Renault va lancer une "mini-Logan" à très bas coûts

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1533  mots
Carlos Ghosn, PDG de Renault et Nissan
Renault va présenter le 5 février au salon de New Delhi un concept de petit véhicule. Le constructeur français va produire dès 2015 un modèle à très bas coûts. Développé et fabriqué en Inde, ce véhicule prévu autour de 5.000 euros pourrait arriver en Europe à terme.

Renault va présenter le 5 février au salon de New Delhi un concept de petit véhicule. Même s'il est très loin d'une éventuelle production en série, ce concept est destiné à marquer les esprits en vue du lancement en production, dès 2015, du véhicule simple à très bas coûts de l'Alliance Renault-Nissan, en cours de développement dans le plus grand secret, selon nos informations.

Carlos Ghosn, PDG de Renault et Nissan, avait confirmé en juillet dernier que l'Alliance allait développer de nouveaux véhicules pour marchés émergents sur une plate-forme spécifique baptisée " CMF-A ", développée depuis 2012 par le " Renault Nissan Technology Business Centre ", le centre d'ingénierie basé à Chennai, l'ancienne Madras, dans le sud de l'Inde. Une grande diversité de carrosseries sera offerte à terme " pour un prix très compétitif ", annonçait Renault le 16 juillet 2013 dans un communiqué.

" Les consommateurs influents ne veulent pas d'une voiture dépouillée (…). Ils veulent une voiture qui soit moderne, robuste et élégante (mais) avec un niveau de prix qui répercute une forte réduction des coûts ", avait indiqué le double patron lors d'une visite au centre technique indien.

5.000 euros, c'est encore moins qu'une Logan

La petite berline à très bas prix (on évoque 5.000 euros, soit au bas mot 2.500 de moins qu'une Logan en France) sera fabriquée dans l'usine indienne de Renault-Nissan, également à Chennai. Cette " mini-Logan " sera destinée à l'Asie, dans un premier temps. Elle devrait être fabriquée ensuite au Brésil. Et, malgré les dénégations officielles de Renault, cette petite voiture (de la taille d'une Renault Twingo, mais totalement différente de la Twingo européenne) finirait par venir en Europe.

Le site de Chennai a été ouvert en 2010. Y sont fabriquées les Renault Pulse, Scala et Duster, ainsi que les Nissan Micra et Sunny, qui ont d'ailleurs servi de base aux Renault Pulse et Scala, ainsi que l'Evalia. L'usine ultra-moderne et très flexible aura représenté un investissement d'environ un milliard de dollars (780 millions d'euros) entre 2008 et 2015. L'usine est dotée de ses propres ateliers d'emboutissage, de carrosserie, de peinture, de plastiques, de garnitures et de châssis et de deux pistes d'essais. Le site peut produire jusqu'à huit variétés de caisses sur quatre plate-formes différentes. La capacité de production annuelle est de 400.000 véhicules par an.

Une longue aventure

Après la Logan à bas coûts, voici donc le véhicule à… très bas coûts ! Fort de son œuvre de pionnier dans ce domaine, Renault exploite à fond le filon. Au départ, à la fin des années 90, pourtant, le pari de Louis Schweitzer, alors PDG de Renault, d'une voiture pas chère était osé et d'ailleurs personne ou presque n'y croyait.

C'est après un voyage en Russie, où Louis Schweitzer remarque que le marché local est dominé par des voitures pas chères, adaptées au pouvoir d'achat local, mais totalement obsolètes comme les Lada dont les origines remontaient à la Fiat 124 des années soixante, que germe l'idée d'une voiture moderne, mais au prix limité à 5.000 dollars... qui deviendront 5.000 euros pour finalement finir 50% plus cher! C'est tout de même moitié moins cher dans ces années qu'une Renault Clio, beaucoup plus petite.

Fort de cette intuition, le groupe français reprend, en juillet 1999, 51 % de Dacia, le constructeur roumain en déshérence avec son usine géante de Pitesti (à 120 kilomètres de Bucarest). Pour moins de 50 millions d'euros. À ce moment-là, le groupe au losange s'engage à investir plus de 200 millions d'euros à travers deux augmentations de capital. Dacia n'est pas un inconnu pour Renault. La firme avait été créée en effet par le dictateur Nicolae Ceaucescu au milieu des années 1960 pour produire des Renault sous licence…

Dacia en piètre état en 1999

En 1999, dix ans après la chute du communisme, l'entreprise automobile balkanique n'est pourtant guère attirante : modèles surannés dérivés de la R12 de 1969 et pas du tout fiables, installations vétustes, fournisseurs médiocres, productivité archi-faible, corruption, vol de pièces... Du coup, les premières années de l'ère Renault sont ultra-déficitaires. Mais, face aux sarcasmes de l'interne ou des concurrents, Louis Schweitzer tient bon, et la Dacia Logan est commercialisée en septembre 2004.

Le succès de cette voiture emblématique, simple, familiale, économique et fiable est... immédiat, obligeant même la firme de Boulogne-Billancourt à la diffuser en Europe occidentale où elle n'était pas prévue initialement. Devant un tel engouement, dès 2005, on avoue chez Renault que le programme est aussi rentable que celui de la Clio !

Partout dans le monde

Aujourd'hui, Renault produit ses modèles de la gamme " Entry " en Roumanie, où le site de Pitesti tourne à plein régime, à Moscou et Togliatti (Russie), Curitiba (Brésil), Chennai (Inde)... Il a même inauguré début 2012 un site géant à Tanger, au Maroc. Après la Logan (berline, break, fourgonnette, pick-up), la Sandero (une Logan restylée à cinq portes) et le 4x4 Duster, meilleure vente aujourd'hui du groupe Renault., sont venus le monospace Lodgy (le seul véhicule de la gamme à ne pas connaître le succès) et la fourgonnette Dokker. La Logan comme la Sandero ont même été renouvelées fin 2012-début 2013.

Les voitures à bas coûts sont les bienvenues. Heureusement qu'elles existent! Les ventes mondiales de Renault ont en effet crû l'an dernier de 3,1% à 2.628. 208 véhicules, grâce... à la bonne performance de son entrée de gamme à prix " discount ". Vendus en Europe ainsi que sur le pourtour méditerranéen sous la marque roumaine Dacia et ailleurs sous le label Renault lui-même, ces modèles ont passé pour la première fois la barre du million de ventes en 2013 (1.084.519, contre  953.575 exemplaires en 2012).

Cette gamme a même vu ses immatriculations bondir de 22,8%  dans les 27 pays de l'Union européenne et ceux de l'Association européenne de libre-échange (Islande, Norvège, Liechtenstein et Suisse). C'était la plus forte progression toutes marques confondues en Europe. En Russie, les Logan, Sandero mais surtout 4x4 Duster permettent à la marque Renault d'être le deuxième acteur sur place, devant les coréens et les japonais, juste derrière le constructeur national Avtovaz (Lada), d'ailleurs contrôlé par le français lui-même. Au Brésil, l'arrivée de ces véhicules a permis à Renault de décoller enfin. Et, en Inde, la progression est fulgurante.

Les clés du succès

Comment s'explique un tel succès? Par les prix évidemment. Une Logan familiale démarre en France à 7.700 euros (prix catalogue), une Sandero à 7.900. Ne cherchez pas, même une petite Fiat Panda de base est plus onéreuse, et une mini-coréenne Hyundai avec un micro-moteur est au moins à 2.000 euros de plus!

Prix bas, prestations très correctes, fiabilité mécanique avérée due à la simplicité, coût d'entretien très faible et disponibilité dans le réseau Renault, telles sont les recettes du miracle. Ah, évidemment, la finition est austère, les plastiques bas de gamme pullulent et l'agrément de conduite reste ténu! Le vieillissement d'un ensemble aussi " léger " n'est pas non plus formidable. Des sièges s'affaissent, la rouille apparaît comme les bruits parasites, vu le peu d'insonorisants. Mais, après tout, bien des marques aux tarifs beaucoup moins avantageux ne font pas mieux!

Comment Renault arrive-t-il à proposer des tarifs aussi bas, tout en gagnant de l'argent ? Les marges sur cette gamme " Entry " sont en effet parmi les meilleures du groupe Renault, selon le constructeur lui-même. Et on évoque même une marge très supérieure à 10% sur le Duster.

La plate-forme spécifique et éprouvée de la Logan a été produite à plus de cinq millions de véhicules à ce jour. De quoi réaliser de sacrées économies d'échelle… Seuls " 25 à 30% " des pièces sont spécifiques au Duster, par exemple, nous expliquait récemment Arnaut Deboeuf, Directeur de cette gamme  " Entry " de Renault. Le reste est partagé avec d'autres véhicules. Ca aussi, ça génère des synergies.

Croissance de 10% cette année ou plus

Des modèles archi-simples, avec bien moins de pièces qu'un concurrent de même taille, légers et comportant peu de variantes. Ici, tout est pensé au plus juste, sans superflu. Et les voitures sont toutes  produites dans des pays à bas coût de main d'œuvre. " Le différentiel de coût horaire  entre la Roumanie et la France est de 1 à 7 ", rappelle Arnaud Deboeuf. Au Maroc, le " différentiel  avec la France est de 1 à 10 ". Carrément. Et le succès devrait se maintenir.

Renault espère une nouvelle croissance de 10% ou plus de son bas de gamme dans le monde cette année. Reste un gros hic : Renault ne va-t-il pas devenir de facto le spécialiste du bas de gamme ? La gamme " Entry " a déjà représenté 41,3% du volume des ventes de l'ex-Régie l'an passé. Ce succès n'est-il pas aussi un piège ? Avec la voiture à très bas coûts, un nouveau volent de l'aventure va en tous cas démarrer.