
Inéluctable ? L'arrivée de groupes automobiles chinois en Europe apparaît comme un chiffon rouge pour les constructeurs européens qui craignent de voir leur compétitivité de nouveau mise à l'épreuve comme dans les années 1980 avec l'offensive des marques japonaises, puis dans les années 2000 avec celle des marques sud-coréennes. En réalité, les marques chinoises sont déjà à la manœuvre sur le vieux continent, et depuis longtemps.
Volvo, première marque européenne devenue chinoise
Tout commence en 2010, en pleine crise des subprimes. L'américain Ford cède le moribond suédois Volvo au groupe chinois Geely. A l'époque, personne ne s'inquiète. Volvo n'est plus à capitaux européens depuis plus de 20 ans et semble totalement inoffensif avec ses 300.000 ventes à peine.
C'était sans compter les ambitions de Geely qui octroya à Volvo une enveloppe de 11 milliards d'euros pour relancer sa gamme, se repositionner dans le premium et consolider son internationalisation. Douze ans plus tard, les ventes du suédois n'ont cessé de grimper pour crever tous ses records historiques avec les 800.000 ventes désormais à portée de main. Geely s'apprête à introduire Volvo en Bourse, mais restera actionnaire de référence.
Daimler, guerre par procuration
Mais le puissant chinois vise plus gros poisson en Europe. En 2018, il entre par effraction dans le capital de Daimler et en devient le premier actionnaire avec 10% des parts. Non sans émouvoir une opinion publique allemande inquiète de voir un monument de son patrimoine industriel en partie possédée par un groupe étranger. Les conséquences de cette prise de participation ont été extrêmement concrètes puisque Daimler s'est vu contraint de revoir ses partenariats en Chine, de délocaliser la production de la Smart dans l'Empire du Milieu.
C'est d'ailleurs pour contrer cette offensive que son partenaire chinois historique, le groupe BAIC, a décidé de prendre à son tour une participation dans le capital de Daimler. Fin 2019, il acquiert ainsi 5% de l'Allemand afin de préserver la joint-venture qui commercialise les Mercedes en Chine. Ainsi, Daimler est devenu le cœur d'une bataille par procuration des rivalités industrielles et politiques intérieures chinoises puisque BAIC est un groupe public directement aux ordres de Pékin, tandis que Geely est aux mains de Li Shufu, milliardaire qui par nature agace dans les plus hautes sphères du pouvoir.
Un autre groupe chinois a tenté l'aventure européenne via le même mécanisme de prise de participation. En 2014, DongFeng Motors fait partie du tour de table qui doit permettre de refinancer PSA et acquiert 14% de son capital, soit autant que la famille historique. Mais avec la fusion du groupe français avec le groupe italo-américain Fiat Chrysler, devenu Stellantis, le chinois préfère retirer ses billes.
Renaissance de marques
Mais le levier des marques disparues reste le principal cheval de Troie des marques chinoises. En 2015, Foton Motors expose la marque allemande disparue Borgward au salon de Francfort et annonce viser les 800.000 ventes en Europe. Les ventes n'ont jamais décollé. Ce qui rappelle le sauvetage raté d'un autre suédois, Saab, censé devenir une marque 100% électrique depuis son rachat par NEVS, mais là encore, le montage financier s'est avéré un naufrage. Même échec avec le britannique Rover, racheté en 2005 par Nanjing Auto... En vain. Ce dernier ne parviendra jamais à capitaliser sur cette marque pour la relancer. Il finira par se faire lui-même avaler en 2007 par le premier conglomérat automobile chinois, SAIC.
Dans le panier, ce dernier trouvera néanmoins la marque MG, autrefois adossée à Rover. Et cette fois, le succès est au rendez-vous. Relancé depuis deux ans seulement en Europe et fraîchement débarqué en France, la marque explose avec ses SUV 100% électriques fabriqués en Chine. Au premier trimestre, elle s'est même octroyée 1% du marché automobile européen. Et la marque croule sous les demandes de distributeurs qui rêvent de remporter un contrat de concession. MG a déjà planifié deux cents ouvertures de points de vente en Europe cette année, triplant ainsi son maillage territorial. Sa gamme va également s'enrichir d'un troisième SUV et va même s'offrir le premier break électrique du monde.
La voiture électrique, fer de lance de l'offensive chinoise
Pour l'industrie automobile chinoise, la véritable opportunité est donc dans la voiture électrique où elle estime ne pas souffrir de retard en R&D face à l'expertise moteur des Européens. En outre, elle dispose d'un écosystème conséquent en batteries électriques, un autre avantage comparatif qui leur permet de proposer des modèles particulièrement compétitifs, surtout si on y ajoute les coûts de production particulièrement bas.
C'est ainsi que Aiways s'est fait remarquer avec son U5 débarqué fin 2020 en Europe. Ce lancement est d'autant plus spectaculaire que l'entreprise ne fait pas partie des grands empires industriels chinois. Il s'agit d'une start-up lancée en 2017 et déjà capable de commercialiser et internationaliser des premiers modèles. Seres (groupe DongFeng) fait également parler de lui avec un premier véhicule électrique qui sera commercialisé en France dès cet été. La marque annonce cinq modèles avant fin 2022 et 80 points de vente avant la fin de cette année. La marque annonce d'ores et déjà des prix ultra agressifs.
Pas encore de percée
Marques européennes ressuscitées, prises de participation, avantage compétitif sur l'électrique... Les marques automobiles chinoises ne manquent ni de leviers, ni de volonté, poussées, entre autres, par Pékin à s'internationaliser ou à défaut à se consolider. Pour l'heure, néanmoins, le bilan reste mitigé. Aucun groupe chinois ne semble encore peser sur le marché européen, ni même en-dehors de leurs propres frontières. Mais ils ont prouvé leur capacité à surprendre, et à déployer leurs opérations extrêmement rapidement. Un avertissement pour les groupes européens, dont certains pataugent encore et toujours sur le marché chinois, le premier du monde...
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