"Nous sommes un peu l'iphone de l'hélicoptère" (Andreas Löwenstein, PDG de Kopter)

Le patron de Kopter Andreas Löwenstein explique dans une interview comment le constructeur suisse d'hélicoptères a été créé et pourquoi il s'est adossé à Leonardo.
Nous avons une cabine en termes de volume utile qui est proche du H145. Mais nous vendons le SH09 au prix d'un monomoteur, soit environ 3,5 millions de dollars, a expliqué le PDG de Kopter, Andreas Löwenstein
"Nous avons une cabine en termes de volume utile qui est proche du H145. Mais nous vendons le SH09 au prix d'un monomoteur, soit environ 3,5 millions de dollars", a expliqué le PDG de Kopter, Andreas Löwenstein (Crédits : Kopter)

LA TRIBUNE : Kopter est une aventure géniale mais aussi un peu dingue. Pourquoi avoir créé il y a dix ans un nouveau constructeur d'hélicoptères dans un marché aussi encombré ?
ANDREAS LÖWENSTEIN : La création de Kopter (ex-Marenco SwissHelicopter) est partie d'un projet spontané, qui n'était pas basé sur une analyse du marché très approfondie. C'était une conjonction rare, voire unique entre une passion technique et la vision d'un investisseur. Et le hasard a bien fait les choses: si ce projet avait ciblé un segment différent - par exemple plus petit ou plus grand - il n'existerait pas aujourd'hui. Le SH09 est exactement là où il fallait le positionner dans un segment où la plupart des concurrents se sont endormis. Leurs hélicoptères sont encore basés sur des technologies des années 60 ou 70. Ces grands groupes, que je connais bien (Andreas Löwenstein a été longtemps chez Airbus Helicopters et EADS, ndlr), ont généré des coûts de structure tels que ce segment ne devient plus accessible pour ces grosses structures. Pour développer un tel appareil, ils devront mettre potentiellement sur la table au moins 1 milliard de dollars en raison des coûts non-récurrents.

A l'inverse, Kopter l'a fait...
... Nous avons une organisation qui a des coûts de structure négligeables. On se focalise uniquement sur les axes prioritaires jugés nécessaires; tout est au plus « juste ». En outre, la Suisse nous facilite le travail en étant un pays qui séduit très facilement les talents. Sur les 320 personnes de Kopter, nous avons embauché un tiers d'anciens salariés de Leonardo et d'Airbus Helicopters. Nous avons réuni des experts aéronautiques de 23 nationalités différentes. Enfin, la Suisse a un droit du travail et fiscal adapté à des projets complexes comme le nôtre. Le code du travail suisse dispose seulement de dix articles dans le code des obligations. Ce qui n'est pas tout à fait comparable à la France... Cette flexibilité du système suisse est extrêmement intéressante pour un projet comme Kopter parce que cela permet d'optimiser les coûts.

Quelles sont les atouts du SH09 face aux autres appareils en concurrence ?
Notre recette n'est pas de faire une rupture pour la rupture. Nous sommes un peu l'iphone de l'hélicoptère, comme quelqu'un nous a surnommés. Ce n'est pas totalement faux parce que l'iphone a été développé à partir de technologies connues (écran plat tactile, mémoires flash, software) mais personne n'avait eu l'idée de mettre ensemble tous ces éléments. C'était cela le génie de Steve Jobs. Nous, d'une certaine façon et à notre échelle, nous avons pris la même voie. Sur le SH09, il y a peu de technologies qui ne préexistaient pas. Clairement, Kopter a repris des technologies destinées aux hélicoptères bimoteurs pour les intégrer sur son monomoteur SH09 : systèmes de sécurité, systèmes électroniques, matériaux... Nous n'avons pas inventé beaucoup de choses révolutionnaires mais nous avons réuni toutes les dernières technologies sur un segment qui a été délaissé pendant des décennies.

Pouvez-vous donner des exemples ?
Les matériaux composites ou la fibre carbone sont appliquées à toute l'aéronautique mais personne n'avait fabriqué un fuselage tout composite sur ce segment. Kopter, lui, l'a fait. Nous avons également des systèmes électriques, hydrauliques et de contrôle moteur totalement redondants. Nous avons intégré d'emblée sur notre monomoteur des systèmes de sécurité qui ne sont généralement appliqués que sur des appareils de catégories supérieures comme par exemple la résistance de l'hélicoptère à l'impact d'un oiseau. C'est l'une des grandes différences: le SH09 est un monomoteur, le restera mais cet hélicoptère dispose par nature d'un niveau de sécurité supérieure à tous ces concurrents.

Où en êtres vous sur le plan commercial ?
Nous avons déjà vendu les trois premières années de production. Ce qui nous assure une très bonne fondation pour démarrer la production de série. Nous avons aujourd'hui obtenu plus de 75 commandes fermes et 100 lettres d'intention (LoI), dont la plupart comportent déjà des acomptes. Je considère que nous pouvons en transformer à peu près 70% en contrats. Ces commandes émanent de clients dans le monde entier. Aussi, nous avons déjà obtenu la confiance de sept grands distributeurs et avons décidé de travailler avec les grands opérateurs emblématiques. Si l'un de ces opérateurs achète cinq appareils et qu'il est satisfait, il peut ensuite en commander 50, 100 ou 150.

Quels sont vos marchés ?
Nous adressons tous les marchés où il y a des hélicoptères monomoteurs et bimoteurs légers à vendre. J'ai bien dit bimoteurs parce qu'ils se vendent dans beaucoup de pays plutôt parce que les clients ont besoin d'une grande cabine. Nous avons une cabine en termes de volume utile qui est proche du H145. Mais nous le vendons au prix d'un monomoteur, soit environ 3,5 millions de dollars. Ce qui permet au client d'avoir une économie significative par rapport à un H145. Dans le domaine EMS (médical), le SH09 fait exactement les mêmes missions avec les mêmes équipements installés à bord qu'un bimoteur. Les coûts d'opération du SH09 font baisser la facture de près de la moitié. Le SH09 a donc ses chances aux Etats-Unis et dans la plupart des pays d'Asie, où les règles de sécurité n'imposent pas l'utilisation d'un bimoteur.

Quand attendez-vous la certification ?
La certification du SH09 est attendue entre la fin de cette année et le milieu de l'année prochaine, ce qui ne dépendra que de nous... Nous sommes vraiment sur la dernière ligne droite. Nous sommes en train de finaliser les derniers éléments de design. Nous commençons actuellement la production des premiers composants représentatifs pour la série.

Pourquoi avoir choisi Leonardo comme partenaire stratégique ?
Nous avons suscité l'intérêt de multiples investisseurs. Nous avons donc pu choisi notre partenaire stratégique entre un investisseur financier pur, un investisseur stratégique au sens géopolitique ou un investisseur industriel complémentaire. Leonardo nous semblait le meilleur choix. Il est important que Kopter soit soutenu par un grand groupe industriel qui nous donne accès à des compétences, infrastructures et réseaux supplémentaires.

Pourquoi alors n'être pas resté avec le milliardaire Alexander Mamut ?
Alexander Mamut a investi directement et indirectement environ 380 millions de dollars. Ce sont déjà de lourds investissements. Et il faut effectivement continuer à investir. Il reste des investissements importants à réaliser dans des moyens tels que : laboratoires d'essais, composants de sous-système, industrialisation et logiciels ou encore dans le support client. Ce sont des millions supplémentaires. Pour sa part, Alexander Mamut ne souhaitait pas nécessairement sortir à ce stade car il avait beaucoup investi pendant dix ans et est attaché à notre activité. Mais il désirait aussi associer un autre investisseur complémentaire. Les discussions ont finalement abouti à une vente de 100% des actions de Kopter car ceci facilitera davantage les synergies et la gouvernance.

D'où le choix de Leonardo ?
Le choix de Leonardo est très pertinent : Kopter est un complément idéal pour leur flotte. L'A119, qui n'a pas une très grande cabine, est un appareil très calibré pour des missions particulières. Il vise essentiellement le transport de personnes ou de VIP, ou bien des missions militaires. Le SH09 est, quant à lui, totalement polyvalent : c'est le couteau suisse volant au sens propre du terme. Les deux appareils ne se concurrencent donc pas directement. Et pour Kopter, le choix de Leonardo est très prometteur. Il permet de s'adosser à un partenaire qui dispose déjà de toutes les installations et infrastructures dans lesquelles nous aurions dû encore investir. Cela permet de bénéficier de synergies considérables. Cette opération va nous faciliter la vie même si certains auraient bien sûr préféré rester indépendants. La barrière d'entrée est énorme pour une entreprise qui part de zéro. Elle exige de très lourds investissements et efforts humains de nos collaborateurs et en même temps, il faut penser à rémunérer convenablement son actionnaire. C'est pour cela que nous avons opté pour Leonardo.

Votre actionnaire ne s'y retrouve pas tout à fait avec le prix de vente (185 millions de dollars) même s'il y a une clause de earn-out ?
Le prix de vente n'est pas 185 millions de dollars en tant que tel. Le prix final est lié à des performances, notamment de ventes, et différents jalons à franchir. En outre, Kopter n'est pas une entreprise endettée.

Leonardo va-t-il laisser Kopter autonome ?
Kopter a développé un système de conception, de développement, de production, de support etc..., qui est parfaitement adapté au segment des hélicoptères légers. Un constructeur déjà établi avec ses coûts de structure inamovibles n'est tout simplement pas capable de mener à bien un projet de ce type avec un résultat économique suffisant. Notre façon de faire est parfaitement adaptée au segment que nous visons et j'ai l'impression que tout le monde a compris qu'il fallait la protéger. Je suis donc confiant que nous pourrons très bien nous insérer dans la « famille » Leonardo en gardant l'autonomie souhaitée.

Sacré défi ?
C'est cela le challenge à réussir. Moi, cela me séduit. Je vois comment on peut pousser les limites et comment il est possible d'optimiser les synergies. J'ai vécu pendant près de 30 ans dans les grands groupes de l'aéronautique et de la défense pour savoir comment ils tournent. Il y a quelques principes simples à appliquer. Nous sommes tombés d'accord sur ces points et comment on va le faire. C'est sûr qu'à la longue il y aura convergence où chaque organisation devra faire des compromis. Mais globalement, les grands groupes aéronautiques doivent redevenir plus agiles. Leonardo attend de nous cette agilité et cette façon d'accélérer les processus. Chez Kopter, on prend une décision technique majeure en deux ou trois semaines. Dans un grand groupe, une décision de la même nature peut prendre six mois. Kopter change de fournisseurs en six mois pour un composant vital, pour un grand groupe cela peut durer deux ans. C'est cela que nous pouvons apporter à un groupe comme Leonardo.

Où allez-vous installer une ou vos chaines d'assemblage ?
C'est certain qu'il y aura plusieurs chaines d'assemblages. Kopter est souple. Nous avons actuellement une activité industrielle en Suisse. Mais il était déjà inscrit dans notre modèle d'entreprise que la production s'appuie sur des fabrications délocalisées proches des clients comme aux Etats-Unis, au Brésil ou en Asie où il y a soit des restrictions à l'importation, soit la nécessité d'assurer la plus grande proximité par rapport au client. Nous avons intégré dès le départ ce modèle industriel dans notre stratégie.

Tout dépendra de vos clients in fine ?
Au fond, nous avons construit une « fusée à deux étages ». Le premier étage se concentre sur tout ce qui est important pour la sécurité, la précision et la fiabilité de nos systèmes. Kopter garde sous son contrôle ce premier étage avec aujourd'hui une seule usine implantée dans le canton de Glaris en Suisse pour investir de façon très ciblée sur ces éléments. Tout le reste pourra être externalisé, ce qui est quelque part l'inverse des autres hélicoptéristes. Kopter fera très peu de fabrication en interne mais enverra des kits complets, intégrant comme dans l'industrie automobile beaucoup de prestations de fournisseurs de premier rang, sur des chaines d'assemblage qui pourront être situées aux Etats-Unis, au Brésil, en Asie ou ailleurs selon les contrats gagnés. C'est le deuxième étage de la fusée : les chaines d'assemblage final et de customisation, en dehors d'une installation industrielle centrale, pourront se multiplier partout où ce se sera justifié et là où le coût de la main d'œuvre sera le plus intéressant. Notre organisation de production est prévue sur ce modèle.

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Commentaires 3
à écrit le 03/02/2020 à 17:38
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Ah... vous explosez en vole vous aussi ? :-) Faites attention à ce que vous dites tous un peu svp, merci.

à écrit le 03/02/2020 à 11:42
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C'est une très belle histoire et espérant que le lancement de la production se passera bien. La production industrielle a toujours sa place en Suisse, p.ex. des avions, des trains, des hélicoptères en plus de la pharma, l'horlogerie et d'autres dom...

le 03/02/2020 à 16:17
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Mr. calamar vous oubliez le naval (bateaux, navire de guerre, sous marin .)!!!

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