Les leçons du scandale FTX selon Pascal Gauthier, PDG de Ledger

INTERVIEW. L'affaire FTX connait un énième rebondissement avec l'arrestation cette semaine aux Bahamas de son ancien PDG emblématique, Sam Bankman-Fried. Une enquête criminelle va même être ouverte. De quoi questionner les risques de fraudes créés par ces nouvelles entreprises des crypto-actifs. Quelles sont les solutions de stockage les plus sûres ? Comment sécuriser ses actifs ? Le PDG de Ledger, la startup française qui a vendu près de 6 millions de clefs USB permettant de détenir soi-même ses cryptomonnaies, estime que la chute de FTX va pousser les utilisateurs de l’écosystème crypto à garder leurs actifs numériques en main propre.
Le PDG de Ledger estime que la chute de la deuxième plus grosse plateforme d'échange de cryptomonnaies au monde apportera aussi des choses positives à l'écosystème et au futur des cryptos.
Le PDG de Ledger estime que la chute de la deuxième plus grosse plateforme d'échange de cryptomonnaies au monde apportera aussi des choses positives à l'écosystème et au futur des cryptos. (Crédits : Ledger)

Un mois après la faillite retentissante de FTX qui aurait provoqué le blocage de fonds d'un million de créanciers, Sam Bankman-Fried, l'ex PDG de la plateforme a été arrêté aux Bahamas ce mardi 13 décembre pour être traduit en justice aux Etats-Unis. L'heure des comptes semble avoir sonné pour les plateformes crypto critiquées pour leur opacité. La justice américaine envisage aussi d'arrêter Changpeng Zhao, le PDG de Binance, le mastodonte du secteur, pour blanchiment d'argent, d'après Reuters lundi.

Une situation chaotique pour les plateformes crypto, qui questionne la capacité qu'ont les investisseurs particuliers à conserver en toute sécurité leurs actifs numériques. C'est d'ailleurs la promesse d'entreprises innovantes de ce secteur, telle Ledger, l'une des vedettes de la tech française avec son produit phare, un accessoire semblable à une clef USB qui permet aux internautes de stocker les codes sécurisés et donnant directement accès à leurs cryptomonnaies mais aussi aux NFT, ces jetons numériques uniques qui reposent sur la même technologie : la blockchain.

Pascal Gauthier, le PDG, affirme d'ailleurs que les ventes de son Ledger ont atteint des records historiques en novembre 2022. La Tribune a interrogé le chef d'entreprise sur les conséquences de l'affaire FTX pour l'écosystème crypto.

LA TRIBUNE - Suite au scandale créé par l'affaire FTX, les cryptomonnaies sont-elles mortes ?

PASCAL GAUTHIER - La mort de Bitcoin (la première cryptomonnaie et la mieux valorisée ndlr) a déjà été annoncée 466 fois depuis sa création en 2009. Pourtant, il est toujours là. Il ne faut donc pas faire l'amalgame entre les problèmes qui ont lieu dans l'écosystème crypto et la technologie de la blockchain. Avec cet amalgame, cela revient à dire ce que certaines personnes désirent : que Bitcoin soit un échec. Il y a une certaine difficulté à accepter l'innovation et la révolution que sont les cryptomonnaies, donc on se raccroche à ce que l'on peut pour nourrir ce narratif.

Or, il faut bien comprendre que FTX était un acteur centralisé (une entreprise qui conserve des fonds pour ses clients, ndlr), et qui était le meilleur ami du régulateur américain il y a encore quelques mois. Il est aujourd'hui la plus grande fraude financière du XXIe siècle. Au final, ce scandale n'a rien à voir avec les cryptomonnaies puisque FTX aurait pu être un courtier traditionnel et faire la même fraude. D'ailleurs, ce type de scandale a déjà eu lieu dans la finance traditionnelle avec la chute de Lehman Brothers, ou surtout de Madoff. Donc je trouve que c'est un peu calomnieux d'utiliser la déchéance d'un homme et d'une boîte qui est tombé dans la fraude et le vol pour ensuite en faire un problème d'industrie.

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Après la faillite de FTX, nous proposons que les plateformes d'échanges de cryptos ne s'occupent que des transactions - et pas de la conservation - afin d'inciter les gens à détenir eux-mêmes leurs cryptomonnaies. Car avec les portefeuilles personnels, il n'y a que le code qui fait loi. Les échanges sont transparents et les détenteurs de crypto sont les seuls à avoir la main sur leurs actifs.

Quelles seront les conséquences à court et moyen terme sur l'écosystème?

Il y a deux écosystèmes. L'écosystème de la spéculation et celui de l'utilisation. Pour celui de l'utilisation, il y aura zéro impact. Les cas d'usage se multiplient à travers les NFT (des certificats de propriété sur la blockchain ndlr) qui s'ancrent de plus en plus dans les jeux vidéo, l'art ou la musique. Quand on regarde les données qui mentionnent l'utilisation des cryptomonnaies, elles n'ont jamais été aussi hautes, donc les cryptomonnaies ne connaissent pas la crise. Il y a notamment beaucoup de pays comme le Liban, la Centre-Afrique, le Zimbabwe, et des pays d'Amérique du Sud qui sont en train de basculer leur économie sur le bitcoin car certaines monnaies ont beaucoup plus baissé que le jeton numérique. Il ne faut pas uniquement se fixer sur le prix, il faut aussi regarder les usages.

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En revanche, ce scandale va nous faire réfléchir à la spéculation qui consiste à créer sa propre cryptomonnaie, comme le FTT (la cryptomonnaie de la plateforme FTX), et à lui donner une valeur arbitraire. En effet, on possède des cryptos, soit pour investir ensuite, soit pour emprunter des actifs qui ont une vraie valeur.

N'est-ce pas le même problème avec le « BNB » qui est la cryptomonnaie créée par la plateforme leader du secteur Binance ?

J'ai l'impression que ce n'est pas exactement la même chose puisque, à priori, Binance n'utilise pas sa crypto pour emprunter de l'argent et investir. C'était ce que faisait apparemment FTX avec son FTT et il me semble que Changpeng Zhao a assuré que Binance ne se permettait pas cela et qu'il n'utilisait pas le BNB comme valeur de garantie monétaire. Je ne pense pas que Binance soit mal intentionné et qu'il fasse les même choix que FTX mais il faut maintenant vérifier tous ces points et faire attention aux déclarations.

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Le chaos provoqué par FTX est-il aussi synonyme d'assainissement de l'écosystème, avec la mort des projets pas assez solides ou pérennes ?

Effectivement, je n'ai jamais compris certains usages. Par exemple, comment pouvait-on prendre le risque de confier ses fonds en bitcoin - pour gagner entre 2 et 5% par an - à une startup comme Blockfi (un prêteur d'actifs numériques), alors que celle-ci mettait la clé sous la porte et que les investisseurs perdaient tout leur argent. Je n'ai jamais compris non plus comment on pouvait parier à la hausse ou à la baisse sur les cryptomonnaies qui sont des actifs très spéculatifs, parfois en empruntant pour avoir un effet levier. Ces techniques sont un chemin vers le désastre. Vu que le bitcoin est un actif qui a très bien performé pendant ces dix dernières années, on conseille souvent aux gens d'en acheter et de les conserver soi-même en attendant qu'il prenne de la valeur. Au final, il faut développer des usages pour justifier de l'existence des cryptomonnaies à long terme. La technologie de la blockchain pourrait en effet régler beaucoup de problèmes autour de l'identité en ligne, des paiements, etc.

Quelles conséquences la chute de FTX pourrait-elle avoir sur la régulation de l'écosystème?

Dans toutes circonstances, il faut raison garder. Favoriser son agenda personnel pour dire qu'il faut réguler l'écosystème crypto à la moindre occasion, ne rend pas service aux gens. La régulation sert à surveiller ce qui est opaque. Elle sert à dire : « attention si vous voulez vous engager dans telle ou telle industrie, voici les règles à respecter et si vous ne les respectez pas voici les pénalités ». Cela me semble logique quand les propositions de valeurs sont opaques.

Il faut néanmoins prendre garde à ce que la régulation ne devienne pas trop lourde trop vite, car cela peut avantager les très grosses plateformes et pénaliser les petits. SBF (Sam Bankman-Fried) essayait d'ailleurs d'inciter à la régulation pour limiter la concurrence, donc il faut faire attention aux effets de bords qui pourraient devenir un argument commercial pour les grosses et riches plateformes. Mais l'industrie va aller vers plus de régulation et donc moins de nécessité de réguler puisque les gros acteurs auront moins de pouvoir sur l'écosystème.

Quelles vont être les conséquences de la perte de confiance dans les plateformes d'échanges sur votre activité ?

Cette triste histoire a eu un effet miraculeux pour nous. En novembre, nous avons fait le meilleur mois de vente et même le meilleur jour depuis notre lancement avec des volumes d'achats qui ont augmenté de facteurs entre 2 et 7. Avec cette crise, les gens se rendent comptent qu'ils doivent détenir eux-même leurs cryptos. Bitcoin a été créé après la chute de Lehman Brothers dans l'idée que personne n'est trop gros pour tomber et qu'il faut pouvoir garder soi-même son argent. Donc aujourd'hui, acheter du bitcoin pour le conserver sur une plateforme d'échanges est une erreur.

Mais conserver ses cryptomonnaies soi-même n'est ni simple ni intuitif. Vous pensez que c'est un frein à l'adoption des cryptos stockées sur des portefeuilles physiques ?

Aujourd'hui, en effet, il y a un problème d'expérience utilisateur pour les gens qui veulent détenir leurs cryptomonnaies dans un portefeuille physique. Rester sur Binance, Kraken ou Coinbase est beaucoup plus confortable. Donc on est en train de travailler avec ces acteurs sur l'intégration de nos services afin de permettre aux utilisateurs de migrer facilement d'une plateforme à un portefeuille. Il faut que tout ce système communique bien et soit ouvert. Nous travaillons notamment sur Ledger Connect qui proposera de naviguer facilement entre les plateformes et les services de l'écosystème crypto depuis un navigateur, tout en gardant ses cryptomonnaies sur son portefeuille personnel.

Ces portefeuilles physiques dits décentralisés ne sont pas non plus sans risque, on peut notamment se faire siphonner son argent si on signe un contrat frauduleux, avez-vous des solutions contre ces deux problèmes ?

Oui, c'est un problème et justement, avec Ledger Connect, nous allons proposer un Web3 Check qui sera un programme qui évaluera les sites sur lesquels se connecte un utilisateur pour les prévenir quand il s'agira d'un site frauduleux ou piraté.

Contrairement au modèle économique des plateformes d'échange, les portefeuilles Ledger sont chers, allant de 80 euros à 279 euros l'unité, les prix vont-ils baisser ?

Les produits que nous développons coûtent cher à produire, à l'image de notre nouveau Ledger Stax.

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La R&D coûte très cher donc si on vendait nos produits moins cher on aurait du mal à financer la recherche en sécurité. Cependant, pour l'instant la durée de vie d'une clé Ledger est assez longue. La Nano S que nous avons sortie en 2016 fonctionne bien et devrait encore fonctionner pendant 10 ans mais elle n'a simplement pas toutes les fonctionnalités et mises à jour.

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Commentaires 2
à écrit le 14/12/2022 à 9:37
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Les cryptos sont comme des jetons de casino : c'est juste pour jouer. On n'investit pas dans les cryptos, à moins d'être le pigeon parfait. Mais on peut quand même faire du fric avec, comme avec tout actif spéculatif : si on joue bien. N'est-ce pa...

à écrit le 13/12/2022 à 17:52
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Tout ce qui est dit est très intéressant, surtout sur Ledger Connect "qui proposera de naviguer facilement entre les plateformes et les services de l'écosystème crypto depuis un navigateur, tout en gardant ses cryptomonnaies sur son portefeuille pers...

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