Cinglant réquisitoire de la Cour des comptes sur la gestion de la flotte de la Sécurité civile

La Sécurité civile doit renouveler ses flottes de Canadair et d'hélicoptères à un horizon de 10 à 15 ans. Soit un investissement de 1,3 milliard d'euros. La Cour des Comptes constate pourtant "l'absence d'une stratégie de renouvellement de la flotte à moyen et long terme".
Michel Cabirol
En matière du maintien en condition opérationnelle (MCO) des appareils de la sécurité civile, le choix de regrouper différents marchés n'a pas produit de gains financiers et est à l'origine de dysfonctionnements, déplore la Cour des Comptes.
En matière du maintien en condition opérationnelle (MCO) des appareils de la sécurité civile, "le choix de regrouper différents marchés n'a pas produit de gains financiers et est à l'origine de dysfonctionnements", déplore la Cour des Comptes. (Crédits : GUGLIELMO MANGIAPANE)

La cour des comptes s'est lâchée. Et pas qu'un peu. Elle n'a pas épargné la gestion de la flotte de la sécurité civile, massacrant dans un référé adressé le 26 juillet 2022 au ministre de l'Intérieur et des Outre-mer la direction générale de la sécurité civile et de gestion des crises. La DGSCGC a mis en place "une gestion trop fragile des moyens aériens". "Il apparaît nécessaire que la DGSCGC conforte son groupement des moyens aériens (GMA) en mettant en place l'organisation solide et stable qui lui a jusqu'à présent fait défaut", pointe la Cour des Comptes.

"Les défaillances au sein de la culture managériale du GMA sont d'ailleurs régulièrement signalées par les organismes de surveillance et d'enquête comme une source de fragilité en matière de sécurité aérienne, constate la Cour des Comptes. La rotation excessive constatée sur les postes d'encadrement, qui résulte du mode de gestion des cadres supérieurs du ministère de l'intérieur, est inadaptée à la gestion de moyens aériens".

L'organisation actuelle du GMA n'est dimensionnée ni sur le plan stratégique, ni sur le plan opérationnel tel qu'il le faudrait. Ainsi, "il n'existe pas de réel état-major en mesure de définir et de mettre en œuvre des orientations stratégiques, regrettent les Sages de la rue Cambon. Parallèlement, la ligne hiérarchique du GMA demeure instable et confuse". Le règlement intérieur de la base de Nîmes-Garons et l'organigramme actuel sont par ailleurs "en contradiction avec les instructions ministérielles qui prévoyaient l'installation d'un chef de la base de la sécurité civile (BSC) ayant autorité sur les groupements hélicoptère et aérien de la sécurité civile (GHSC et GASC) ainsi que sur les services mutualisés". Cet état des lieux très inquiétant doit "inciter la DGSCGC à une profonde remise en cause de son fonctionnement". Et la Cour des Comptes recommande donc de rendre le règlement intérieur de la base de Nîmes-Garons conforme aux instructions ministérielles.

Absence d'une stratégie de renouvellement de la flotte

Une organisation défaillante mais aussi une absence de stratégie de renouvellement de la flotte à moyen et long terme. La Sécurité civile est habillée pour l'hiver. "L'examen de la gestion du parc d'aéronefs, de la gestion des équipages et de la maintenance montre qu'une meilleure anticipation est nécessaire", estime la Cour des Comptes. Basée à Nîmes, la flotte aérienne de la Sécurité civile compte 12 Canadair, 7 Dash - un 8e sera opérationnel en 2023 - et 3 Beechcraft (38 ans de moyenne d'âge). Au cours des dernières années, la flotte de la DGSCGC a été marquée par le retrait anticipé en 2020, suite à de graves incidents, des sept avions bombardiers d'eau Tracker à l'issue de 64 ans de service, ainsi que par l'acquisition en 2018 de six nouveaux avions Dash, dont la livraison doit s'étaler jusqu'en 2023.

Par ailleurs, les flottes d'hélicoptères (17 ans) et de Canadair (25 ans) ont vieilli, leur maintenance est plus coûteuse et plusieurs appareils ont été détruits lors d'accidents aériens. "Le vieillissement de la flotte, et plus particulièrement des 12 avions amphibies Canadair CL-415, constitue un sérieux motif de préoccupation", estimait déjà un rapport du Sénat, publié en novembre 2021. La flotte d'hélicoptères a perdu trois appareils (deux en 2019 et un en 2021) portant le nombre d'hélicoptères EC 145 à 33. La DGSCGC évalue un besoin de 38 appareils pour armer l'ensemble des bases et détachements saisonniers ainsi que pour dédier un à deux appareils à l'instruction et au nécessaire maintien en compétence des équipages.

Dans ce contexte, la DGSCGC est confrontée au besoin de renouvellement de ces deux flottes à un horizon de 10 à 15 ans. Un renouvellement évalué à plus de 1,3 milliard d'euros. La DGSCGC a saisi des opportunités pour renouveler ses flottes. Ainsi, elle a eu recours au plan de relance pour acheter quatre H145 (Airbus Helicopters) et le programme européen RescEU 2, qui a financé 90% l'acquisition de deux Canadair.

"Ces initiatives, louables, ne peuvent faire oublier l'absence d'une stratégie de renouvellement de la flotte à moyen et long terme, qui permettrait d'anticiper l'éventuelle défaillance d'un industriel aéronautique, de mesurer de façon objective l'intérêt de nouveaux types d'aéronefs (hélicoptères lourds, avions bombardiers d'eau plus légers) et d'envisager, face à l'expansion du risque de feux d'espaces naturels, de nouvelles complémentarités avec la flotte d'hélicoptères", explique la Cour des Comptes.

Le renouvellement annoncé de la flotte d'hélicoptères devrait s'inscrire dans cette réflexion, estime-t-elle. La Cour des Comptes recommande de définir une programmation pluriannuelle de renouvellement des flottes aériennes. Pourtant, le Livre blanc de la sécurité plaidait déjà "fortement" en 2020 "en faveur du renouvellement, nécessaire de la flotte de la sécurité civile, en évitant de laisser le taux de disponibilité des appareils en service se dégrader et, surtout, in fine, d'avoir à consentir un investissement plus important pour remplacer simultanément tous les appareils d'âge et d'usure très proches".

"Après avoir renouvelé intégralement nos Beechcraft, nous sommes en train d'en faire autant de nos Dash ; les Canadair ayant en moyenne vingt-quatre ans, le Président de la République a réitéré en Gironde notre engagement de les renouveler également, avait expliqué fin juillet à l'Assemblée nationale le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin. Le problème réside dans le fait que nous n'avons pas aujourd'hui d'usine qui puisse les fabriquer, Canadair étant une compagnie de construction".

Un MCO très défaillant

En matière du maintien en condition opérationnelle (MCO), "le choix de regrouper différents marchés n'a pas produit de gains financiers et est à l'origine de dysfonctionnements", déplore la Cour des Comptes. Pour les avions, pour lesquels le MCO est intégralement externalisé, la rupture anticipée du marché précédent en 2013 afin de regrouper la maintenance de l'ensemble des flottes d'avions aux mains d'un seul prestataire Sabena Technics a conduit "au versement d'un dédit aux titulaires de 6,3 millions d'euros sans que le nouveau marché ne génère d'économies, constate-t-elle. Le nouveau cadre contractuel n'a en outre pas évité à la DGSCGC des tensions fréquentes avec le prestataire au sujet de la qualité de service". Au total, le montant des crédits de paiement affectés en 2022 au MCO des avions s'élève à 56,6 millions d'euros. Pourtant, cet industriel a été reconduit pour cinq ans à compter du 1er octobre.

S'agissant des hélicoptères, la société Icare avec Ineo Défense en tant que co-traitant, qui ont été sélectionnés en janvier 2021 pour le MCO, s'appuie sur un atelier de maintenance étatique, qui a su régulièrement se moderniser. "Pour autant, cet atelier demeure dépendant des fournisseurs de pièces détachées et de prestataires auprès desquels il externalise une part - minoritaire - de son activité", précise la Cour des Comptes. Le renouvellement du marché a été l'occasion de retenir un choix de verticalisation. Enfin, le MCO des moteurs est assuré par Safran Helicopter Engines. procédure de gré à gré.

"Les dysfonctionnements de ce nouveau marché, nettement plus importants que ceux des marchés multiples auxquels il se substitue, sont à l'origine d'une dégradation des prestations qui affecte la disponibilité des hélicoptères, affirme la Cour des Comptes. Ces dysfonctionnements entraînent la fermeture temporaire de bases ou de détachements, en dépit du renfort d'hélicoptères loués par l'industriel ou par la DGSCGC en remplacement de ceux qui se trouvent immobilisés".

Interrogé fin juillet à l'Assemblée nationale sur la flotte de la sécurité civile par le député Pierre Morel-À-L'Huissier, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin avait assuré que sur les douze Canadair de la flotte, dix étaient prêts à décoller, deux en maintenance. Puis l'un des six Dash était en maintenance, les cinq autres disponibles, de même que les trois Beechcraft. "Vous pouvez constater que les rumeurs qui veulent que la moitié de la flotte soit hors d'état de voler sont totalement fausses ! Quant aux hélicoptères, toutes les bases sont ouvertes et les trente-cinq appareils opérationnels, ainsi que les deux hélicoptères bombardiers d'eau que nous louons", avait expliqué le ministre.

Michel Cabirol

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Commentaires 5
à écrit le 07/10/2022 à 20:01
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La cour des comptes, elle compte, elle note les faits, des coûts de formations exorbitants , des coûts de maintenance exorbitants, des appareils incapables de voler la nuit, de récupérer de l'eau si il y a des vagues, trop peu de lacs adaptés, bref ...

à écrit le 05/10/2022 à 19:12
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On critique une stratégie de renouvellement pour subventionner Airbus par commande publique plutôt que mettre en défaut la maintenance...

à écrit le 05/10/2022 à 17:07
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Que ce soit pour tout le nucléaire ou pour les moyens matériels de la Sécurité Civile, on constate une faillite répétée de l’Etat à gérer correctement toutes ces entités. Et pourtant on ne manque pas de structures ad hoc remplies de fonctionnaires et...

à écrit le 05/10/2022 à 10:05
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Heureusement que la cour des comptes existe … un bon contre pouvoir même s il elle n a pas de réel pouvoir de rétorsion … de toute façon cette situation date puisque certains avions ont 38 ans …

le 06/10/2022 à 12:31
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Je crois avoir lu que Canadai* allait refabriquer des avions, ils avaient arrêté (pourquoi ? Si y a pas d'alternative). Mais tout demande du temps (et de l'argent ). Les avions sont périmés à quel âge ? Tant qu'il y a des pièces détachées, on peut to...

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