INTERVIEW "Les relations de la Caisse des Dépôts avec l'Etat sont plus proches et plus claires"

Découvrez la version intégrale de l'interview accordée ce jeudi à La Tribune par Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des Dépôts dont il parachève la transformation en profondeur.

La Tribune - La Caisse des dépôts (CDC) est sur tous les fronts. Quelle est la conséquence de sa mutation ?


Augustin de Romanet - Notre vocation est d'être un investisseur de long terme et d'accompagner les entreprises et les projets utiles au pays. Mon prédécesseur a entamé des prises de participations significatives dans des sociétés côtées et l'action en faveur des PME. Il n'a pas eu le temps de changer le modèle de la CDC, opérateur des marchés financiers, initié au début des années 1980 et qui a trouvé son terme avec la vente d'Ixis. C'est ce que nous avons fait avec Elan 2020 en décembre 2007. Notre identité d'investisseur de long terme se déploie maintenant à grande échelle : développement de nos filiales, création de plateformes d'investissement. Cette démarche était nécessaire à un moment où les entreprises avaient besoin de long terme, ce que la crise a montré. La création du FSI, le Fonds stratégique d'investissement, voulue par le Président de la République, est cohérente avec ce modèle.

- Les missions initiales du FSI ne doivent-elles pas être redéfinies ?

- Non. Le FSI n'est pas encore contraint d'effectuer des arbitrages dans son portefeuille pour répondre à des situations d'urgence. Un de ses défis est de dynamiser la levée de fonds privés pour le capital développement et le capital risque. Nous manquons d'acteurs privés pour financer les fonds de France investissement au sein desquels le FSI ne peut être que souscripteur minoritaire.
Sur les 2,4 milliards d'euros habituellement apportés chaque année au capital investissement, près de 600 millions manqueront à l'appel en 2011 car,les banques et les compagnies d'assurance se désengagent de cette activité en raison des nouvelles règles de Bâle 3 et de Solvabilité 2. Le FSI doit acquérir plus de visibilité en région. Il est très connu par les grandes entreprises, mais personne ne mesure son action en faveur de quelque 2.500 PME .

- N'y a-t-il pas un risque de confusion entre l'action du FSI et celle de l'Agence des Participations de l'Etat, l'APE ?

- En réunissant à son conseil d'administration des membres de l'APE, de la CDC et des indépendants, le FSI a permis une relation, professionnelle d'abord, confiante ensuite, entre l'APE et nous. Il n'y a plus de débat idéologique dès lors que nous sommes confrontés à des situations concrètes et à l'urgence de réaliser des investissements utiles pour les entreprises du pays.


- Il y a quelques années la Caisse des Dépôt s'est désengagée des Caisses d'Epargne, mais elle a récupéré La Poste. Gagne-t-elle au change ?

- Dès 2007, j'ai cru, et on ne me l'a pas imposé, dans la pertinence d'un investissement dans La Poste a raison de ses 17000 points de proximité avec les Français. C'est notre vocation de l'accompagner dans ses projets le plus vite possible. Le délai mis à sa réalisation n'est pas de notre fait.

 

- Avez-vous obtenu suffisamment de garanties ?

- La transaction est équitable. Un investissement de 1,5 milliard d'euros, ne se réalise pas en quelques semaines, de surcroît pour une entreprise dont il fallait « révéler » la valeur, son capital n'ayant jamais fait l'objet de transaction. Nos commissaires aux comptes pourront chaque année, désormais, nous demander d'actualiser la valeur de La Poste en fonction de la réalisation de son plan d'affaires.
Nous avons trouvé un équilibre qui ne lèse ni les intérêts de l'Etat, ni ceux de la CDC. L'accord est gagnant-gagnant. Plus la Poste sera performante, plus la rentabilité de l'investissement sera forte, et plus il sera normal que la CDC et l'Etat partagent cette prospérité supplémentaire. Si La Poste est performante, la CDC accordera un complément de prix à l'Etat, tout en améliorant la rentabilité de son investissement.

- Serez vous vous-même administrateur de La Poste ?

- Probablement.


- Quelles synergies y a-t-il entre vos activités et celles de La Poste ?

- Ces synergies existent. Nous allons entamer des travaux opérationnels avec le comité de direction de La Poste. Nous ne souhaitons, ni être intrusifs, ni nous substituer au management de La Poste.

- Votre entrée dans La Poste ne va-t-elle pas vous obliger à repenser vos liens avec la CNP, dont vous êtes tous les deux actionnaires ?

- L'entrée au capital de La Poste renforcera notre collaboration dans le cadre de CNP Assurances. Le montage capitalistique actuel n'a pas moins de sens qu'au moment où nous étions actionnaires à 35 % des Caisses d'épargne, ce qui me laisse penser qu'il sera gérable. Des synergies sont certes envisageables mais dans le respect de tous les actionnaires minoritaires. Ceux-ci n'ont pas manifesté de signes d'inquiétude.

 

 

- Avez-vous l'intention de recréer un pôle financier public ?

- La Caisse des Dépôts ne doit pas s'engager dans un quelconque meccano financier au seul motif qu'elle est déjà actionnaire de Dexia et qu'elle s'apprête à le devenir dans La Poste. La gouvernance de chaque entreprise doit être respectée et nous examinerons objectivement les éventuelles synergies.

- Que pensez-vous du rapprochement évoqué entre La Banque Postale et Dexia ?

- Si les deux parties y sont favorables et que cela a du sens, je n'y vois que des bénéfices.

- Voyez-vous Dexia comme un investissement pérenne ou comme une participation financière ?

- Pour des raisons historiques, la CDC ne se désintéressera jamais de l'avenir de Dexia, qui résulte de la fusion du crédit local de France créé par la CDC et du Crédit communal de Belgique. Tant que Dexia n'aura pas retrouvé un modèle de croissance équilibré, il n'est pas question de nous en désengager.

- Ce n'est pas toujours le cas...

- Nous sommes un incubateur et un développeur. Lorsque notre mission d'accompagnement a porté ses fruits, nous n'avons pas toujours vocation à rester dans ces participations. Il est sain de faire respirer un portefeuille d'actifs.

- C'est le cas d'Icade, par exemple ?

- Nous n'avons aucun projet de cession pour le moment. Icade possède des terrains stratégiques dans le Nord de Paris et susceptibles d'être utilisés dans le cadre du projet du Grand Paris. C'est également un acteur important dans les hôpitaux et l'université.

- Avec Egis, votre travail d'accompagnateur est terminé ?

- La fusion entre Egis et Iosis, à laquelle je travaille depuis 2 ans est une très belle opération. Cet accord, rendu possible par la mise en place d'un actionnariat salarié au sein d'Egis, devrait permettre l'éclosion d'un leader européen de l'ingénierie. L'opération de rapprochement donnera naissance à un groupe de 815 millions d'euros de chiffres d'affaires et 10.000 collaborateurs. Nous en serons actionnaires à 77%, le solde étant entre les mains des dirigeants et des salariés du nouvel ensemble. Mon ambition est de faire d'Egis un acteur de rang mondial. C'est bien là la mission de la Caisse des Dépôts.

- Quels sont vos projets dans les énergies renouvelables ?

- Ce secteur fait partie de nos priorités. A ce jour, nous avons engagé 450 mégawatts dans le solaire, l'éolien, la micro-hydroélectricité ou la biomasse. Nous poursuivons nos efforts en mettant l'accent sur la biomasse avec une enveloppe dédiée de 50 millions d'euros par an.

- On a vu se multiplier les scandales sur les marchés du carbone. Quelles leçons en tirer ?

- C'est un marché jeune qui a été confronté à un problème de fraude à la TVA. Les autorités françaises ont pris la mesure des dangers d'un marché non régulé. L'AMF et le ministère des finances mettront en œuvre les recommandations du rapport de Michel Prada sur l'organisation du marché du carbone. Cela ne nous dissuade pas de poursuivre car je ne vois pas pourquoi le mécanisme de marché sous plafond (cap and trade) qui a permis d'éradiquer le dioxyde de soufre aux Etats-Unis ne fonctionnerait pas pour le dioxyde de carbone à l'échelle planétaire. C'est la feuille de route de CDC Climat créée fin 2009.

- Comment améliorer le fonctionnement et la gouvernance d'Oseo ?

- Oseo a un rôle important dans l'innovation. Cette entité doit pouvoir réagir rapidement. Pour ce faire, elle est sur le point de réduire le nombre de ses structures juridiques de cinq à deux d'ici à quelques semaines. Nous aurons 27% de ce nouvel ensemble.

- Quel taux de centralisation de l'épargne réglementée vous paraîtrait pertinent ?

- La Caisse des dépôts n'a aucun intérêt financier dans le débat en cours, car l'intégralité du résultat du fonds d'épargne est rétrocédée à l'Etat. Le débat aujourd'hui n'oppose pas les banques à la Caisse des Dépôts. Il met face à face les banques et l'Etat, puisqu'avec les fonds d'épargne ce dernier dispose d'une liquidité publique dont il décide l'affectation. En tant que gestionnaire des prêts sur fonds d'épargne, mon devoir est d'éclairer les pouvoirs publics sur le niveau de centralisation du livret A et du LDD à la Caisse des Dépôts qui permettra à l'Etat d'honorer ses engagements sur les enveloppes de prêts au logement social, aux infrastructures, aux universités, aux hôpitaux et à l'assainissement des eaux usées.
Compte tenu de la croissance des prêts, le taux de centralisation devrait atteindre environ 74 % à l'horizon 2020. Je crois qu'il est néanmoins possible d'en rester à ce stade au chiffre donné par Christine Lagarde en 2008 au moment du débat sur la LME, qui était de 70 %. Je vous rappelle que les prêts au logement social s'établissent aujourd'hui à près de 15 milliards par an contre près de 5 milliards au début des années 2000.

- Attendez vous des aménagements des nouvelles règles de Bâle 3 pour les investisseurs de long terme ?

- Avec mes collègues de la Banque européenne d'investissement, de la KfW et de la Cassa Depositi e Prestiti, nous avons présenté en septembre un rapport à Michel Barnier, commissaire européen en charge des marchés et des services financiers, dans lequel nous avons détaillé les aménagements nécessaires aux règles comptables, de liquidité et de solvabilité applicables aux investissements de long terme. Un des principaux enjeux du club des investisseurs de long terme est de favoriser la prise de conscience sur la nécessité de développer les infrastructures financières permettant de porter les projets dont l'Europe a besoin, à l'image du Fonds Marguerite créé en 2010.

- Vous allez devoir verser 50 % de vos résultats à l'Etat. Disposerez vous d'une marge de manœuvre suffisante pour remplir vos missions intérêt général ?

- Oui. En 2009 nous n'avions pas diminué nos dépenses d'intérêt général théoriquement égal au tiers du résultat alors que nous avions été déficitaires en 2008. Ces dernières années, nous y avons même souvent consacré plus de 50% de notre résultat. Pour les années à venir, le groupe consacrera en tout état de cause plus du tiers, si ce n'est plus de son résultat aux dépenses d'intérêt général. En ce qui concerne les modalités de versement de notre résultat à l'Etat, nous avons calculé que compte tenu du plafonnement de cette contribution à 75 % du résultat social, le taux effectif du prélèvement devrait être, en moyenne, de l'ordre de 38 % .

- Quelle image voulez-vous donner aujourd'hui à la Caisse des Dépôts ?

- Celle d'un groupe investisseur à long terme au service de chaque Français et qui aide la France à s'adapter à la mondialisation. L'horizon de la CDC reste celui des quatre priorités du plan Elan 2020, le logement, les PME, le développement durable et les universités. En 2011, nous serons très mobilisés par la gestion des 7,5 milliards d'euros confiés par l'Etat dans le cadre du grand emprunt. L'accent sera mis sur le déploiement du très haut débit, qui est la principale enveloppe du grand emprunt, avec 4,25 milliards d'euros.

- Où en sont les rapports entre l'Etat et la Caisse des Dépôts ?

- Nous accompagnons l'Etat dans la recherche de ce qui est utile à nos concitoyens. L'évolution de nos relations depuis 2007 est à la fois marquée par une plus grande proximité, car nous sommes co-actionnaires des deux grandes entreprises que sont le FSI et La Poste, et par une plus grande clarté. Nous avons pris soin de préciser par écrit notre plan stratégique, nos doctrines d'investisseur avisé ou d'intérêt général et fait progresser nos règles de gouvernance. Maintenant chacun sait mieux ce qui anime la Caisse des Dépôts.

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