Attirer les talents, le grand défi de l'aviation

Avec la reprise économique et la réouverture des frontières, le secteur aérien va devoir recruter des postes de pilotes et de personnel de bord mais aussi des ingénieurs et informaticiens. Héloïse Conte, Secrétaire d'ORAJe (Organisation des Rencontres Aéronautiques et de la Jeunesse), Olivier Chansou, Directeur général de l'Ecole Nationale de l'Aviation Civile (ENAC), Thierry Baril, Directeur des ressources humaines d'Airbus, Martin Sion, Président de Safran Electronics & Defense et du Groupe des équipements (GEAD) du GIFAS et Xavier Gondaud, Président de Securitas Aviation Transport Security et de la commission sociale du Sesa se sont penchés sur cette question cruciale pour l'industrie aéronautique lors du Paris Air Forum organisé par la Tribune mardi 7 juin à la Mutualité à Paris.
(Crédits : Reuters)

« Le secteur aéronautique français a perdu près de 8 % de ses salariés durant la pandémie. Heureusement, notre filière connaît depuis décembre une forte hausse de son activité, portée d'un côté par la hausse des cadences de production de l'A320 Neo et du Rafale, et de l'autre par la nécessité de développer des solutions pour réduire drastiquement l'impact environnemental de l'aviation » a rappelé en ouverture de la table ronde Héloïse Conte, Secrétaire d'ORAJe (Organisation des Rencontres Aéronautiques et de la Jeunesse).

Le secteur compte embaucher cette année 15.000 salariés en CDI et 12.000 alternants, soit 27.000 personnes aux profils variés : ingénieurs, chercheurs, techniciens. Mais comment attirer ces talents face à un marché du travail en tension, surtout pour les postes à dominante technologique ? Pour Héloïse Conte, le secteur doit innover avec de nouvelles méthodes de recrutement, comme le concours étudiant Black-Out Challenge de Safran Electronics & Defense, sans oublier une présence accrue sur les réseaux sociaux. D'après Thierry Baril, Directeur des ressources humaines d'Airbus, l'attractivité est toujours bonne malgré une perte d'activité de 40 % : « Airbus reste l'entreprise préférée des élèves ingénieurs, et nous sommes numéro 9 dans le Top Ten pour les étudiants en systèmes d'information. C'est moins grave que ce que l'on aurait pu imaginer il y a quelques mois ». Martin Sion, Président de Safran Electronics & Defense et du Groupe des équipements (GEAD) du GIFAS met lui l'accent sur l'enthousiasme des jeunes générations pour les micro lanceurs, les taxis volants et les nouvelles mobilités : « je ne constate pas du tout de désintérêt pour l'aéronautique ». Concernant les postes production, le GIFAS a lancé en avril la plateforme Aero Recrute à destination des salariés des autres secteurs, du CAP au Bac+8. Son but : présenter aux salariés des autres secteurs industriels tous les métiers et sociétés de l'aéronautique dans l'ensemble des territoires. « Aujourd'hui (le 7 juin), il y avait 3 000 offres d'emploi en ligne : 1 000 pour la production, 1 000 pour la R&D et 1000 pour les fonctions support et après-vente » précise Martin Sion.

Des défections dans les métiers de service

 L'ENAC, qui forme ingénieurs, contrôleurs aériens et pilotes, continue d'attirer les candidats (1 000 pour 20 postes de pilotes) après un léger tassement en 2020. « Il existe toujours une part de rêve pour ces métiers, sans oublier la dimension internationale propre au secteur » rappelle Olivier Chansou, Directeur Généralde l'école. Les métiers de service sont moins recherchés selon Xavier Gondaud, Président de Securitas Aviation Transport Security et de la commission sociale du Sesa (Syndicat des entreprises de sûreté aérienne et aéroportuaire) : « nous n'avons pas très bien communiqué et nous avons eu des difficultés à réamorcer la pompe. Nous sommes sur des métiers à faible valeur ajoutée - sûreté, accueil, restauration collective - et cette population aspire à d'autres choix de vie. Beaucoup se sont reconvertis dans la logistique ou le secteur public ».

La pandémie a modifié les attentes des candidats, en particulier en matière de conditions de vie. Les personnels des aéroports réclament des crèches, des salles de repli, des places de parkings. Les contraintes horaires et le rythme de travail sont un point de revendication essentiel : « nous allons travailler sur deux sujets. Un : l'affermissement des commandes selon une programmation IATA (Association du transport aérien international) pour gérer notre plan de recrutement par anticipation. Deux : nous allons offrir des taux de services plus réguliers à nos personnels » détaille Xavier Gondaud, conscient que ceux qui sont partis voir ailleurs ne reviendront pas. Comment conserver ses forces vives ? Longtemps, Airbus n'a pas eu ce souci mais la situation est en train de changer pour les compétences émergentes que tous le secteurs se disputent : cybersécurité, architecture systèmes, etc. « Il ne faut pas s'endormir sur nos lauriers » avertit Thierry Baril.

Chez Safran, Martin Sion insiste sur « l'individualisation de la gestion des collaborateurs et la quête de sens. Avant, cette attente était implicite. Or, il faut que nous affichions notre engagement, sur les réseaux sociaux en particulier. La décarbonation, troisième révolution de l'aéronautique, est un challenge extraordinaire qu'il faut mettre en avant ». Les trois quarts de la R&D de Safran sont affectés à cette décarbonation, un chiffre qui parle aux étudiants des 18 écoles et universités partenaires du groupe, sillonnées par 250 ambassadeurs qui viennent « démystifier les légendes autour de l'aéronautique ».

Tik Tok au secours de l'industrie

La feuille de route du CORAC (Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile) prévoit un budget de 10 milliards d'euros pour arriver à l'avion décarboné dont 30 % pour les ETI et PME, une enveloppe qui peut les aider à embaucher. Cet enjeu de la décarbonation n'est pas négligé par les écoles comme l'ENAC et Supaéro.

« Il faut donner à nos étudiants des enseignements sur le changement climatique et les leviers techniques adaptés au transport aérien » a expliqué Olivier Chansou.

Côté aéroports, le sujet est moins l'environnement que l'organisation des parcours professionnels et la présentation des différents métiers. Les volumes d'embauche sur le court et moyen terme sont conséquents chez Airbus qui recrute beaucoup de compagnons pour assurer une cadence de production de 75 appareils de la famille A320 par mois d'ici 2025. Demain, le fuselage va évoluer, de même que la propulsion avec l'arrivée de l'hydrogène. Safran et Airbus coopère avec ArianeGroup sur le site de Vernon avec son pool d'ingénieurs spécialisés sur cette nouvelle énergie.

« Nous devons développer nous même ces nouvelles compétences à un horizon de 5 à 15 ans, par exemple dans le domaine de la cybersécurité où nous avons créé un bachelor », a estimé le directeur des ressources humaines d'Airbus.

Une première promotion de 20 personnes a entamé ce cursus à Toulouse et l'avionneur compte proposer un master l'année prochaine puis étendre cette initiative au-delà des frontières de la France. Chez Safran, qui va recruter 3500 personnes cette année, des experts interviennent sur l'IA, l'ingénierie ou la cybersécurité devant les étudiants de Centrale Supelec. Innover en RH passe souvent par les médias sociaux.

« Avant, nous étions sur les salons et forums d'emploi. En deux jours, on récoltait 250 CV. Cette année, le ratio est de 30 CV soit 2 candidats recrutés. Certains de nos agents ont filmé et posté des vidéos sur Tik Tok. Résultat : 300 CV en 24 H pour un poste d'hôtesse d'accueil à Roissy et 45 recrutements ! », a évoqué Xavier Gondaud. « Nous avons lancé une Pitch Academy pour que nos salariés qui prennent la parole sur les réseaux sociaux, sans utiliser d'acronymes ni de jargon technique rebutants », a de son côté ajouté Martin Sion.

Cherchez la femme

Attirer plus de femmes reste un défi pour l'industrie car les stéréotypes ont la vie dure. « Nos étudiants ont réalisé une vidéo dans une école d'un village du Gers : à sept ans, c'était déjà acté. Les garçons voulaient être pilotes et les filles hôtesses. Puis ils ont fait entrer des filles pilotes et contrôleurs et nous avons vu des yeux s'éclairer. Il faut travailler très en amont, mais les progrès sont lents, il faut l'admettre », a fait valoir Olivier Chansou, qui estime le vivier féminin dans les écoles d'ingénieurs entre 20 et 22 % du total des étudiants. Un chiffre trop faible qui est, selon Martin Sion, « un vrai problème pour toute l'industrie française ». Enfin, la problématique des PME sur le marché de l'emploi doit être adressée par les grands groupes. « Le pire, c'est que nous soyons tous en train de nous battre les uns contre les autres, ce qui serait terrible pour les petites structures. Nous sommes prêts à revenir à des initiatives qui nous permettraient de préparer les compétences dont toute la profession va avoir besoin dans les prochaines années ».

Une solidarité partagée par Martin Sion sous sa casquette Gifas. Le groupement a mis au point une charte pour éviter les débauchages massifs dans les ETI PME : « si une petite société pense qu'elle perd des talents de manière trop rapide, elle peut appeler le patron de la société concernée ». La rapidité du recrutement devient essentielle pour une jeune génération pressée. Safran a mis en place avec succès un programme "graduate" (réservé à de jeunes diplômés triés sur le volet) avec un recrutement en un jour et plusieurs étapes. Airbus a lancé un programme similaire sur 80 postes à l'international. « Nous avons eu 630 candidats le premier jour et 10 000 en fin de processus. L'international a encore beaucoup de sens et c'est une bonne nouvelle pour l'avenir » conclut Thierry Baril.

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