Monnaie digitale : la cotation de Coinbase met la pression sur l’Europe

La BCE devrait prendre une décision, d’ici l’été, sur le lancement dans les cinq ans d’un euro digital. Le débat est loin d’être tranché alors que les réticences se font jour parmi les banquiers centraux et que les banques commerciales redoutent les conséquences d’une digitalisation de la monnaie. Mais l’Europe peut-elle se permettre de laisser passer le train de l’innovation alors que les expériences de monnaie digitale se multiplient dans le monde et que l'usage des cryptomonnaies se répand?
La BCE doit prendre une décision d'ici l'été pour lancer, ou non, dans les cinq ans, un euro digital.
La BCE doit prendre une décision d'ici l'été pour lancer, ou non, dans les cinq ans, un euro digital. (Crédits : DR)

Coinbase aurait-t-il pu être européen ? Cette question, beaucoup dans le milieu des paiements en Europe, doit se la poser alors que la plateforme américaine d'échange et de négociation de cryptomonnaies vient de faire coter en fanfare à Wall Street. Cette opération est bien plus qu'une introduction en Bourse à 65 milliards de dollars C'est non seulement la monnaie digitale qui fait son entrée en Bourse mais aussi le symbole d'un monde de la finance qui bascule dans le numérique, un monde où peut être le dollar ou l'euro ne seront plus les seuls étalons de la valeur et de l'échange.

Les consommateurs utilisent de plus en plus les cryptomonnaies pour épargner, dépenser, emprunter, et grâce aux technologies sous-jacentes de la blockchain, pour réaliser de nombreux d'autres types de services ou d'activités économiques encore insoupçonnés. Le développement des « smart contracts » (contrats intelligents) donne déjà une idée des services du futur qui pourraient être associés au paiement numérique.

L'obsession des banques centrales

Pour autant, l'Europe avance sur le sujet avec prudence alors que le nombre de projets de monnaie digitale ne cesse de se démultiplier dans le monde, avec une brusque accélération en 2020. La Chine souhaite distribuer son e-yuan d'ici les Jeux Olympiques de Pékin via les banques commerciales et les plateformes e-commerce et des acteurs privés, comme Facebook avec son libra, ne cachent plus leur ambition de créer leur propre monnaie.

Résultat, les monnaies digitales sont devenues l'obsession des banques centrales. La quasi-totalité des banques centrales mènent des réflexions sur le sujet et 60 % ont lancé des expérimentations, selon la Banque des règlements internationaux (60%). Toutes réagissent en réaction de montée en puissance des cryptoactifs, comme le bitcoin, perçue comme une menace (et pas encore comme une opportunité), à la fois pour la souveraineté de leur monnaie et pour la stabilité financière.

Une décision de la BCE attendue d'ici l'été prochain

Certaines, comme la Banque centrale de Singapour (depuis 2018) ou la banque centrale de Suède (depuis 2017), sont plus allantes que d'autres sur la question de la monnaie digitale. Aux Etats-Unis, la Fed reste prudente, préférant laisser aux acteurs privés, comme la Digital Dollar Foundation, fondée en 2020 par d'anciens régulateurs et déjà très écoutée au Congrès, ou à des grandes banques (Goldman Sachs, JP Morgan, Wells Fargo), le soin de débroussailler le terrain.

L'Europe n'est cependant pas en reste, même si elle semble accuser déjà un certain retard au démarrage par rapport aux Etats-Unis et à l'Asie. En mars 2020, la Banque de France annonce un projet pilote de monnaie digitale de banque centrale (MDBC) pour des transactions de gros. Et, en octobre dernier, sous l'impulsion de Christine Lagarde, la Banque centrale européenne (BCE) a lancé le chantier de l'euro digital. Une vaste consultation a été engagée dans la foulée auprès de tous les acteurs concernés et une décision des gouverneurs de lancer, ou non, dans les cinq ans, un euro digital, y compris pour les particuliers, devrait être prise d'ici l'été prochain.

Le débat fait rage au sein des banques centrales

A ce jour, la décision est encore incertaine car l'Europe de la finance, banquiers centraux et banquiers commerciaux, ne sont pas tous (encore) sur la même longueur d'ondes. « Il est normal qu'il y ait un débat et, à ce stade, aucune décision d'introduction (de l'euro digital, NDLR) n'a été prise. Et si décision il y a eu, c'est d'être prêt à éventuellement à l'introduire et à bien analyser les conditions dans lesquelles cette introduction pourrait avoir lieu », a récemment rappelé, à titre personnel, Denis Beau, premier sous gouverneur de la Banque de France, devant un parterre d'experts lors d'une conférence sur les cryptomonnaies organisée par France Payments Forum.

Au sein même des banques centrales européennes, le débat fait rage. La BCE et la Banque de France sont clairement offensives sur le sujet, au nom de la souveraineté et de l'innovation. De son côté, la banque centrale allemande, ne fait pas mystères de ses réticences.

Même si elle développé une solution de blockchain pour des opérations sur titres, la Buba doute de l'utilité d'une monnaie digitale de banque centrale. Elle redoute surtout un impact négatif sur le revenu des épargnants allemands et une baisse substantielle des revenus qu'elle tire de l'émission de billets de banque (le seigneuriage). Cet effet négatif de l'accélération de la numérisation de l'économie sur les recettes des instituts monétaires inquiète d'ailleurs toutes les banques centrales.

Les banques commerciales restent à convaincre

Les banques commerciales elles-mêmes semblent hésitantes sur les conséquences de la création d'un euro numérique. C'est même, selon le Crédit Mutuel, l'un des principaux défis pour le système bancaire. D'ailleurs, les banques françaises sont encore peu impliquées dans les projets de cryptoactifs, hormis une expérience pilote menée par la Caisse des dépôts et BNP Paribas. C'est également le cas en Italie et en Espagne où les grandes banques sont absentes des expérimentations.

« Nous pouvons nous interroger sur le bénéfice attendu d'une monnaie banque centrale alors que l'offre de moyens de paiement digitaux est déjà abondante, efficace et qui sera même renforcée avec l'initiative européenne sur les paiements (EPI », explique Pierre-Edouard Batard, directeur général de la confédération nationale du Crédit Mutuel.

« Dans les faits, la monnaie digitale existe déjà. La priorité actuelle réside plutôt dans la régulation de l'ensemble des acteurs du paiement numérique - banques, GAFA, BATX, fintechs... - sur des bases communes et ainsi d'apporter la même garantie en matière de protection des données ou de sécurité aux utilisateurs », ajoute le dirigeant bancaire.

Pour autant, aucun des projets de MDBC n'exclut les banques, notamment dans leur rôle de distributeur, c'est-à-dire avec le maintien de la relation avec le client. C'est du moins l'engagement de la BCE. Comme l'a rappelé récemment Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, l'institution européenne émet au moins deux conditions au lancement d'un euro digital : la nouvelle monnaie doit venir en complément des formes existantes de monnaies, notamment le cash, et elle ne doit pas déstabiliser l'intermédiation financière.

Industrie industrialisante

Mais pour de nombreux acteurs, l'erreur stratégique des banques européennes et de l'industrie des paiements, serait de laisser aux américains et aux asiatiques, voire aux Gafam, le leadership en matière de monnaies digitales et, plus généralement, en matière d'innovation. Surtout que l'Europe ne manque pas d'atouts pour revenir dans la course : un écosystème des paiements efficace, un encadrement réglementaire plutôt en avance (même si un travail d'harmonisation reste à faire) et des ingénieurs et des compétences de très haut niveau.

« Le fait qu'une banque centrale ouvre le jeu sur la monnaie digitale permettra de donner un signal fort à tous les acteurs bancaires et non bancaires. Et en Europe, seule la banque centrale est capable de le faire car il n'existe pas, comme aux Etats-Unis, un marché financier suffisamment fort pour créer des acteurs privés comme CoinBase, et que les banques sont déjà très contraintes par la réglementation et engagés dans le projet EPI déjà très ambitieux. Mais les banques le savent, elles ne pourront pas rester à l'écart trop longtemps de la monnaie digitale », plaide notamment Hervé Sitruk, président de France Payments Forum.

Bien sûr, certains banquiers mettent en avant l'absence de « cas d'usage » de la nouvelle monnaie, autrement dit, le bénéfice que pourrait en tirer le consommateur par rapport aux formes actuelles de paiement. D'autres s'inquiètent de l'utilisation frauduleuse des cryptomonnaies.

« Les paiements scripturaux fonctionnent bien et les cas d'usage d'une monnaie digitale de banque centrale ne sont pas encore clairement identifiés », reconnaît Hervé Sitruk. Mais, selon lui, « ce n'est pas le sujet. Il ne s'agit pas de remplacer la monnaie scripturale par une monnaie digitale. Le sujet aujourd'hui est de commencer à réfléchir à une monnaie digitale pour créer les conditions demain du développement d'une industrie européenne des paiement digitaux, avec tous les services qui seront lui seront associés ». Bref, l'avenir de la finance et de la banque passera, que l'on le veuille ou non, par le digital.

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Commentaires 7
à écrit le 15/04/2021 à 10:57
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Peut on encore parler de "journaliste" quand cela confond l'UE et l'euro avec notre géographie! La monnaie n'est qu'un "faciliteur" d'échange, le reste n'est que jeu de casino!

à écrit le 15/04/2021 à 9:53
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disons qu'un euro digital ca enverrai le dollar au tas bon, le pb, c'est que si la monnaie ( ca sera une monnaie vu qu'elle sera adossee a une banque centrale) s'envole facon bitcoin, ca posera pb a l'economie, en particulier aux exportaturs

à écrit le 15/04/2021 à 9:00
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En UE, on refuse tout progrès et quand ce progrès s'est installé et a prospéré ailleurs, nos mégas riches finalement veulent aussi s'y faire du blé le problème recurrent étant que nous nous retrouvons de ce fait avec des années de retard qui de part ...

à écrit le 15/04/2021 à 8:16
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Bientot l'Amerique va siffler la fin de la partie. Le bitcoin restera et devra rester marginal. Le dollar attaque dans son hegemonie, certainement pas.

à écrit le 14/04/2021 à 19:38
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Déjà qu'on a une confiance moyen/moyen avec nos banquiers ! Alors dans un machin numérique dont on ne sait rien du fonctionnement ni de qui se cache derrière, ça sent le coup fourré. Si encore le "numérique" était totalement sûr. Tous les jours des ...

le 15/04/2021 à 2:46
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Il faut se mettre à la page et ne pas tout confondre. Les crypto monnaies sont extrêmement sûr. l'Europe est simplement a la ramasse comme d'habitude. 5 ans pour sortir un stablecoin adossé à l'euro ?? Ridicule.

le 16/04/2021 à 8:18
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@Synth ridicule oui mais pas étonnant vu que UERSS est dirigé par des mentalitées comme @Valbel89 qui sont absolument perçuadé de procéder le savoir inné, aucune documentation aucune remise en question que des je sais c'est comme ça ...

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