
Visites de biens impossibles, signatures de compromis de vente en suspens, baisse des revenus, incertitudes sur l'avenir, réserve des particuliers à contacter leurs banques mobilisées sur l'octroi de prêt aux entreprises... La crise du coronavirus et les mesures de confinement pour limiter la propagation de l'épidémie ont eu un effet sans précédent sur le marché de l'immobilier et, par ricochet, sur celui du crédit immobilier.
Selon l'Observatoire Crédit logement/CSA, qui associe les principales banques françaises à un institut de marché, le nombre de crédits bancaires accordés pour l'acquisition d'un logement a reculé de près de 14% au premier trimestre de l'année par rapport à la même période en 2019.
"Toutes les négociations se sont arrêtées il y a un plus d'un mois. Je n'y vois pas une défiance des banques, mais une conséquence directe de l'arrêt des transactions", commente Frédéric Violeau, notaire à Caen et président de l'Institut notarial du droit immobilier.
Chute de 25% en avril
Sur le mois d'avril, ce repli s'est confirmé avec une baisse de 25% (contre une hausse de près de 17% à la même époque en 2019). A l'échelle de l'année 2020, Michel Mouillart, professeur d'économie et responsable de l'Observatoire, anticipe un recul de la production de crédits de l'ordre de 26% et d'environ 37% d'ici la fin 2021.
"Cette chute va être de l'ordre de 70 milliards à l'horizon 2021. C'est une chute qui est comparable à celle qu'on avait connue en 2012 mais qui est beaucoup plus rapide que la chute liée à la crise des subprimes en 2008. Nous avons bien un recul du marché qui a commencé et qui va s'amplifier au cours des prochains trimestres", avertit l'économiste.
Conséquence : quelque 220.000 opérations d'accession à la propriété pourraient ne pas avoir lieu d'ici 2021, faute de financement par des crédits octroyés aux ménages. Parmi les potentiels acheteurs, les primo-accédants à la propriété devraient être les plus impactés.
Les difficultés des primo-accédants amplifiées
Depuis plusieurs mois déjà, ces ménages, qui bénéficient souvent d'un apport personnel moins élevé, voient leur part dans la production de crédits diminuer. "A partir de l'été 2019, nous avons assisté à une accélération de la hausse des prix des logements neufs et anciens qui a pesé lourdement sur les capacités d'achat", énonce Michel Mouillart. "Les hausses des coûts d'opération ont rarement été aussi élevées depuis une dizaine d'années", souligne-t-il. La situation s'est corsée en fin d'année à la suite des recommandations du Haut conseil de stabilité financière (HCSF), invitant les banques à ne pas prêter au-delà d'un taux d'effort de 33% et sur une durée d'endettement supérieure à 25 ans. Des recommandations qui pénalisent mécaniquement davantage les ménages modestes et à faibles apports personnels.
Remontée des taux
De par ces éléments, l'Observatoire anticipait déjà une baisse de la production de crédits immobiliers de 10% en 2020 et de 15% en 2021. Mais la crise du coronavirus est venue amplifier ce mouvement. Au début du confinement décrété mi-mars, plusieurs courtiers en crédit ont relevé que les banques françaises commençaient à durcir les conditions d'emprunts, notamment pour faire face aux risques liés à la crise. Cela s'est traduit par une remontée des taux (entre 7 et 8 points de base depuis décembre 2019 selon la durée de l'octroi) dans les barèmes des différents établissements bancaires.
De son côté, l'Observatoire crédit logement/CSA constate sur le mois d'avril un taux moyen à 1,17%, en hausse de seulement 5 points de base depuis décembre 2019. "Cette hausse est visible, mais c'est une remontée très modeste, commente Michel Mouillart. En réalité, la remontée des taux dans les barèmes des banques est amortie par une déformation de la structure de production de crédits : les ménages modestes en primo-accession sont moins représentés. Or, ce sont les ménages qui empruntent sur des périodes longues et donc aux taux les plus élevés.
Revenir sur les recommandations d'octroi de crédit
"Si nous ne tenons pas compte de la situation exceptionnelle et que le HCSF ne revient pas sur ses recommandations de l'hiver dernier, nous sommes à peu près assurés que la situation aura beaucoup de mal à se rétablir", prévient l'économiste, qui rappelle que "si le marché s'est développé aussi rapidement en 2018 et 2019 c'est sous l'effet du renforcement de la demande de ces primo-accédants et des ménages modestes". Aujourd'hui, l'accession à la propriété représente ¾ des marchés du neuf et de l'ancien. Sur ces accédants, plus de la moitié sont des primo-accédants.
"Les consignes du HCSF avaient pour but d'éviter une surchauffe au niveau des prêts immobiliers. Elles avaient commencé à avoir des effets néfastes pour la profession depuis le début de l'année: très forte hausse des refus tant pour des primo-accédants que pour des investisseurs. Dans la situation que nous vivons désormais, ces recommandations vont s'avérer encore plus problématiques", estime, pour sa part, Alexandra François-Cuxac, promotrice à Biarritz et présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers.
Michel Mouillart plaide également pour la mise en place d'un prêt à taux zéro dans l'ancien, toujours dans l'optique de soutenir la demande. Ce qui aura également un impact sur le marché du neuf, les deux étant directement liés par la revente de biens entre particuliers. Côté offre, "le soutien à l'appareil de production est indispensable, faute de quoi il n'y aura pas d'artisans pour construire demain", prévient-il. Pour limiter la casse, les promoteurs immobiliers, eux, ont obtenu du gouvernement la publication début avril d'un décret autorisant la vente de logements neufs à distance.
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