Centdegrés, des caractères très prisés des Chinois

Elie Papiernik, cofondateur de Centdegrés, une des plus grandes entreprises de design en France... et en Chine.
«herborist», une marque de pharmacopée traditionnelle chinoise revisitée par centdegrés. [DR]

Au départ, Elie Papiernik voulait poursuivre ses études de design au royal College à Londres ou à Pasadena en Californie? par un improbable concours de circonstances, il se retrouve un jour de 1986 dans une école de design à Hong Kong ; ce changement de destination va aussi changer sa vie. S?il n?était pas allé à Hong Kong, il n?aurait pas rencontré David Nitlich, jeune diplômé en sciences politiques ; ils ne seraient pas devenus amis, et ils n?auraient pas décidé de créer ensemble une entreprise de design baptisée Centdegrés, la température de l?ébullition, de la transformation, de la métamorphose, autant de métaphores de la création.
Vingt-quatre ans plus tard, non seulement Centdegrés existe encore, mais elle est devenue l?un des grands du design en France, mais aussi en Chine. Elie Papiernik et David Nitlich ont été rejoints en 2009 par Thibault Ponroy, ancien président de Guerlain international et ex-directeur général de Marion naud international. À eux trois, ils forment une équipe assez singulière, où les person-nalités fortes et affirmées des uns et des autres parviennent à se compléter, ce qui n?est pas toujours le cas dans les métiers de la création.

Il y a 110 ans, à Shanghai, naissait une marque... « La Chine »

Elle fut le point de départ de l?aventure. Elle constitue aujourd?hui une part très importante de l?activité de Centdegrés qui a créé une agence à Shanghai, employant une quinzaine de personnes. Il n?y a pas d?endroit plus intéressant à explorer que la Chine, s?agissant de design et de création. « Nous assistons en direct à la métamorphose de l?économie chinoise, qui migre vers les marques, soit en les rachetant, soit en les créant de toutes pièces, soit en rénovant des marques créées il y a une dizaine d?années par des entreprises privées chinoises », analyse Elie Papiernik. Prenons une marque comme Herborist, par exemple, dont l?origine remonte à 110 ans à Shanghai où fut créée la société Kwang Song & Co, premier fabricant « industriel » des produits issus de la pharmacopée traditionnelle chinoise. Elle a été relancée en 2000 par le groupe Jahwa, un descendant lointain de Kwang Song et, quelques années plus tard, les dirigeants de l?entreprise souhaitent la reconfigurer pour lui donner un côté occidental. « Nous leur avons conseillé de refaire la marque tout court, sans se concentrer sur l?international », raconte Elie Papiernik, qui a insisté pour tout savoir de la pharmacopée traditionnelle chinoise, visiter les vieilles échoppes de pharmaciens encore debout, arpenter les musées présentant des vieux récipients et pots servant aux décoctions et autres préparations. « Les Chinois sont des gens d?images et de signes, et ils ont compris notre façon de nous faire raconter la pharmacie traditionnelle, sans caricatures et sans altérations », précise-t-il encore.
Pour Herborist, les designers chinois et français de Centdegrés ont travaillé autour du bambou, pour concevoir de nouvelles lignes de packaging alliant la modernité des lignes au caractère traditionnel qu?ils souhaitaient continuer de faire endosser à la marque. Le succès est au rendez-vous, en Chine et sur les marchés internationaux. Dans une autre collaboration avec un groupe chinois de cosmétiques, Jala Cosmetics, créé il y a une dizaine d?années, Centdegrés a travaillé sur la transformation de l?une des marques, Chcedo et sa mutation en Chando afin que son développement dans les grandes villes chinoises ne soit pas freiné par sa proximité phonétique avec le Japonais Shiseido? « C?est une évolution intéressante, que l?on constate dans plusieurs entreprises, et qui consiste à créer des marques originales là où, dans un premier temps, on s?était contenté de marques approchant les grandes références occidentales », confirme Elie Papiernik.
Cette fringale de la création de marques peut prendre des aspects assez singuliers, comme dans le cas de la marque de savons pour enfants, Frog Prints, qui connaît un grand succès. Ses créateurs veulent aujourd?hui développer une marque de cosmétiques haut de gamme « américaine ». « Nous avons commencé par définir avec eux ce qui construit une marque américaine, nous sommes allés au siège de l?entreprise, à Xiamen, ses dirigeants sont venus à Paris et, progressivement, nous avons fait des choix assez audacieux, y compris celui de faire fabriquer cette nouvelle ligne aux États-Unis », raconte Elie Papiernik. Le chantier est presque abouti, la marque créée, mais encore marquée du sceau du secret?La migration des entreprises chinoises vers des marques et des produits haut de gamme est en cours. Elle ne s?arrêtera plus, et elle fait même partie des objectifs fixés par les dirigeants chinois dans la mutation qu?ils comptent faire vivre à leur économie. Cette évolution peut ouvrir de nouveaux marchés aux concepteurs et designers français, mais elle peut aussi provoquer une conséquence inattendue. « Les Chinois viennent ici chercher notre capacité, à nous Français, de créer de belles marques dans le domaine du luxe, mais ils savent aujourd?hui que le développement de ces marques dépend de la qualité des produits et de leur processus de fabrication. Il ne peut pas y avoir intégrité de la marque sans une qualité totale des produits », explique Elie Papiernik.

Des partisans de la cocréation

Dans cette logique, Centdegrés présente ses clients chinois à des entreprises françaises, comme le groupe Qualipac, spécialiste du packaging des produits cosmétiques, ou pochet, fabricant de flacons pour parfums. Centdegrés travaille sur la promotion du site de production français, au travers d?une initiative baptisée « Manufacture France », qui consiste à convaincre les entreprises chinoises de faire fabriquer leurs produits en France, dès qu?il s?agit de produits de luxe, destinés au marché chinois. « Designed in China, Made in France » pourrait devenir d?ici peu un nouveau mot d?ordre pour les industriels chinois ? ce qui constituerait un étonnant renversement de paradigme?Ce que défend Centdegrés, c?est une approche assez nouvelle du rôle du designer. Les temps ne sont plus où un « brief » unique, même copieux, suffisait à prendre en compte l?ensemble des problématiques d?une marque face à sa reconfiguration ou à sa création. « Nous sommes des partisans de la cocréation, en interne comme avec nos clients, précise Elie Papiernik. Dans tous nos projets, nous créons en totale symbiose avec nos clients, à côté d?eux, en sollicitant leur apport en permanence. Ce n?est pas une question de politique ou de posture, c?est tout simplement le fait que l?on fait un meilleur travail à plusieurs talents que seuls? »Une recette que les trois associés de Centdegrés ont visiblement mise en ?uvre entre eux, avec un certain succès.

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