Zone euro : un Eurogroupe impassible

Les ministres des Finances des 19 pays de la zone euro n'entendent rien changer, Brexit ou pas, à leur politique. Leur vision reste celui du respect le plus strict possible des "règles".
Le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, ne veut que la règle, rien que la règle.

L'Eurogroupe affirme haut et fort sa volonté de maintenir le statu quo dans la zone euro après le vote britannique sur la sortie de l'Union européenne le 23 juin dernier. A l'issue de la réunion des ministres des finances des 19 pays de l'Union économique et monétaire, le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem a été on ne peut plus clair. Le Brexit et ses conséquences « ne changent pas notre engagement à poursuivre le travail pour une politique budgétaire saine et favorable à la croissance (« sound growth-friendly fiscal policy »), les réformes structurelles et la remise en ordre du secteur bancaire. Fondamentalement, notre agenda et notre engagement sur cet agenda est inchangé », a déclaré le ministre néerlandais des Finances.

Frapper l'Espagne et le Portugal

Tout est dans cette déclaration. La seule réponse au Brexit et à la montée du mécontentement vis-à-vis de l'UE ailleurs sera d'approfondir et de poursuivre la politique de la zone euro mise en œuvre depuis 2010 : la réduction des déficits et les réformes structurelles. Et pour ajouter les actes aux paroles, l'Eurogroupe a validé la conclusion de la Commission européenne sur le « manque de mesures efficaces » prises par le Portugal et l'Espagne pour rétablir l'équilibre budgétaire. Une démarche qui a été confirmée par le sommet Ecofin qui regroupe les ministres des Finances des 28 Etats membres, et ouvre la voie au pire à des sanctions, au mieux à de nouvelles mesures d'austérité budgétaire.

Pas de réforme de la zone euro

Cette politique est très clairement inspirée par Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, qui avait rejeté toute volonté d'introduire davantage de solidarité et de souplesse dans la gestion de la zone euro, comme l'avaient proposé les ministres allemand et français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier dans une proposition qui a été rapidement écartée. Le « respect des règles » est la seule boussole de l'Eurogroupe, désormais rejoint sur ce plan par la Commission européenne qui, il est vrai, est sous une pression particulière depuis que Berlin a clairement mis en cause Jean-Claude Juncker, son président. Tout est donc fait à Bruxelles désormais pour prouver à Berlin que la Commission est un outil utile au « respect des règles ». Dans sa contre-proposition de réforme de la zone euro, Wolfgang Schäuble avait proposé de remplacer la Commission par une « instance indépendante » sur le respect des traités.

L'obsession de la règle

Tout a donc été remis en place après la secousse du Brexit. L'austérité budgétaire reste la seule politique économique dont est capable la zone euro au moment où de nouvelles turbulences apparaissent sur les marchés et dans l'économie et où la BCE est plus isolée que jamais pour faire face à ces vents contraires. On est loin de la réflexion japonaise actuelle où le gouvernement de Shinzo Abe est sur le point de concevoir un vrai plan de relance pour prendre le relais d'une politique monétaire qui a montré ses limites. Rien de cela en zone euro où le salut ne viendra que par le « respect des règles », la consolidation budgétaire et les « réformes ». L'Eurogroupe confirme qu'il est le gardien de l'orientation ordolibérale de la zone euro, puisque précisément ce courant de pensée s'appuie sur une vision juridique de l'économie où le marché libre est encadrée par des règles (d'où le terme « ordo- », qui signifie la règle en latin). Le rôle de la puissance publique est alors uniquement de faire respecter ces règles. C'est cette philosophie qui inspire Wolfgang Schäuble et l'Eurogroupe.

Aveuglement sur l'Italie

Cette position a également permis d'écarter toute avancée sur le dossier italien. Là encore, la seule position est celle du respect des règles. Jeroen Dijsselbloem ne voit aucune « crise grave » sur le secteur bancaire italien et Wolfgang Schäuble veut attendre le résultat des tests de résistance (« stress tests ») de cet automne avant de « spéculer ». Dans tous les cas, Jeroen Dijsselbloem entend ne pas sortir des « règles » de la résolution des crises bancaires qui comprend la contribution des créanciers, actionnaires et déposants, avant toute aide publique.

L'aveuglement de l'Eurogroupe est total. Les banques italiennes ont abandonné un tiers de leur valeur depuis le vote du 23 juin. La recapitalisation du secteur devient donc impossible par le marché. Or, elle est nécessaire, compte tenu du montant de 360 milliards d'euros de créances douteuses stockées dans leurs bilans dont 40 milliards au minimum seraient perdues. Sans action rapide, ce montant de créances douteuses irrécupérables risquent de s'alourdir, notamment parce que l'économie italienne reste confrontée à une faible croissance. Le FMI vient, du reste, de réviser à la baisse à « juste en dessous de 1 % » la croissance 2016 contre 1,1 % prévu. En 2017, la croissance sera du même ordre. Dans ce cadre, la récupération des créances, déjà structurellement difficiles en Italie, risque de devenir très délicate. Le temps joue donc contre les banques italiennes et l'Eurogroupe fait pourtant mine de disposer de temps. Quant à l'attente des « stress tests », ce n'est qu'une mesure dilatoire. Ces exercices n'ont jamais permis de réellement mesurer l'Etat des banques européennes. La situation des banques italiennes est connue et devrait faire l'objet d'une action prompte pour contenir la crise.

L'impossible bail-out

Seulement, l'Eurogroupe sait parfaitement qu'une telle action ne passerait que par un renflouement public des banques italiennes. L'Italie se caractérise en effet par une forte détention par les particuliers de la dette bancaire : 33 % de la dette prioritaire (« senior ») et 50 % de la dette subordonnée des banques sont détenues par les ménages. En cas de respect des règles européennes, la saignée pour les ménages italiens sera redoutable et l'impact sur la croissance très sensible. Rome ne saurait tolérer l'application des règles de résolution de l'union bancaire. D'autant qu'en octobre, Le président du conseil italien Matteo Renzi doit faire face à un référendum sur les réformes constitutionnelles où il joue son poste. L'Eurogroupe tente donc de gagner du temps et de reporter à après le référendum l'action sur les banques italiennes afin de pouvoir appliquer les règles. C'est un jeu dangereux qui risque de coûter cher à l'Italie et à l'Europe. Car si Matteo Renzi perd le référendum, l'Eurogroupe devra gérer une crise politique avec une crise bancaire aggravée. L'hôte du Palais Chigi le sait et c'est pourquoi il tente de convaincre ses partenaires de le laisser recapitaliser partiellement ses banques pour sauvegarder les économies de ses concitoyens. Pour l'instant, il se voit opposer un refus et un « rappel aux règles ».

La décision de l'Eurogroupe de ce 11 juillet est donc de mauvais augure. La volonté de résistance affichée notamment par les Français et les Grecs sur la question des déficits portugais et espagnol semblent ne pas avoir pesé lourd. La victoire du Brexit au Royaume-Uni n'aura pas pesé davantage. L'Eurogroupe, intraitable, entend mener sa politique économique, fondée sur les règles existantes et leur respect. Fût-ce au prix d'un déni complet de réalité.

Commentaires 28
à écrit le 15/07/2016 à 5:04
Signaler
tout cela est très clair : cette organisation veut se rattraper sur ce qu'elle a perdu avec l'argentine des années 1995-2000 ; ce qui s'est passé en argentine et sa pauvreté , c'est leurs oeuvres , ce qui se passe en grèce , c'est encore leurs oeuvre...

à écrit le 14/07/2016 à 17:36
Signaler
Il semble de plus en plus évident que l'Allemagne et les pays du Nord et de l'Est de la zone Euro réfléchissent eux aussi à un plan B, au cas où l'édifice actuel de la zone Euro ordolibérale finissait par s'effondrer d'une manière ou d'une autre, lai...

à écrit le 14/07/2016 à 12:30
Signaler
S´il fallait arbitrer entre l´obsession des règles et l´obsession du bail-out (aide, mutualisation...), il va de soi que la première option recueillera mon choix. La 2ème option n´etant qu´un frein aux réformes à entreprendre d´urgence et repousse l...

à écrit le 13/07/2016 à 12:30
Signaler
C'est là qu'on s'aperçoit que le centre de décision, de gravité s'est déplacé de Paris à Berlin en quelques années. La France est responsable par sa politique laxiste (d'ailleurs, elle n'est pas sanctionnée mais elle a perdu tout "crédit" politique v...

à écrit le 13/07/2016 à 11:55
Signaler
"Eurocrise" est un accélérateur de manipulation de masse!

à écrit le 13/07/2016 à 5:45
Signaler
Il y a un traité, Lisbonne, sur la convergence budgétaire. Respectons les traités, "pacta sunt servandi" comme dirait M.Gaudin qui aime le latin.

à écrit le 13/07/2016 à 0:40
Signaler
"Fût-ce au prix d'un déni complet de réalité. ". Il n'y a aucun déni de réalité si la situation de crise est souhaitable pour forcer les peuples à réaliser des réformes. Sans une crise majeur, il n'y a aucune chance d'imposer le mondialisme. On veut ...

à écrit le 13/07/2016 à 0:27
Signaler
Quel rapport entre le Brexit et l'Eurogroupe ? Le Royaume-Uni a toujours refusé l'€.

à écrit le 12/07/2016 à 19:32
Signaler
Pourquoi changer quand cela marche si bien? Quand cela marche bien, on n'en entend plus parler! Cela... marche donc si mal?

le 12/07/2016 à 23:16
Signaler
Je trouve que ça marche pas trop mal pour l'Allemagne, ainsi que les grand groupe (inutile de s’embêter, il suffit de faire du lobbying à Bruxelles, et les portes des 28 s'ouvrent d'un coup)

à écrit le 12/07/2016 à 17:50
Signaler
Le déni de réalisme plutôt que de réalité n'est-il pas dans l'existence même d'un pareil foirail d'antagonistes enfermé dans des règles logiques mais à côté d'un capharnaüm financier avec ces créanciers exigent impavides à côté d'emprunteurs recherc...

à écrit le 12/07/2016 à 17:41
Signaler
Au fond sur quel texte est fondé le pouvoir du "fondé de pouvoir" de Monsieur Schaüble, à savoir Monsieur Dijsselbloem ? Personne ne l'a élu et il n'est que " l'homme de main" de l'Allemagne. L'Histoire retiendra que l'Euro et l'Europe seront morts d...

le 13/07/2016 à 9:18
Signaler
C'est assez simpliste votre position !!! Schauble est un homme politique. Tous les dirigeants européens sont des élus démocratiques des différents peuples européens. Prétendre le contraire, c'est du populisme. Maintenant, vouloir s'affranchir des règ...

à écrit le 12/07/2016 à 16:41
Signaler
J'arrive à me demander si le but final, n'est pas de limiter la zone euro uniquement à l'Europe du Nord ! On va dire... de façon réglementaire !

à écrit le 12/07/2016 à 16:06
Signaler
On se lasse un peu des "analyses" de R. Godin sur la politique de l'Union européenne.

à écrit le 12/07/2016 à 15:49
Signaler
Ce qui prouve bien que les anglais ont eu raison de quitter cette technostructure dominée par une vision comptable de l'UE. Avec de tels dirigeants, il y a des chances que l'UE implose d'ici quelques mois. Une implosion d'autant plus probable lor...

à écrit le 12/07/2016 à 15:43
Signaler
Parfait, et si les Espagnols ou Portugais ne sont pas content, il leur reste le fameux référendum sur l'activation de l'article 50. Au final il n'y a que deux route, se complaire dans la mouise et se conformer au projet, ou renverser la table. Maint...

à écrit le 12/07/2016 à 15:32
Signaler
C'est la fuite en avant...tout droit vers le mur !!!

à écrit le 12/07/2016 à 15:01
Signaler
Le déni de réalité n'est il pas plutôt de penser que les pays, la France,peuvent continuer indéfiniment a s'endetter?

le 12/07/2016 à 15:55
Signaler
Exact: à quoi sert de définir les règles du vivre ensemble, si les pays décident de s'en affranchir quand cela leur plait.. Je suis pour le strict respect des règles (aux règles elles-même d'être suffisamment souples au besoin..).

à écrit le 12/07/2016 à 14:51
Signaler
La position allemande est gagnante sur plusieurs tableaux: le premier tableau: respect des règles: ses épargnants sont gagnants, les autres pays sont affaiblit, l'activité baisse ailleurs qu'en Allemagne, les chômeurs vont travailler en Allemagne e...

à écrit le 12/07/2016 à 13:46
Signaler
Un président européen qui ressemble fortement au président grolandais.

à écrit le 12/07/2016 à 13:30
Signaler
La décision de l'Eurogroupe de ce 11 janvier (juillet)

à écrit le 12/07/2016 à 13:20
Signaler
Bonjour, vos papiers permettent de bien saisir les contraintes et les oublis qui pèsent sur les pays du sud. Ce qui par ailleurs n'est pas souvent expliqué dans la presse. Cependant, nous restons sur notre faim pour comprendre la position all...

le 12/07/2016 à 15:45
Signaler
Je pense que la position allemande est quand même dite ici, peut être pas assez clairement. La condition de la participation de l'Allemagne à une monnaie unique est qu'elle se conforme à l'idée que se font les Allemands de la monnaie et de l'économie...

à écrit le 12/07/2016 à 13:12
Signaler
Dura lex, sed lex.

le 12/07/2016 à 17:38
Signaler
Tout de même hallucinant le nombre d'analystes ou économistes qui mettent en garde nos gouvernements contre cette politique qui mène immanquablement à l'apparition de bulles. Et le pire est qu'ils gardent toujours la même ligne politique, sans aucune...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.