
Près d'un mois après les déclarations fracassantes du nouveau chancelier Olaf Schotz sur l'augmentation du budget de la défense allemand, le soufflet est un peu retombé outre-Rhin. Il a notamment annoncé que l'Allemagne, qui est pourtant attachée à son équilibre budgétaire, allait consacrer à l'avenir chaque année plus de 2% de son Produit intérieur brut (PIB) à sa défense. Pourtant les Verts et le SPD clamaient haut et fort, y compris une semaine avant le discours d'Olaf Scholz, que jamais l'Allemagne ne dépenserait un tel argent pour la défense. "C'est dingue, c'est absolument dingue ce qui s'est passé en Allemagne", estime un très bon observateur des affaires de défense des deux côtés du Rhin.
Pour autant, la mise en musique des annonces du chancelier ne sera pas simple, notamment la mise en œuvre du Fonds spécial, doté de 100 milliards d'euros environ (soit 80 milliards hors taxes) pour moderniser une armée allemande sous-équipée. Cette somme permettra vraisemblablement de financer les 35 F-35 mais aussi les deux programmes les plus emblématiques de la coopération européenne - SCAF (Système de combat aérien du futur) et MGCS (Main Ground Combat System ou char du futur) - et pourquoi pas la modernisation de l'hélicoptère Tigre (Tigre Mark 3) ou encore le futur avion de patrouille maritime (MAWS) en coopération avec la France. Des programmes qui n'avaient pas été pour le moment financés ou avaient partiellement été financés. Les 100 milliards vont donc permettre un recyclage des programmes qui restaient à financer par le ministère de la Défense allemand, espère-t-on à Paris. Dont les programmes en coopération avec la France.
Un fonds spécial à risque ?
Pourquoi la mise en place du Fonds spécial ne sera pas simple ? "Ce montant sera couvert par de nouvelles dettes, rendant indispensable la modification de la Loi Fondamentale puisque ce montant dépasse le seuil maximal constitutionnel de 0,65% de la production annuelle industrielle autorisée pour l'endettement", explique-t-on à La Tribune. Toute modification de la Loi fondamentale doit être adoptée par le Bundestag et le Bundesrat, à chaque fois avec une majorité des deux tiers. Or, l'Union (CDU et CSU) sans laquelle aucune majorité des deux-tiers ne peut être réunie (197 députés et 23 élus au Bundesrat) refuse de voter un chèque en blanc.
Ainsi, elle exige que ce fonds aille exclusivement à la défense, et non à la sécurité, et que les programmes à lancer soient clairement mentionnés et documentés. En outre, l'Union insiste sur le maintien du budget de la défense à 2% du PIB alors que la planification budgétaire allemande est triennale et indicative. Sur les cinq prochaines années (2022-2026), l'enveloppe du budget de la défense est pour l'heure plafonnée à 50,1 milliards d'euros. A titre de comparaison, le budget français s'élève à 40,9 milliards en 2022, dont 14,5 milliards pour les équipements (programme 146).
La France confrontée aux ambitions allemandes
Si l'Allemagne a frappé un très grand coup en annonçant une augmentation brutale de son budget de défense, la France est restée plutôt discrète dans ses réponses face à la nouvelle ambition allemande. Car, en mettant autant d'argent dans la défense, Berlin va ravir très rapidement le "leadership" de Paris en matière de défense en Europe. "Pour garder son rang, la France doit répondre avec la même ambition et les mêmes objectifs en disant qu'elle va augmenter son budget et qu'elle souhaite faire des coopérations. La France doit saisir la balle au bond", explique un très bon observateur des affaires de défense. Jusqu'à maintenant la France n'a pas encore complètement saisi la balle au bond d'Olaf Scholz, ni d'ailleurs les pays européens au sommet de Versailles. Le candidat Macron a toutefois rappelé que la France avait "la seule vraie armée complète en Europe continentale".
Toutefois, le sommet de Versailles n'a pas été à la hauteur du drame ukrainien. Ni pour les Ukrainiens - Kiev reste seule au monde face à l'ogre russe - , ni pour les Européens, qui n'ont aucune assurance d'une augmentation des budgets de défense en Europe. Il n'y a pas eu de consensus des pays pour que l'Union européenne s'endette et lance de nouveaux financements portant sur des moyens capacitaires militaires comme cela avait été le cas pour lutter contre les impacts économique de la pandémie. C'est pour cela qu'il n'y a eu aucun chiffre évoqué dans les conclusions du sommet. Pourtant, avant le sommet, l'Élysée estimait que le budget européen pouvait "financer des programmes capacitaires conjoints" pour "combler les domaines dans lesquels l'Europe peut avoir des lacunes capacitaires, que ce soit le transport aérien, les drones de combat, les capacités de défense et les missions complexes". En vain, la guerre en Ukraine et en Europe n'a pas fait figure d'électrochoc pour augmenter les budgets de défense et donner la priorité à la coopération européenne.
De son côté, le candidat Macron a simplement confirmé le 17 mars à Aubervilliers la trajectoire de 2025 de l'actuelle loi de programmation militaire (50 milliards d'euros). "Nous avons lancé plusieurs projets qui devront se poursuivre de coopérations capacitaires et la France portera la défense d'un réinvestissement dans le fonds européen de défense au niveau européen pour pouvoir justement aller plus loin et consolider cet effort", a-t-il précisé par ailleurs. Selon le candidat Macron "une nation qui se protège, c'est une nation qui a une armée forte avec un modèle complet qui est bien équipé, qui déploie ses capacités et qui a une loi de programmation militaire à hauteur d'hommes, ce que nous avons fait".
"Je demanderai au chef d'état-major des armées de pouvoir réévaluer tous les besoins qui apparaissent à la lumière justement de la guerre que nous sommes en train de vivre et de la mise en œuvre de la loi de programmation militaire depuis 2019", a néanmoins expliqué le candidat Macron.
Pour autant, c'est l'Allemagne qui a fait bouger les lignes. Elle devra bien sûr confirmer. Clin d'œil de l'histoire, celui qui a fait bouger les lignes de défense en Allemagne est un ancien cadre des Jeunes sociaux-démocrates, qui a débuté son engagement politique dans les années 1980 en manifestant contre la course aux armements... Il est devenu aujourd'hui chancelier.
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