Cela aurait pu être un drame : avant le coup d'envoi d'un récent match entre la France et l'Allemagne à l'Euro 2021, un ULM a failli s'écraser en tribune dans l'enceinte de l'Allianz Arena, et a fait deux blessés. Si cela avait été un drone, aurait-il pu être abattu ? La question devient brûlante, d'autant plus que le championnat mondial du rugby, en 2023, puis les Jeux Olympiques, en 2024, se profilent. Pis, la menace ne cesse de croître : perturbations, en 2018, dans les aéroports d'Oslo et à Gattwick (Londres) en raison des drones, attaque de drones sur les installations pétrolières d'Aramco en 2019, et, plus récemment, utilisation de drones kamikaze dans le Haut-Karabakh, pour ne citer que quelques exemples.
Appel d'offres en cours
La lutte anti-drones est aujourd'hui devenue l'une des priorités du ministère des Armées dans le cadre de l'actualisation de la revue stratégique. D'autant que « la menace est de plus en plus courante », analyse Hervé Grandjean, porte-parole du ministère des Armées. Elle est fugace. Et avec le boom des drones à usage commercial, « il est de plus en plus difficile de discriminer s'il s'agit d'un drone commercial à usage civil ou d'un drone potentiellement malveillant », estime-t-il. De quoi rendre compliquée la lutte contre ces engins, qui repose sur la détection, la caractérisation puis, le cas échéant, la neutralisation. Pas facile, en effet, de détecter un drone de la taille d'un oiseau et éventuellement de le neutraliser à distance...
Pas question non plus, pour le ministère des Armées, de rester « bras ballants, assure Hervé Grandjean. Nous avons un certain nombre de systèmes, qui sont opérationnels et nous avons déjà sécurisé des événements comme le G7 à Biarritz ». Outre BASSALT et MILAD (Moyens Mobiles de Lutte Anti-Drones), dont il s'est équipé, le ministère prépare la suite. « Nous avons un appel d'offres en cours pour nous doter d'ici à la fin 2022, avant l'échéance de la Coupe du monde du rugby et des JO, de 10 à 15 systèmes qui seraient à même de répondre à nos besoins », indique le porte-parole du ministère des Armées. « Ces systèmes s'appuieront sur les trois piliers de la lutte anti-drones : la capacité de détection, donc des senseurs, un "command and control" (C2) et des effecteurs », précise-t-il.
Répondre aux technologies de demain
Pour trouver la parade, l'écosystème de la recherche est lui aussi sur le pied de guerre. « Nous avons affaire à une menace protéiforme, qui évolue et est synonyme d'intégration de nouvelles technologies, avec une évolution constante. La France possède un certain nombre de systèmes de lutte anti-drones. Il faut veiller à ce que ces dispositifs soient capables de répondre aussi aux technologies de demain qui seront intégrées sur ces drones », souligne Franck Lefevre, directeur technique général de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA).
Pour y parvenir, l'établissement de recherche planche sur des technologies telles que les systèmes de radars actifs ou passifs, l'acoustique ou l'optronique, pour la détection, ou par exemple, le laser et les champs électromagnétiques, dans le domaine de la neutralisation. L'un des défis étant l'environnement dans laquelle la lutte anti-drones a lieu. « Elle va être radicalement différente si elle est menée en milieu urbain, autour d'une centrale nucléaire ou au cœur d'un désert », note-t-il.
Thales et CS Group s'associent dans la course
Du côté des industriels, Thales, qui œuvre dans les domaines du contrôle aérien civil et de la défense aérienne, transpose ces technologies dans le monde de l'anti-drones, comme l'explique son directeur général adjoint des systèmes terrestres et aériens, Christophe Salomon. Le groupe, qui assure la gestion de trafic de drones dans certains aéroports, développe par ailleurs des solutions anti-drones à partir de radars issus du monde militaire, les radars holographiques, des équipements optroniques, des effecteurs, la signature électromagnétique, la signature infrarouge... tout comme les moyens de communication et de mise en réseau. Il table en outre sur des partenariats avec des PME innovantes.
Ainsi, Thales a répondu à l'appel d'offres lancé par le ministère aux côtés de CS Group. « Nos assets sont complémentaires. Il n'y aura pas de solution unique, mais au contraire, un portefeuille de solutions qu'il va falloir assembler à plusieurs », estime Christophe Salomon. « Notre ADN, c'est de nous positionner au cœur de la chaîne de C2 et d'embarquer l'Intelligence Artificielle », indique de son côté Eric Blanc-Garrin, directeur général de CS Group qui, par ailleurs, a assuré la maîtrise d'ouvrage de MILAD pour le ministère des Armées. Une ETI dont l'atout est « l'agilité pour tester les technologies qui marchent un temps mais ne marcheront pas demain car la menace est de plus en plus sophistiquée et va nécessiter des réponses adaptées et au juste prix », estime-t-il.
Accélérer la course
Reste à aller vite. D'autant que, pour Cédric Perrin, vice-président de la commission des Affaires étrangères, défense et forces armées du Sénat, a « la conviction que l'attention sur les drones a été portée tardivement », même s'il y a une multitude de startups et d'entreprises de taille diverses qui travaillent avec succès, juge celui qui présente ce mercredi un rapport sur ce sujet au Sénat.
« J'ai le sentiment qu'on n'a pas adapté nos processus d'acquisition à l'évolution des nouvelles technologies et à l'innovation galopante », s'inquiète-t-il. Le sénateur milite ainsi pour que l'Agence de l'innovation de défense (AID) ait plus d'autonomie financière et hiérarchique afin qu'elle soit « un moteur permettant de contrebalancer les lourdeurs de la DGA en matière d'acquisition, compte tenu notamment d'un certain nombre d'appels d'offres, très longs ». « Nous considérons qu'un processus d'acquisition qui mène à l'achat de 10 ou 15 systèmes en moins de 18 mois est plutôt une performance quand on évolue dans le contexte de codes de marchés publics », rétorque Hervé Grandjean, pour qui il s'agit de coupler le besoin de court terme avec un développement technologique à plus long terme. La course, en tout cas, est lancée...
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