Des vols de plus de 20h sur des Airbus ou des Boeing : les passagers sont-ils prêts ?

Airbus et Boeing vont tenter de gagner l'appel d'offres lancé par la compagnie australienne pour la vente d'avions très long-courriers demandés par la compagnie.
Fabrice Gliszczynski
Airbus propose son A350-900 ULR, aménagé pour franchir les distances souhaitées par Qantas, mais peut aussi proposer, si besoin, l'A350-1000, de plus grande capacité, en lui apportant là-aussi des modifications pour étendre le rayon d'action.
Airbus propose son A350-900 ULR, aménagé pour franchir les distances souhaitées par Qantas, mais peut aussi proposer, si besoin, l'A350-1000, de plus grande capacité, en lui apportant là-aussi des modifications pour étendre le rayon d'action. (Crédits : David Gray)

Alors que Singapore Airlines s'apprête à réaliser en octobre le vol le plus long du monde avec la mise en service d'un Airbus A350-900 ULR (Ultra Long Range) entre Singapour et New York, avec un temps de parcours de 19 heures, la bataille des vols très long-courriers bat son plein entre Airbus et Boeing. Lancé l'an dernier par Qantas, le défi de concevoir un avion capable d'assurer des vols de plus de 20 heures pour relier directement la côte est de l'Australie à l'Europe ou à la côte est des États-Unis a été pris très au sérieux par les deux géants de l'aéronautique.

Commande en 2019

Si elle arrive à définir un projet rentable, la compagnie australienne passera commande l'an prochain. Pour l'heure, l'avion capable d'une telle mission n'existe pas. Les vols entre l'Europe et l'Australie passent tous par le Golfe, l'Asie du Sud-Est (Singapour, Bangkok...) ou Hongkong ou Taipei.

Airbus propose donc son A350-900 ULR, aménagé pour franchir les distances souhaitées par Qantas, mais peut aussi proposer, si besoin, l'A350-1000, de plus grande capacité, en lui apportant là-aussi des modifications pour étendre le rayon d'action.

« Nous avons deux options pour les compagnies », a expliqué Eric Schulz, le nouveau directeur commercial d'Airbus, lors de l'assemblée générale de l'Association internationale du transport aérien (IATA) qui s'est tenue jusqu'à ce mardi 5 juin à Sydney.

Boeing mise, quant à lui, sur son futur Boeing 777-8X, dont la mise en service est prévue en 2022.

L'A350-900 peut voler 19 heures (voire 20 heures, assure Airbus), grâce à un emport additionnel de la capacité carburant, le B777-8X près de 18 heures dans sa version de base à 350 passagers. Pour Tim Clark, le président d'Emirates, l'avion de Boeing est "fabuleux" et, s'il était à la place d'Alan Joyce, le Pdg de Qantas, il le choisirait. Pour autant, lui ne croit pas à ce marché.

Emirates sceptique

« Les gens ne veulent pas de vols aussi longs », dit-il, en rappelant qu'Emirates avait déjà essayé ce type de vols en A340-500 et en B777-200LR. Même si les tentatives malheureuses l'ont peut-être dissuadé, il est clair aussi qu'il ne va pas encourager l'initiative de Qantas qui, si elle réussissait, remettrait en question l'accord de coopération passé en 2013 avec Emirates. Ce dernier définit que la compagnie australienne transporte ses passagers en direction de l'Europe à Dubaï, et qu'Emirates prenne ensuite le relais pour les accompagner en Europe.

Marché difficile

Le marché des vols de plus de 20 heures semble extrêmement complexe tant pour les avionneurs que pour les compagnies aériennes. Tout d'abord, parce que sa taille est très limitée. Selon Eric Schulz, le nouveau directeur commercial d'Airbus, il y a trois autres compagnies qui ont une partie du réseau qui nécessiterait de tels avions.

« À part Londres-Sydney, il y a peu de dessertes qui peuvent justifier des vols de 20 heures chaque jour. Ce marché est une niche », assure un expert du secteur.

Il est, en effet, peu probable que tous les passagers potentiels préfèrent un vol sans correspondance par rapport à un vol avec un transit, lequel permet de souffler et de se dégourdir les jambes, même pour les passagers de la classe affaires. Par conséquent, les compagnies sont obligées aujourd'hui de proposer moins de sièges, mais plus de sièges confortables. Autrement dit, de "dédensifier" l'avion, comme va le faire Singapore Airlines sur la ligne Singapour-New York, où les A350 ULR n'auront pas de classe économique, mais une classe affaires de 67 sièges et une classe Premium de 94 sièges, pour un total de 161 sièges, contre 253 sièges dans les A350 classiques opérés par la compagnie.

La recette unitaire doit être élevée pour compenser des coûts élevés

De facto, ces vols ne peuvent s'adresser essentiellement qu'à des voyageurs professionnels, dont les employeurs sont capables de payer des billets plus chers que ceux en vigueur sur les vols avec escale pour gagner 3 ou 4 heures sur le temps de vol. Certains analystes estiment que Qantas pourrait ainsi augmenter le prix de ses billets de 20% entre Londres et Sydney si cette ligne était opérée sans escale.

Deux conséquences néanmoins à ne pas négliger : d'une part, les vols sans escale risquent de cannibaliser la clientèle haute contribution des vols avec escale et ainsi compliquer l'économie des lignes de ces dernières. D'autre part, les vols sans escale sont condamnés à dégager une recette unitaire élevée pour compenser une capacité en sièges moindre et des coûts du passager à l'heure de vol considérablement plus élevés que sur un avion opérant sur une ligne classique.

"Coefficient de transport"

En effet, les coûts d'exploitation des vols "hyper range" sont très élevés pour plusieurs raisons. La première d'entre elles est liée au "coefficient de transport", qui signifie que plus un avion va loin, plus il transporte du pétrole qui va lui servir à transporter le pétrole nécessaire pour faire la distance supplémentaire en bout de la ligne. À tel point qu'avec un prix du carburant très élevé, il devient plus intéressant de faire une escale technique.

Par ailleurs, avec des vols de plus de 20 heures, il sera plus difficile d'optimiser les programmes de l'avion pour le faire voler au maximum.

"Contrairement à ce que l'on pourrait penser, des avions positionnés sur des étapes très longues ne sont pas forcément ceux qui affichent le plus grand nombre d'heures de vol à l'année. Car, à l'issue d'un vol très long aller-retour, il n'est pas évident de lui trouver une autre destination pour le faire voler avant son nouveau vol 'hyper range'. Il n'y a pas d'enroulement des programmes, l'avion s'enroule avec lui-même", explique le même expert.

Potentiel sur le marché d'occasion limité

Par ailleurs, ces avions spécifiques ont un potentiel de revente plus limité que les autres. Plus difficile à recaser sur le marché de l'occasion, leur valeur résiduelle est par conséquent plus faible.

« Cela entraîne un renchérissement des coûts annuels de coque », explique un spécialiste du transport aérien.

Pour lui, de tels avions entraîneraient probablement une hausse des coûts de maintenance en escale en raison d'une usure potentielle plus importante des équipements.

Un défi pour Airbus et Boeing

Si des vols de plus de 20 heures restent donc un défi pour les passagers et les compagnies aériennes, ils le sont également pour Airbus et Boeing. Car Qantas demande des avions capables de voler sur de telles distances à pleine charge, avec près de 300 passagers pour avoir une recette maximale. Pour Alan Joyce, les améliorations du rayon d'action ne doivent pas provenir de l'ajout de réservoirs, mais d'une amélioration du design de la voilure, d'une poussée supplémentaire des moteurs et d'une réduction de la masse de l'avion.

« L'enjeu pour Airbus et Boeing est de pouvoir offrir un produit dérivé présentant des performances additionnelles sans trop s'écarter de la spécification nominale. S'ils y arrivent, ils peuvent satisfaire la demande. S'ils n'y arrivent pas, les coûts vont s'envoler », explique un spécialiste de l'aéronautique.

Ce dernier estime que ce type d'avions va nécessiter un complément de la certification, car les autorités de contrôle vont nécessairement vouloir la preuve que tous les systèmes techniques, tous les équipements périphériques soient capables de fonctionner sur de telles distances.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 6
à écrit le 06/06/2018 à 18:41
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M. Gliszczynski, vous avez omis de nous parler des avantages à faire un vol de 20h sans escale. Que dit Quantas ?

à écrit le 06/06/2018 à 17:43
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Assis 20 heures sur un siège parfaitement inconfortable, dans une bétaillère volante, que du plaisir !!!

à écrit le 06/06/2018 à 8:36
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C'est en effet pénible l'avion, 20h doit être un véritable calvaire.

à écrit le 06/06/2018 à 4:26
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Faire 22 heures de CdG a FAAA, 'pour ceux qui l'ignorent, vous comprendrez qu'etre assis sur un siege de 50 cm est un plaisir indescriptible. Bien sur c'est sur Air Chance, pre carre oblige.

à écrit le 05/06/2018 à 22:21
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Sur un vol transatlantique 8H, Classe Bétaillère en B777 ou A330, 400 individus. L'on observe aisément qu'ils sont à bout ou de fatigue ou de tension, ou les deux à la fois. 20H ( vers le Pacifique Sud) en Bétaillère, c'est gérable à 200 individus.

à écrit le 05/06/2018 à 18:42
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