
Après la mise en demeure, l'assignation devant le tribunal judiciaire de Paris. Derrière ces termes juridiques se joue une partie inédite entre trois ONG pour la défense du climat - Les Amis de la Terre, Oxfam et Notre Affaire à Tous - et la première banque européenne, BNP Paribas. Dans leur assignation, les trois associations demande au groupe bancaire de stopper tous financements de nouveaux projets d'énergies fossiles et d'adopter un plan de sortie du pétrole et du gaz. Autrement dit, d'exiger de BNP Paribas ce qu'elle a accepté de faire en quelques années pour le charbon.
Ce qui est nouveau, c'est que ce sera à un juge de se prononcer sur les demandes des ONG et sur la réponse de BNP Paribas, et ce au titre de cette toute nouvelle loi sur le devoir de vigilance, adoptée en France en 2017. Cette loi, pratiquement unique au monde, permet de poursuivre des multinationales impliquées dans des catastrophes environnementales ou humaines, comme l'effondrement de l'usine textile du Rana Plaza au Bangladesh mettant en cause plusieurs grandes marques de mode.
Une première dans la banque
Cette loi, qui a finalement désigné fin 2021 le tribunal judiciaire comme compétent (et non le tribunal de commerce), a déjà été invoquée par six ONG pour assigner la major Totalenergies sur son mégaprojet pétrolier en Ouganda. De même, Danone est poursuivi pour sa pollution au plastique, tout comme Casino pour sa responsabilité présumée dans la déforestation en Amazonie. Une quinzaine de procédures sont actuellement en cours mais c'est la première fois qu'une banque est visée par un contentieux climatique.
« Une ligne rouge a été tracée par les accords de Paris, le GIEC, l'Agence internationale de l'énergie, la communauté scientifique : plus aucun nouveau projet fossile n'est possible pour rester dans la limite d'un réchauffement climatique de 1,5 degré. Et ce consensus scientifique ne cesse de se renforcer. De récents travaux publiés pendant la COP 27 concluent fermement qu'une entreprise, y compris un acteur financier, ne peut pas être « net zéro émission » s'il continue à soutenir l'expansion des énergies fossiles. C'est donc tout ce bagage scientifique que nous allons présenter au juge pour démontrer que la banque ne respecte pas ses propres engagements de neutralité carbone », explique Lorette Philippot, charge de campagne aux Amis de la Terre.
BNP Paribas, cible de choix
Le message est donc clair : pour respecter l'Accord de Paris, il arrêter dès maintenant de financer l'expansion des énergies fossiles. La réponse de BNP Paribas est tout aussi claire : elle fait tout ce qu'elle peut pour accompagner la transition énergétique, mais elle ne peut pas du jour au lendemain, sortir des énergies fossiles. Elle rappelle le chemin parcouru en quelques années : il y a dix ans, 95% des encours de financement au secteur de l'énergie étaient dédiées aux énergies fossiles. Aujourd'hui, c'est moins de la moitié et en 2030 plus de 80% des activités de financement seront ciblées sur les énergies bas carbone (y compris nucléaire), « très en avance sur la transition du reste de l'économie », précise la banque.
BNP Paribas mise gros sur cette affaire. Moins en termes de business - les énergies fossiles représentent à peine 1,3% des crédits de la banque - qu'en termes réputationnels. Car la procédure promet d'être longue... et suivie. Le groupe de la rue d'Antin se veut en effet exemplaire en matière de climat et figure toujours en bonne place dans les ranking des agences de notation extra-financières ou revendique un certain activisme dans tous les cénacles internationaux où les banquiers tentent d'apporter des réponse concrètes aux enjeux climatiques.
Créer une jurisprudence
Le sujet devient vite technique car la banque est avant tout une industrie de procédures, de normes, de conformité et beaucoup d'informatique. « Regardez pourquoi Deutsche Bank s'est fait taper sur les doigts pour greenwashing : ils ont voulu aller plus vite que la musique. Nous devons d'abord mettre en place des procédures et c'est bien cette capacité à mettre en place ces procédures qui va gouverner notre capacité d'en faire davantage en matière de finance durable. Mais c'est quelque chose que ne veulent pas comprendre les ONG », nous avait confié l'été dernier un dirigeant de banque.
C'est d'ailleurs sur cette capacité de faire ou non que devrait porter le débat qui s'annonce devant le juge. Les ONG comptent d'ailleurs s'appuyer sur des principes directeurs de l'ONU ou de l'OCDE, qui définissent les mesures spécifiques à prendre pour une banque pour une trajectoire « net zéro ».
« Ces guides ne sont pas contraignants », reconnaît François de Cambiaire, associé du cabinet Seattle Avocats, qui défend l'assignation. Mais, « l'objectif de la loi est de donner à terme un cadre contraignant à ces soft laws. C'est la raison pour laquelle cette loi est extrêmement innovante, qu'elle est l'exemple suivi par la Commission européenne et le Parlement européen pour développer un devoir de vigilance européen. C'est la raison pour laquelle le monde entier regarde ce qui se passe en France ».
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