Des avions plus intelligents : un danger ou une sécurité ?

L'affaire du Boeing 737 MAX relance le débat sur les dangers d'une automatisation trop poussée, à l'heure où se préparent de nouvelles étapes.
Fabrice Gliszczynski
(Crédits : <small>DR</small>)

Les compagnies aériennes et les constructeurs d'avions ne cessent de le marteler. La sécurité est leur priorité absolue. Elle est même consubstantielle à leur développement économique, puisque le transport aérien doit en effet être sûr pour assurer sa croissance. L'explosion du trafic aérien depuis soixante ans n'aurait jamais été aussi forte sans la baisse continue des accidents.

Les deux courbes ont toujours pris des directions opposées. Le nombre de vols ne cesse d'augmenter (un avion décolle ou atterrit toutes les secondes environ) quand celui des accidents ne cesse de diminuer, au point d'arriver aujourd'hui à un taux d'accident mortel extrêmement faible de 0,14 accident par million de vols, et même de 0,05 pour les avions de la 4e génération (A320, A350, A380, A220, B777, B787), équipés de commandes électriques et de systèmes de protection du domaine de vol. Ce qui correspond, pour ces avions, à un accident mortel tous les 20 millions de vols.

Dit autrement, en 2018, il y a eu 523 morts en avion sur plus de 4 milliards de passagers. Pour autant, constructeurs et transporteurs le savent très bien. Aussi élevées soient-elles, ces performances devront encore être améliorées pour éviter que l'augmentation du nombre de vols n'entraîne une hausse mécanique des accidents en volume et ne finisse par casser la confiance des passagers.

Défaillance du MCAS et notion de confiance

Cette notion de confiance est clairement posée depuis les accidents de Lion Air fin octobre 2018 et d'Ethiopian Airlines le 10 mars (346 morts), impliquant dans les deux cas un Boeing 737 MAX flambant neuf, la version remotorisée du célèbre B737 mise en service en mai 2017. Ces accidents ont en effet révélé un défaut de conception d'un logiciel de l'avion, une opacité dans la certification et une absence d'informations apportées aux compagnies aériennes et aux pilotes concernant les modifications de l'appareil. Pour rappel, ces deux accidents ont pour origine une défaillance du MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System), un système de stabilisation en vol pour éviter un décrochage de l'avion, qui n'existait pas sur le B737 classique. Il a été ajouté sur la version remotorisée dite MAX, sans que les pilotes en soient informés.

Autre surprise, l'autorité américaine de l'aviation civile, la Federal Aviation Administration (FAA), a délégué l'essentiel de la certification du MCAS à des ingénieurs de Boeing. Émanant d'un industriel et d'une autorité de l'aviation civile aussi réputés que ne le sont Boeing et FAA, ces dysfonctionnements auraient pu créer un sentiment de défiance chez les passagers à l'égard de l'écosystème aéronautique et du transport aérien, reconnu pour l'exigence de ses normes et la rigueur de ses procédures, au même titre que l'industrie nucléaire par exemple. Il n'en fut rien. Les interrogations ne concernent que le B737 MAX, cloué au sol depuis quasiment quatre mois. La question du boycott de cet avion par les passagers est carrément posée lorsque l'appareil reprendra les airs. Selon un sondage publié par le Los Angeles Times début juin, 40 % des voyageurs américains interrogés seraient prêts à payer plus cher, ou à voyager sur un vol moins pratique, pour éviter le 737 MAX.

La question de l'automatisation

Néanmoins, si cette affaire n'a pas eu de conséquence sur les autres types d'avions, elle n'en a pas moins ouvert un débat qui touche l'ensemble du secteur : celui des dangers potentiels d'une automatisation excessive. Les tweets de Donald Trump sur le sujet n'y sont pas étrangers : « Les avions deviennent beaucoup trop complexes pour voler (...). On n'a plus besoin de pilotes mais d'informaticiens. Il faut prendre des décisions à la seconde près, et la complexité crée un danger (...). Je ne sais pas pour vous, mais je ne veux pas qu'Albert Einstein soit mon pilote. Je veux des grands professionnels qui sont autorisés à prendre facilement et rapidement le contrôle d'un avion », a asséné le président américain deux jours seulement après l'accident d'Ethiopian Airlines.

Même si le problème du 737 MAX ne fut pas tant un problème d'automatisation que de défaillances multiples, la question de l'automatisation est posée à l'heure où se préparent à court terme de nouvelles ruptures technologiques dans les cockpits, et à plus long terme des modifications complètes des designs des avions adaptés à de nouvelles sources d'énergie.

Le pilote encore indispensable

« Nous développons un cockpit disruptif. Notre ambition est de concevoir de plus en plus de systèmes automatisés qui permettent d'améliorer la sécurité. L'automatisation a des effets positifs sur la sécurité », déclarait récemment Grazia Vittadini, chief technology officer (CTO) d'Airbus. Sur la durée, les statistiques lui donnent raison. Les avancées technologiques (pilotage automatique, planche de bord tout écran, système anticollision, commandes électriques, protection du domaine de vol...) sont, en parallèle d'une amélioration de la formation des pilotes, à l'origine du très haut niveau de sécurité actuel. Et beaucoup ne voient pas pourquoi il en serait différemment demain. Néanmoins, certaines nouvelles étapes de l'automatisation à venir font déjà débat. Notamment le passage, au cours des prochaines années, à un seul pilote dans les cockpits contre deux aujourd'hui. Ceci dans les phases de croisière uniquement, au cours desquelles les pilotes surveillent essentiellement les systèmes, font valoir les partisans du Single-Pilot Operations.

Même si l'ajout des technologies a fait chuter le nombre de personnes dans le cockpit, de quatre à cinq à la fin des années 1950-début des années 1960 (deux pilotes, un mécanicien, un navigateur, un responsable radio) à deux pilotes dans les années 1980, reste à savoir si les passagers accepteront de ne voir qu'un seul pilote dans le cockpit, sachant qu'un malaise, une intoxication alimentaire, une crise cardiaque, voire un problème psychologique, peuvent arriver à tout moment, comme l'a rappelé le suicide du copilote de Germanwings, en 2015. Profitant de la sortie du cockpit du commandant de bord, il avait dirigé délibérément l'avion contre une montagne des Alpes, faisant 150 victimes.

En attendant le passage à l'avion autonome

Selon les opposants à cette mesure, l'immédiateté à laquelle peut répondre un pilote dans une situation dégradée semble néanmoins difficile à remplacer aujourd'hui. « L'être humain a une capacité de réaction et un niveau de finesse que n'a pas la machine, mais il commet des erreurs », explique un commandant de bord, qui se demande comment un pilote seul pourra gérer une situation dégradée soudaine en situation de stress le temps que le commandant de bord ne revienne de sa couchette, notamment le principe de cross check [vérification de ce que fait l'autre pilote, ndlr].

Cette étape interpelle d'autant plus qu'elle sera forcément la dernière avant le passage éventuel, un jour, à l'avion autonome pour le transport de passagers. Ces questions vont très vite se poser dans la mobilité urbaine aérienne avec l'arrivée, d'ici à 2025, des véhicules à décollage et atterrissage verticaux (VTOL), souvent appelés « taxis volants ». Car, s'il semble inconcevable d'ouvrir ce marché avec des avions autonomes, la plupart des projets en cours ont bien l'intention de se passer de pilotes dans un second temps. Plus que la technique, la question de l'acceptabilité, et donc de la confiance, sera cruciale pour pousser davantage l'automatisation de l'aviation. Or, curieusement, si l'on en croit un sondage d'Ansys, éditeur américain de logiciels spécialisé en simulation numérique, elle serait déjà au rendez-vous. Sur les 22.000 personnes interrogées dans le monde, 70% seraient prêtes à voyager dans un avion autonome, avec une sensible différence selon l'âge. Ayant le plus souvent grandi avec les nouvelles technologies, les 18-24 ans sont à 83 % favorables à voyager dans un avion sans pilote, contre 45 % pour les 65 ans et plus. Reste à voir ce qui se passera quand il faudra réellement monter à bord.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 9
à écrit le 04/09/2019 à 14:13
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Quand plus de 95% des accidents aériens proviennent d’erreurs humaines, on peut se dire qu’avec l’intelligence artificielle, le risque accidentelle sera quasi nul !

à écrit le 28/08/2019 à 11:59
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@ pm Le choix du CDB concernait la navigation, pas le pilotage. Les co-pilotes peu expérimentés ont braqué au lieu de piquer pour récupérer la portance et l'avion "décroché" est tombé comme une pierre. L'autre problème est celui des Pitots-Bernoulli...

à écrit le 27/08/2019 à 22:54
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Le cas particulier du 737max est une anomalie dramatique du paysage sécuritaire du secteur aérien : 2 crash à 6 mois d'intervalle concernant des appareils neufs sans erreur humaine. Boeing n'a pas été clair sur l'origine de ces tragédies, mais il se...

à écrit le 27/08/2019 à 13:39
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J'ai commencé à travailler sur les "pilotes-automatiques" d'avions commerciaux et militaires en...1966 avec l'Autoland.Phase-III-C de Lear_Siegler-Sud_Aviation pour les...Caravelles. J'ai suivi toutes ces technologies, depuis avec l'évolution de plus...

le 27/08/2019 à 19:08
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Léger correctif. Votre argumentation sur la perte de compétence est juste. Toutefois, dans le cas d'espèce, il me semble avoir lu que le CDB, avant le vol, avait choisi LA route à ne pas prendre. Celle que les autres avions ont évité. Piloter, c'est ...

à écrit le 27/08/2019 à 13:27
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le taux global de fiabilité ne cesse d'augmenter ! le mot danger non accompagné de l'épithète contrôlé (confiné) me semble sujet à caution, un reste de sang à la une pour vendre l'article ?

à écrit le 27/08/2019 à 11:57
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Sauf que pour le 737 Max, le MCAS n'a été embarqué que pour corriger les défauts d'un avion mal conçu. Le meilleur fer à repasser ne volera jamais.

à écrit le 27/08/2019 à 9:39
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Pour éviter les accidents du genre de celui de Madrid en 87, où un pilote d'Avianca surbooké, et fatigué se droguait pour tenir au delà de ses heures normales de vol... (les vols nord sud demanderaient trois jours de repos complet par déphasage magné...

à écrit le 27/08/2019 à 9:25
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