entre le troisième trimestre 2010 et le premier de 2015. Autre élément, la ponction fiscale, qui ôte 0,1 point de croissance au premier trimestre 2016 contre 0,2 au premier trimestre de 2015, ce qui explique l'essentiel de la différence entre les deux trimestres.

Au final, que retenir de ces chiffres ? Ils sont évidemment encourageants dans la mesure où la hausse soutenue du revenu disponible brut réel a permis une forte croissance de la consommation qui, en retour, a soutenu la conjoncture. Mais l'analyse du détail de ces chiffres laissent quelques menaces en suspens et quelques doutes sur la politique économique actuelle menée en zone euro.

La baisse des prix de l'énergie, moteur de la consommation

D'abord, on a vu que 27 % de cette croissance du revenu réel repose sur la baisse des prix. Logiquement, un tel soutien n'est pas durable. Soit la baisse des prix s'accélère dans une spirale déflationniste et finit par toucher le revenu nominal, soit elle cesse et pèse sur le revenu réel. En zone euro, le scénario le plus crédible est pour l'instant le deuxième. Mais cette remontée des prix, qui est déjà engagée, s'explique, comme la baisse précédente, par l'énergie et l'essence. Rien ne permet d'envisager une hausse soutenue des prix sous-jacents (en dehors de ces éléments) qui pourrait ainsi contribuer à une relance des salaires et donc du revenu nominal. Autrement dit, ce que les prix de l'énergie ont donné, les prix de l'énergie vont ôter. Privé de la manne offerte par ces prix bas, les ménages vont devoir contracter leurs dépenses. Sauf si les salaires nominaux prennent le relais, ce qui ne semble pas devoir être le cas, sauf peut-être en Allemagne. On voit ici la nécessité de revenir à un taux d'inflation plus proche de l'objectif de la BCE afin de relancer la croissance salariale. Sinon, les soutiens à la consommation risquent de devenir très faibles.

Semi-échec pour la BCE

Ceci pose donc un défi à la BCE qui est d'autant plus urgent que la politique de la banque centrale est relativement mise à mal par ces données. Le but de la BCE est en effet de peser sur les revenus de l'épargne pour encourager la consommation. Or, ce but n'est que très partiellement atteint. Si, en effet, cette politique fonctionnait parfaitement, les ménages contracteraient leur épargne et dépenseraient plus que leurs revenus disponibles. On verrait aussi en théorie les revenus issus de l'épargne se contracter. Or, on constate non seulement une progression de ces revenus, mais également une croissance du taux d'épargne puisqu'une partie de la croissance RDB réel n'a pas été consommée (5,7 % pour être exact). On ne peut parler réellement d'échec pour la BCE compte tenu de la vigueur de la consommation. Mais cette dernière, si forte soit-elle, reste encore inférieure à son potentiel et relativement faible au regard de la politique de la BCE.

La consommation et le revenu disponible sont à leur niveau de 2008

Dernier élément qu'il convient de rappeler : cette croissance du RDB réel ne dit rien de son niveau absolu. Or, ce niveau a très fortement souffert durant la crise. Le revenu disponible brut réel des ménages s'est contracté au cours de 15 des 32 trimestres qui se sont déroulés depuis le premier trimestre 2008. Au plus fort  de la crise, fin 2012, il s'est contracté par rapport à début 2008 de 4,5 % en cumulé. Avec la progression de début 2016, il est encore de 0,32 % en dessous de ce niveau. Il y a donc eu un rattrapage d'un peu plus de quatre ans et demi pour le revenu brut des ménages. Durant cette période, la consommation a également connu un recul de 4,5 %, plus tardif (le point bas a été atteint début 2013) et elle n'a dépassé ce niveau du premier trimestre 2008 qu'au premier trimestre 2016 (de 0,17 %). La forte hausse de début 2016 met donc fin à un cycle de huit ans au cours duquel la consommation est restée stable dans la zone euro. La hausse du revenu réel, gonflé par l'aubaine des prix en baisse de l'énergie, a donc permis aux ménages de retrouver leur niveau d'il y a huit ans.

Les ménages épargnent et n'investissent pas

Cette séquence a cependant laissé des traces. Si le taux d'épargne est demeuré globalement stable autour de 12,8 % du RDB, le taux d'investissement des ménages est en chute libre : il était de 11,31 % début 2008, il n'est plus que de 8,46 % au premier trimestre 2016 et il a atteint son point bas à 8,39 % au deuxième trimestre 2008. En clair : la croissance de la consommation semble se fonder sur un "effet d'aubaine" destiné à achever un rattrapage de toutes les dépenses courantes reportées entre 2008 et 2015. Mais les ménages restent très prudents : ils n'investissent pas et continuent à épargner. En cas de panne d'un des moteurs de la croissance du revenu, l'impact sur la consommation pourrait donc s'en ressentir rapidement. Et là encore, c'est un défi pour la BCE et les dirigeants politiques de la zone euro : si l'inflation ne remonte que grâce au prix de l'énergie, la conjoncture européenne pourrait s'en ressentir. Les prochains trimestres devront dire si les ménages européens investissent à nouveau.

Des inégalités croissantes

Cette situation trouve également sa source dans la très forte inégalité dans la répartition des revenus. Eurostat ne donne pas d'élément sur ce point, mais on sait que les régimes d'austérité imposé au sud ont fragilisé les classes les moins riches, notamment en faisant pression sur les salaires et en précarisant l'emploi. Selon les données disponibles d'Eurostat, le taux de risque de pauvreté est passé de 16,3 % en 2010 à 17,1 % en 2014. ceci expliquerait la "sous-performance" relative de la consommation et le maintien du taux d'épargne. Quant au rapport des revenus entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres, il est passé de 4,9 fois en 2010 à 5,2 fois en 2014. La stagnation du revenu disponible global s'accompagne donc d'un changement dans la répartition des revenus. Et ceci pèse sur la transmission macro-économique de la hausse des revenus.

Croissance fragile de la consommation

Le premier moteur de la croissance européenne est donc très fragile. Sa dynamique semble liée à la baisse des prix de l'énergie, qui semble désormais terminée, et sur une fin de l'austérité qui reste toujours fragile compte tenu des niveaux d'endettement des Etats membres de la zone euro et des règles du pacte de stabilité. Les salaires, malgré l'amélioration de l'emploi, ne semblent pas en mesure de porter seuls cette croissance de la consommation aujourd'hui. Pour preuve, au dernier trimestre de 2015, ils ont apporté 0,3 point à la croissance du RDB, qui en net, n'était de que 0,3 point. Et la consommation, elle, n'a progressé que de 0,05 %. La zone euro s'expose donc à des à-coups et à de nouveaux affaiblissements de sa croissance.

Le besoin d'une vraie politique économique

En l'absence de dynamique commerciale mondiale, la zone euro doit donc s'interroger sur son modèle économique. Une hausse plus forte des salaires s'impose. Elle sera la seule à pouvoir réellement tirer l'inflation et sera un support plus solide pour la consommation et pour l'investissement des ménages. Pour la compenser, les entreprises devront réaliser des gains de productivité et donc investir. Ces investissements seront d'ailleurs alimentés par le comportement des ménages.  C'est ici que pourra se mettre en place un cercle vertueux qui permettra à la BCE de sortir du piège actuel de sa politique ultra-accommodante de moins en moins efficace. Mais pour rendre ce cercle vertueux possible, il faut l'initier en donnant des perspectives de croissance de la demande aux entreprises pour les inciter à investir et à relever les salaires. Or, dans la situation actuelle, seule la puissance publique peut donner ces perspectives. Plus que jamais, une coopération entre les Etats et la BCE semble s'imposer pour offrir à la zone euro une vraie politique économique.

Commentaires 22
à écrit le 29/07/2016 à 14:03
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Alors comment expliquer l'explosion du nombre de bénéficiaires des restos du cœur dans ma région (et ailleurs aussi je suppose)? Si le pouvoir d'achat augmentait vraiment, on n'en serait pas à faire ce constat. Non, tout ne va pas mieux pour tout le...

à écrit le 29/07/2016 à 9:45
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Le nombre de millionnaire a augmenter de 6 % en France en 2015, tant mieux, qui ne voudrait pas l'être !

à écrit le 28/07/2016 à 18:39
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aujourd'hui si vous avez de l épargne pourquoi y toucher pour des achats type produits blancs ou brun. Je viens de changer mon congélateur, id pour un canapé, les deux en 10 fois sans frais. Mes revenus me permettent ces achats cash mais pourquoi n...

le 29/07/2016 à 4:10
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et quand il faudra rembourser que ferez-vous ?????

le 29/07/2016 à 9:45
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Vous proposez donc une énième usine à gaz qui ferait comme toutes celles appliquées ces dernières décennies pour au final n'aboutir à rien. Pourquoi ai-je donc cette désagréable impression parfois d'être Don Quichote ? Celui qui se bat contre de...

le 29/07/2016 à 15:25
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Les taux bas voir négatifs sur une aussi longue période sont une anomalie économique que nous finiront tous par payer très cher! Tant mieux pour vous si cela vous permet d'acheter en empruntant à taux zéro, encore faut il pouvoir rembourser ! Car...

le 29/07/2016 à 15:47
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@un autre point? 28/07/2016 18:39 Le coût de financement à crédit nul n'est pas gratuit car le vendeur a intégré cet élément dans son prix de vente. Rien n'est gratuit. En revanche, vous pouvez proposer de payer cash en exigeant une ristourne de que...

à écrit le 28/07/2016 à 18:30
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Encore un truc que les français et les autres peuples ne voient pas dans leur portefeuille. Le mien est de plus en plus mince d'année en année. Un calcul, une moyenne ne se sent pas, ne se ressent pas. Une situation personnel, celui de son entourage ...

à écrit le 28/07/2016 à 18:25
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Avec les socialistes nous sommes devenus le pays le plus imposé en Europe. Impôts, taxes multiples et nouvelles, à tel point que la taxe foncière immobilière va devenir en plus la vache à lait, le gouvernement se déchargeant sur les Régions, communes...

le 29/07/2016 à 9:30
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Tu oublies les médecins ,16.000€ de plus par an en moyenne ,pas mal.Céréaliers ,médecins qui a dit que les socialistes ne privilegeaient que leur electorat.

le 29/07/2016 à 20:25
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Ils privilégies surtout les personnes qui pourraient voter pour eux en 2017, ceux dont ils auront besoin., mais bon ils sont tous pareil, personnellement en tant que retraité j 'attends toujours un geste conséquent et pas 0,89%, il faut voir ce qu 'o...

à écrit le 28/07/2016 à 17:35
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"Le revenu disponible brut ..." certes, mais ce qui est intéressant pour le pékin lamda, c'est surtout "le revenu disponible net", tout le reste c'est du pipo, en attendant les nouvelles taxes.

à écrit le 28/07/2016 à 17:30
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Seulement 0.89% d'augmentation avec une baisse du prix du pétrole de 65% ? Il est parti où le grisbi ?

le 28/07/2016 à 22:01
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D'abord on ne consomme pas que des produits pétroliers, ensuite même dans le prix de vente des produits pétroliers il y a bien autre chose que du pétrole brut, d'abord bien entendu des taxes fixes (Valls en a remis une bonne couche sur le gazole en d...

le 29/07/2016 à 14:48
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ah non pas vous et vos obsessions permanentes, comment voulez vous, alors que vous faites sans arrêt les mêmes fixettes sur les taxes, les impôts, les fonctionnaires, le gouvernement, hollande, les immigrés, les assistés, que j’accorde du crédit à vo...

le 30/07/2016 à 9:41
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Qu'y a-t-il de faux factuellement dans mes propos ? Qu'il y a une grosse part d'accises taxes fixes) dans le prix des produits pétroliers d'une part, d'autre part qu'on ne consomme pas QUE des produits pétroliers ?

à écrit le 28/07/2016 à 17:30
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0,69 % ! Extraordinaire, mais en France, il na faut pas oublier les hausses de l'électricité, des impôts locaux (nouvelle taxe régionale), du nouvel impôt européen déjà programmé, du blocage des retraites depuis 4 ans, des loyers qui augmentent, et...

à écrit le 28/07/2016 à 17:18
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le rétablissement progressif de notre situation fera mécaniquement monter les chiffres dans la mesure où on est la deuxième économie de la zone. Les Allemands ont commencé à augmenter les salaires, espérons effectivement que ça continue, mais Mr Godi...

le 28/07/2016 à 17:53
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2017 le fn au pouvoir et la fin des riches et des pauvres

le 29/07/2016 à 4:13
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vous entrevoyez le bout du tunnel ???? mais je n'en vois que le tout début !!!!!!

à écrit le 28/07/2016 à 17:18
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le rétablissement progressif de notre situation fera mécaniquement monter les chiffres dans la mesure où on est la deuxième économie de la zone. Les Allemands ont commencé à augmenter les salaires, espérons effectivement que ça continue, mais Mr Godi...

à écrit le 28/07/2016 à 17:08
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Si c'est de l'humour je le trouve particulièrement mal venu.. Allez plutot dans les grandes surfaçes, et vous verrez, mème les soldes ne fonctionnent plus !!!!

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