
Depuis la toute première transaction opérée en bitcoin en 2009 par son fondateur aussi anonyme que mythique, Satoshi Nakamoto, l'activité d'achat-ventes de cryptomonnaies, ces actifs très volatiles développés sur un protocole décentralisé de la blockchain, ont explosé sur les plateformes spécialisées.
De la toute première Bourse d'échange baptisée "bitcoinmarket.com", dédiée à la doyenne des cryptomonnaies, lancée en 2010, en passant par la faillite retentissante de la plateforme MtGox, fermée en 2014, le marché est encore aujourd'hui pléthorique, avide de capter les 3.000 milliards de capitalisation boursière que représentent les cryptomonnaies, selon le site CoinGecko, qui suit le marché de plus de 10.000 actifs numériques.
En pleine démocratisation du trading de ces actifs, le marché se divise en deux catégories, entre plateforme d'échanges centralisées (CEX) et les "DEX" - décentralisées -, tandis qu'une large part du gâteau est détenue par les premières. A contrario des modèles centralisés, les DEX ne stockent ni les actifs ni les clés d'accès aux portefeuilles des clients. Les plateformes décentralisées (telles Bitsquare, Uniswap) se font sans tiers de confiance et elles n'exigent pas une vérification d'identité, contrairement aux CEX. Des services proposant ces deux modèles existent également.
Pour l'heure, plus rapides dans les transactions et plus simples d'utilisation, ce sont les bourses de cryptomonnaies centralisées qui occupent le terrain de la spéculation numérique. Ainsi, l'Américaine Coinbase pèse aujourd'hui 55 milliards de dollars de capitalisation (soit peu ou prou son prix de référence lors de son introduction en Bourse en avril dernier), FTX Trading vient de réaliser une nouvelle levée de fonds de 420 millions de dollars (soit 25 milliards de dollars de valorisation), ou encore le Chinois Binance qui revendique la première place en termes de volume de transactions, mais aussi Kraken, Bitmex, Bitstamp, Swissquote, Robinhood...
Aussi, la concurrence entre ces nouveaux géants fait rage alors que la spéculation autour des cryptomonnaies ne semble pas connaître de limites. Même les acteurs historiques du paiement ou des fintech ont cédé aux sirènes du trading de ces actifs, à l'image du retour de PayPal, après s'y être lancé une première fois en 2011, ou encore la néobanque Revolut, ou même Lydia en France.
A la fois positionnée pour le grand public et pour les professionnels de l'investissement, la plateforme Coinshares, lancée par d'anciens dirigeants d'un hedge fund basé sur l'île de Jersey, s'est spécialisée dans les actifs numériques. Fondée en 2014, elle vise aujourd'hui de plus en plus les boursicoteurs individuels en cryptomonnaies. Elle vient d'ailleurs d'annoncer le rachat de la startup Napoléon, une solution française pour diversifier son portefeuille d'actifs, intégrée aux principales plateformes d'échanges centralisées.
LA TRIBUNE - D'une offre pléthorique aujourd'hui - pour des investisseurs particuliers qui spéculent sur le bitcoin, mais aussi, et de plus en plus des acteurs institutionnels - comment le marché des plateformes d'échanges, centralisées et décentralisées, de cryptomonnaies va-t-il évoluer ?
JEAN-MARIE MOGNETTI - Les plateformes d'échanges ont réellement quelque chose de différent par rapport aux bourses classiques. C'est un saut technologique. Pour comprendre leur fonctionnement, la connaissance ne se fait pas de manière théorique mais empirique. Aussi, la plus grande erreur serait de faire évoluer le marché des bourses crypto vers ce que nous faisons pour les échanges traditionnels. En effet, le système financier actuel s'est construit sur un acte fondateur, avec la création d'Euroclear en 1970, un système de compensation interbancaire centralisé. Réunissant une cinquantaine d'acteurs bancaires, il agit par définition dans un système fermé.
Les règles y sont strictes et imposées par le régulateur. C'est un fonctionnement qui apparaît inadapté à l'univers des cryptomonnaies, par nature décentralisé.
Les plateformes de cryptomonnaies centralisées fonctionnent différemment, avec des évolutions permanentes, en implémentant, étapes par par étapes de nouvelles règles, telles les KYC (Know Your Customer). Elles n'ont donc pas démarré leur activité en répondant à toutes les exigences réglementaires car leur principe est de se tromper et de corriger immédiatement. En conséquence, le marché des plateformes va probablement se consolider. Il n'y a pas besoin de cinquante bourses, il faut simplement en trouver de très performantes. Je pensais que la consolidation arriverait d'ailleurs beaucoup plus vite. Les volumes d'encours sur les plateformes centralisées vont continuer d'augmenter mais les plateformes dites de finance décentralisée (DeFI), (qui opèrent des actions automatiques associées à des contrats intelligents, ndlr), vont aussi connaître une forte accélération à mesure que la pression de la régulation va s'accroître.
Au final, les plateformes qui resteront seront de plus en plus capitalisées, avec une empreinte mondiale, capables de nouer un dialogue avec les régulateurs du monde entier.
Comment expliquer l'absence de plateformes françaises ou européennes parmi les poids lourds du secteur ?
La plupart des Bourses de cryptomonnaies ont commencé dans des environnements offshores tels que Singapour et Hong Kong, avant de se concentrer immédiatement sur les États-Unis (qui connait aujourd'hui la plus grande concentration de clients). L'Europe n'est donc devenue que récemment un centre d'intérêt et nous avons ainsi vu apparaître de très bonnes entreprises européennes telles que BitPanda. En Europe, les leaders sont Bitstamp (fondé en Slovénie, réglementée au Luxembourg et sous pavillon Sud-Coréen), Bitfinex, Bitpanda (basé et fondé en Autriche) et Binance (Hong Kong puis Malte). Les plateformes américaines n'ont pas la tâche facile pour gagner des parts de marché en Europe, en partie parce que les opérations bancaires en euros ne sont pas largement disponibles pour ces structures.
Alors que les débuts d'Internet promettaient une répartition équitable de la valeur créée sur la toile, - pour finalement observer l'ultra-domination des GAFA - ces plateformes n'ouvrent-elles pas la voie à un jeu de monopole similaire, avec un Web apparemment décentralisé mais contrôlé par une poignée d'acteurs ?
Il y a un rebattement des cartes, en effet, en faveur des Américains. Le minage (l'activité des ordinateurs en réseau qui valident les "nœuds" des transactions sur la blockchain et pour laquelle les mineurs sont rémunérés, ndlr) qui était concentré en Chine a d'un seul coup, après l'interdiction, pivoté au Texas. Les montants investis par les fonds d'investissements sont aussi bien supérieurs. Mais BitPanda, qui vient d'accueillir à son capital l'entrepreneur Peter Thiel (cofondateur de PayPal,ndlr) cet été, est un géant européen en devenir.
Les valorisations stratosphériques de ces plateformes sont-elles justifiées ?
L'impact des cryptomonnaies sur le monde est sous-évalué. Ces valorisations montrent simplement qu'il y a très peu de bonnes opportunités. Beaucoup d'investisseurs cherchent de l'exposition.
Alors que les élus aux États-Unis veulent accélérer sur la régulation du secteur, quelle serait la réglementation la plus adaptée pour ces plateformes ?
Vous êtes confrontés à deux problèmes : d'abord, les régulateurs n'ont pas forcément les compétences en interne pour aborder ces sujets. Ils doivent donc les recruter mais la compétition pour chasser ces talents face aux acteurs privés est trop forte. Ensuite, il est difficile pour les régulateurs de prendre de grandes décisions lorsqu'on ne sait pas de quoi est fait l'avenir.
Dans le même temps, les entreprises technologiques transforment à un rythme extrêmement rapide la façon dont nous consommons les services financiers. La réglementation traditionnelle ne fonctionnera donc pas et nous devons trouver un modèle de réglementation qui sera capable de s'appuyer largement sur la technologie et la rédaction de contrats pour assurer la bonne gouvernance de ces bourses de cryptomonnaies. En clair, la meilleure solution n'existe probablement pas encore. Mais je suis sûr qu'elle est en voie de cheminement en ce moment... La montée en puissance des "organisations autonomes décentralisées" (DAO) est un premier signal. Dans le même ordre d'idées, je ne serais pas surpris de voir quelqu'un travailler sur une nouvelle version de la réglementation ou sur un "régulateur autonome décentralisé" (DAR).
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