Depuis plusieurs mois, la France étudie la vente de Rafale Marine d'occasion pour favoriser la signature d'un nouveau contrat avec l'Inde. Dans ce pays, Dassault Aviation participe actuellement à deux appels d'offres, l'un pour l'armée de l'air (114 appareils), l'autre pour la Marine (jusqu'à 57 appareils en plusieurs tranches). La marine indienne doit notamment armer son premier porte-avions "Made in India", l'INS Vikrant (262 m), qui doit être mis en service en 2023. Dans le cadre de cet appel d'offres, le Rafale Marine a effectué des essais très réussis en janvier à Goa sur une plateforme terrestre. La marine nationale a pu démontrer tout son savoir-faire en matière d'aéronavale (appontage) et a convaincu les Indiens des performances du Rafale Marine. Cet appareil permettrait en outre aux Indiens de disposer d'une flotte homogène entre le Rafale Air et le Rafale Marine.
Selon des sources concordantes, la vente de quatre Rafale Marine d'occasion au standard F3R est de nature à donner un avantage concurrentiel à la France face aux Américains dans le cadre de l'appel d'offres indien en vue d'équiper l'INS Vikrant. Ces quatre appareils récemment modernisés pourraient effectivement être rapidement mis en service sur le porte-avions indien. Le Rafale Marine est bien adapté à la configuration du porte-avions indien en termes de gabarit : il peut notamment utiliser facilement les ascenseurs de l'INS Vikrant. Ce qui ne serait pas tout à fait le cas de son rival américain, le F-18 de Boeing, qui rentre au chausse-pied dans les ascenseurs du porte-avions indien (en travers), explique-t-on à La Tribune. Le F-18 n'a quant à lui pas terminé complètement ses essais pourtant débutés en décembre dernier. Après quelques déboires logistiques, il devrait reprendre les essais en mai. L'Inde pourrait prendre sa décision en fin d'année pour 26 appareils au total, dont deux biplaces Air dédiés à la formation.
Lacunes capacitaires
La vente de Rafale d'occasion pose un certain nombre de problèmes aux armées, qui restent insuffisamment dotés en termes de capacités. C'est notamment le cas avec le Rafale dans l'armée de l'air, qui peine à remplir toutes les missions dans un contexte géopolitique conflictuel. Les tensions internationales ont mis en lumière les lacunes capacitaires d'un pays comme la France, qui aspire pourtant à jouer un rôle d'arbitre mais aussi à participer à des missions de coercition sur la scène internationale. Avant le conflit en Ukraine et avant la volonté de la France de céder de quatre Rafale Marine d'occasion à l'Inde, la marine étudiait déjà un plan de renouvellement de sa flotte Rafale, dont les premiers exemplaires ont été mis en service en 2002 tandis que ceux de l'armée de l'air sont entrés en service en 2006.
"Nous sommes en train avec l'armée de l'air de voir quelles sont les conséquences de l'export du Rafale en Croatie afin de rebâtir un plan à cinq/sept ans pour savoir ce dont la Marine a besoin. Post-LPM, en 25/30, la question se posera mais le format ne changera pas", avait expliqué en juillet 2021 le chef d'état-major de la Marine nationale, l'amiral Pierre Vandier dans une interview accordée à La Tribune.
Depuis la livraison de l'ensemble de sa flotte, la marine n'a pas eu d'avions neufs. Toute la mise à niveau de la flotte s'est effectuée par retrofit. "Je constate qu'il y aura des effets de ciseau qu'on situe vers 2030-2035 : la conjonction des retrofit et la disparition des avions les plus anciens peuvent aboutir à un problème de format, qui est de 42 appareils (actuellement 41)", avait précisé le chef d'état-major de la Marine nationale. D'autant que l'âge moyen de la flotte de l'armée de l'air est en train de diverger avec celle de la marine, qui a en outre perdu quatre Rafale en opération depuis sa mise en service. "Nous allons avoir beaucoup plus de vieux avions par rapport à ceux de l'armée de l'air. Pour rester dans la course des standards, nous devons donc retrofiter plus d'appareils", avait souligné l'amiral Vandier.
La possible vente de Rafale Marine d'occasion à l'Inde (10% du parc de la marine nationale) associé à un contrat de 26 appareils (dont les 4 appareils d'occasion) pourrait finalement lancer le calendrier de renouvellement de la flotte de la marine. Ce qui ne déplairait pas complètement à la marine. A condition qu'une commande France soit passée de façon concomitante à un éventuel contrat avec l'Inde. Clairement, cette vente permettrait la régénération de la flotte de la Marine nationale.
Inquiétudes parlementaires
Enfin, les parlementaires se sont inquiétés des prélèvements de Rafale dans les flottes des armées. Si les députés Patricia Mirallès (LREM) et Jean-Louis Thiériot (LR) se sont félicités dans un rapport portant sur la préparation à la haute intensité, du succès à l'export du Rafale, "ils tiennent à faire part de leurs préoccupations sur les conséquences pour nos forces armées de ces exportations. Ces équipements sont en effet pour partie prélevés sur les capacités de nos forces armées". Ainsi, 24 Rafale (12 pour la Grèce et 12 pour la Croatie) ont été prélevés sur le parc de l'armée de l'air, qui en compte 102. D'ici à la fin 2024, 27 Rafale seront livrés, suivis par 12 autres en 2025 pour compenser la commande grecque. Fin 2025, l'armée de l'air comptera donc 117 Rafale au lieu des 129 prévus par la loi de programmation militaire (LPM). La ministre des Armées Florence Parly s'est engagée à passer une commande de 12 Rafale pour compenser la cession des appareils d'occasion à la Croatie. "Mais quand ?", s'interrogent les deux députés.
"En conséquence, les rapporteurs estiment indispensable de procéder aux commandes permettant à nos forces armées de restituer intégralement les capacités qu'elles auraient dû avoir en l'absence de ces exportations. À plus long terme, une réflexion de fond devra être menée par l'ensemble des acteurs, afin d'éviter que les exportations se traduisent systématiquement par un prélèvement sur les stocks destinés à nos forces armées", estiment les deux rapporteurs.
Enfin, ils estiment que le prélèvement des capacités sur les stocks des forces armées "ne saurait devenir une solution pérenne, sauf à fragiliser nos armées de façon structurelle". "Toutes les pistes doivent donc être étudiées, y compris celles consistant à intégrer dans les commandes publiques à destination de nos armées un quota prévisible destiné à l'exportation, ainsi que le pratiqueraient les Italiens", soulignent-ils. La nouvelle ou le nouveau ministre des Armées (Gérald Darmanin, voire Sébastien Lecornu ou Jean-Michel Blanquer ?) aura ce dossier prioritaire sur son bureau à régler. Aussi bien le dossier Rafale dans les armées que les dossiers export du Rafale, à commencer par celui de l'Inde.
Cela tombe bien, le Premier ministre indien Narendra Modi arrive très prochainement en France. Il sera l'un des tous premiers dirigeants étrangers, sinon le premier, à effectuer une visite d'État en France, après la réélection d'Emmanuel Macron. Une visite qui pourrait permettre de relancer certains dossiers au point mort entre Paris et New Delhi, notamment celui d'une nouvelle vente de sous-marins. D'autant que le Vagsheer, dernier des six sous-marins P75 de classe Scorpène, a été mis à l'eau il y a une semaine le 20 avril. Le Vagsheer a été entièrement construit par le chantier naval indien Mazagon Dock Shipbuilders Limited (MDL) grâce à un transfert de technologies de Naval Group. Mais aujourd'hui MDL, qui a acquis ce savoir-faire et cette expertise, n'a plus de charges industrielles...
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