Le ministère des Armées teste le drone "kamikaze" américain Switchblade

Le ministre des Armées Sébastien Lecornu a récemment reconnu que son ministère évaluait "le Switchblade américain" tout en précisant qu'"aucune décision n'a été prise pour l'instant". Les armées veulent combler cette lacune capacitaire.
Michel Cabirol
Fabriqué par la société américaine AeroVironment, ce drone, qui peut contenir dans un sac à dos et est lancé par un tube lance-missile, est utilisé en vue de détruire des blindés notamment.
Fabriqué par la société américaine AeroVironment, ce drone, qui peut contenir dans un sac à dos et est lancé par un tube lance-missile, est utilisé en vue de détruire des blindés notamment. (Crédits : AeroVironment)

Achètera, n'achètera pas ? Les armées françaises sont en train de tester un drone suicide ou drone kamikaze américain, le fameux Swichtblade, qui viendrait rapidement combler une lacune capacitaire identifiée depuis plusieurs années. Interrogé par Cédric Perrin (LR), le ministre des Armées Sébastien Lecornu a reconnu lors d'une audition devant la Commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat le 20 juillet que son ministère évaluait "le Switchblade américain" tout en précisant qu'"aucune décision n'a été prise pour l'instant".

Fabriqué par la société américaine AeroVironment, ce drone, qui peut contenir dans un sac à dos et est lancé par un tube lance-missile, est utilisé en vue de détruire des blindés notamment. Il combine des capacités ISR grâce à son logiciel S2S avec des capacités de frappe de précision. Selon le site d'AeroVironment, qui reprend des articles de la presse américaine, 700 de ces drones consommables ont été fournis par les Etats-Unis à l'Ukraine pour lutter contre les forces russes.

Des armements opérationnels disruptifs

Ces drones suicides sont apparus aux yeux du grand public lors du conflit du Haut-Karabagh en 2020 entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Ils ont permis à l'armée azérie de remporter à l'automne 2020 une victoire éclair contre les Arméniens. Le succès de l'Azerbaïdjan s'explique en partie par l'emploi massif de drones israéliens - le drone kamikaze Harop, contre des unités blindées ou d'artillerie - et turcs - avec le modèle Bayraktar TB2, petits avions pilotés à distance et armés de bombes légères de 50 à 60 kilogrammes, ont estimé les deux rapporteurs de la mission d'information sur la guerre des drones Stéphane Baudu et Jean Lassalle (juillet 2021).

"Coordonnés avec des moyens plus classiques, ces drones et munitions rôdeuses ont saturé les défenses aériennes arméniennes, sidéré et désorganisé l'armée arménienne, et permis une victoire rapide", ont estimé les deux députés.

Ces armes ont été également utilisées sur le théâtre libyen. D'après un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies publié en mars 2021, le gouvernement d'Union nationale de la Libye aurait utilisé en mars 2020 contre les forces du maréchal Khalifa Haftar, des drones de combat ou des systèmes d'armes létaux autonomes (SALA) en essaim, notamment des Kargu-2 fabriqués par la société turque STM et d'autres munitions rôdeuses. Ces SALA avaient été "programmés pour attaquer des cibles, sans qu'il soit besoin d'établir une connexion des données entre l'opérateur et la munition, et étaient donc réellement en mode d'autoguidage automatique", ont estimé les rapporteurs de la mission d'information sur la guerre des drones.

Enfin, des essaims de drones qualifiés de kamikazes ont également été employés par l'État islamique en Irak, particulièrement lors de la bataille de Mossoul, en 2016, comme l'ont indiqué aux rapporteurs les représentants de l'état-major des armées auditionnés dans le cadre de cette mission d'informations.

Retard de la France

"La guerre en Ukraine confirme un besoin déjà identifié depuis plusieurs années de compléter notre système de force avec des munitions télé-opérées", avait souligné en juin le chef d'état-major de l'armée de Terre, le général Pierre Schill dans une interview accordée à La Tribune. Il n'est d'ailleurs pas le premier à exprimer cette lacune capacitaire. L'ex-chef d'état-major de l'armée de l'air, le général Philippe Lavigne, aujourd'hui commandant suprême allié pour la transformation de l'OTAN, le soulignait en juin 2021 à l'Assemblée nationale : "Dans le Haut-Karabakh, des munitions rôdeuses ont été utilisées. Ces évolutions nous interpellent et nous devons prendre en compte ces menaces dont l'emploi se perfectionne". Pourtant à l'époque de ce conflit la France n'a pas voulu combler cette lacune. Pourquoi ? Pour des raisons éthiques.

L'ancien chef d'état-major des armées, le général François Lecointre avait d'ailleurs été très clair en juin 2021 à l'Assemblée nationale. "L'emploi de munitions rôdeuses n'est pas acceptable d'un point de vue éthique. Plus la distance avec la cible à détruire est grande, plus le questionnement éthique importe. C'est une réflexion qui a été menée au sein du Comité d'éthique du ministère des Armées. Les drones que nous utilisons permettent de contrôler la munition tirée sur la cible qui est identifiée précisément jusqu'au moment du déclenchement du tir". Dans un avis rendu public le 29 avril 2021, le comité d'éthique de la Défense s'est exprimé contre l'utilisation des SALA mais était favorable à l'emploi de robots intégrant de l'intelligence artificielle.

En dépit de ces préventions, la France s'est finalement décidé à développer ce type d'armement au regard des gains opérationnels. "Ces principes éthiques ne doivent pas empêcher la France d'envisager l'émergence de nouvelles capacités, avaient d'ailleurs estimé Stéphane Baudu et Jean Lassalle. C'est ainsi qu'à la suite du conflit du Haut-Karabagh, la France gagnerait à s'interroger sur l'apport opérationnel que pourraient constituer de nouveaux usages ou matériels, à l'instar des munitions rôdeuses".

"Je trouve que le terme de munitions rôdeuses est impropre. Il laisse à penser qu'il s'agirait de munitions totalement autonomes capables de frapper à l'improviste et en permanence nos unités. La réalité opérationnelle est bien différente : il s'agit de munitions télé-opérées, c'est-à-dire de drones, plus ou moins lourds, dotés d'une charge explosive et opérés à distance », avait expliqué à La Tribune le général Pierre Schill.

Des appels à projet de la DGA

La France s'est enfin mis en ordre de marche. La Direction générale de l'armement (DGA), en coopération avec l'Agence de l'innovation de défense (AID), a lancé deux appels à projet complémentaires : Larinae, pour neutraliser un véhicule blindé en mouvement à une distance de 50 kilomètres, le drone ayant une autonomie d'une heure et une résistance à un environnement perturbé, tel que le brouillage des canaux de communications ou des signaux GNSS ; Colibri, pour la neutralisation d'un véhicule léger à une distance de 5 kilomètres avec une autonomie de 30 minutes.

"Nous avons lancé récemment un appel d'offres pour réaliser des drones armés, que je qualifierai de munitions rôdeuses, lesquelles, en tant que consommables, ne doivent pas coûter trop cher. Le coût de l'arme utilisée ne doit pas être plus élevé que celle à contrecarrer », a confirmé mi-juillet à l'Assemblée nationale le Délégué général pour l'armement, Joël Barre, aujourd'hui remplacé depuis le 31 juillet par Emmanuel Chiva.

Cet appel à projets vise à contractualiser un ou plusieurs développements de projets sur une durée maximale de 24 mois chacun (démonstration incluse). Les propositions des candidats étaient attendues le 6 juillet. Le ministère des Armées souhaite faire émerger des solutions à court terme et à bas coût d'utilisation. Cela concerne aussi bien le drone que les munitions embarquées, qui devront naturellement être téléopérées. Notamment les systèmes proposés devront présenter un coût global d'utilisation "significativement inférieur aux armements disposant de performances comparables actuellement utilisés (principalement des missiles)", soulignait le ministère des Armées dans cet appel à projets. Ainsi, le coût récurrent de la partie consommable doit être inférieur à 200.000 euros. Les projets devraient débuter en décembre tandis que les démonstrations sont attendues au 1er semestre 2024.

"Nous espérons aboutir assez rapidement à une mise en service de capacités souveraines, adaptées, sûres, et surtout, disposant d'une certification, ce qui permettra l'entraînement en métropole, actuellement impossible avec les achats sur étagère, faute de certification", avait précisé à La Tribune le patron de l'armée de terre. En attendant, la France achètera peut-être sur étagère des drones kamikazes Switchblade disponibles très rapidement.

Michel Cabirol

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Commentaires 11
à écrit le 24/08/2022 à 10:43
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Que l'État-Major ou la DGA constatent le retard français, ce n'est pas étonnant: il serait plus approprié de battre sa coulpe quand on sait que des démonstrations de drones suicides leur ont été proposées il y a 15 ans! Mais la DGA dédaignait cette s...

à écrit le 22/08/2022 à 17:05
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l me semble qu'une remise en question du char d'assaut tel qu'on le connait est urgente et qu'un certain projet franco-allemand n'est probablement pas une priorité.

le 26/08/2022 à 18:37
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Bonjour, le char d'assaut a toujours un avenir ... c'est le seul qui permet d'avancer sous le feu , ils est capable de délivré une puissance de feu importantes dans les 3000 metres a moindre coups financiers. Croire le contraire et une aberrations.....

à écrit le 22/08/2022 à 13:54
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En matière d'innovation, la France continue de montrer son retard abyssal. A force de ne passer des PEA et des ETO qu'à des industriels filiales de l’État français, on arrive à un niveau de consanguinité tel qu'il ne sort absolument rien de nouveau d...

à écrit le 22/08/2022 à 8:38
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"identifiée depuis plusieurs années" ? On a été pro actif sur ce coup là ! Sans armes pas de morts ,pas de familles endeuillées,pas de pays détruit et pas de gros bénéfices pour les financiers .L'histoire montre que c'est les guerres qui ont enric...

à écrit le 22/08/2022 à 8:26
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S'ils veulent ce genre de matériel on a plein d'ingénieurs en France qui ont le niveau pour en développer. Pas besoin d'aller acheter ça chez nos maîtres.

le 22/08/2022 à 9:28
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Si vous aviez eu la possibilité de lire l'article, sachez que la DGA a déjà lancé plusieurs appels d'offres dont la décision finale sera prise en 2024 . Donc cet achat, c'est comme les Reaper, c'est un achat d'urgence et vu le contexte actuelle, on n...

le 22/08/2022 à 9:55
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Certes mais les élaborer tester ça prend du temps … la le sujet c est de remplir un trou tactique maintenant … au cas où la Russie aurait certaines velléités… par contre la question est qu on foutu les gouvernements et généraux de l’ apparition des d...

le 23/08/2022 à 10:45
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Va falloir qu'on m'explique quelles velléités de la Russie nécessiteraient que l'on achète du matériel US. Les Russes n'ont pas les effectifs suffisants pour occuper l'Ukraine (et ils le savent) et vous psychotez sur leur entrée dans Paris ??? On a d...

à écrit le 22/08/2022 à 8:03
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Les américains poussent les "pigeons" à la guerre pour vendre leur camelote! Cela volent bas chez McKron, il est bien conseillé!

le 22/08/2022 à 16:59
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auriez vous été fracassé par un drone pour dire de telles inepties, toutes les armées s équipent: Russie, Chine, Turquie, Usa...il est temps de sadapter aux nouvelles réalités..le mondes des bisounjours et de la conso délirante c' est fini ...

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