
L'eldorado chinois est-il de retour ? Le premier marché automobile mondial a affiché en avril son douzième mois consécutif de hausse, d'après l'Association chinoise des fabricants d'automobiles (CAAM), soit une dynamique qui s'inscrit dans la durée alors que les autres marchés sont encore en convalescence de la crise sanitaire ou ont encore un pied embourbé dedans comme l'Europe.
Cette reprise est d'autant plus surprenante que le marché chinois avait entamé en 2017 un cycle baissier. En trois ans, le premier marché automobile du monde s'est contracté de 12%, soit près de 4 millions de voitures par an tout de même. La crise sanitaire a-t-elle circonscrit ce plongeon et ouvert un nouveau cycle haussier ?
Une performance en trompe-l'œil en Chine ?
Pour Xavier Mosquet, spécialiste de l'industrie automobile mondiale, et associé au Boston Consulting Group (BCG), il est impératif de relativiser la performance chinoise du premier trimestre qui a enregistré un bond de 76% des immatriculations.
"En première lecture, la Chine enregistre effectivement la plus forte croissance au premier trimestre. Mais elle profite surtout d'un effet de comparaison favorable. Si on compare sa performance à l'année normale 2019, elle est encore en dessous. De ce point de vue là, les marchés les plus performants sur ce trimestre sont les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon", observe-t-il. Autrement dit, la Chine est encore dans une phase de rattrapage...
De son côté, José Baghdad, associé responsable du secteur automobile chez PwC, est plus optimiste. "La Chine est en baisse depuis 2017, mais la crise du Covid crée un effet de rattrapage qui se téléscope avec des incitations à renouveler le parc automobile. Les demandes de plaques d'immatriculations ont atteint un niveau jamais atteint. On peut penser que la Chine repart sur un cycle haussier". Selon lui, "le marché chinois sera en 2021 au moins au même niveau que celui de 2019 sans toutefois exclure qu'il aille au-delà".
Vers 60% de la croissance mondiale en Chine
Et il vaudrait mieux car le reste du monde n'est pas en mesure de reprendre le flambeau de la croissance du secteur automobile. Pour Xavier Mosquet, ni l'Europe ni les Etats-Unis n'iront beaucoup plus loin que leur effet de rattrapage, et le second a presque déjà achevé ce processus "alors que la Chine et même l'Inde ont encore un beau potentiel de hausse à long terme".
"En revanche, la Chine ne renouera pas avec le rythme de 7 à 8% de croissance par an, ce sera plutôt du 3% annuel, ce qui représentera néanmoins d'importants volumes supplémentaires", prévoit-il. Il maintient d'ailleurs sa prévision d'avant-crise selon laquelle "60% de la croissance mondiale des cinq années qui suivront le retour à la normale proviendra du marché chinois".
De son côté, José Baghdad note que les marchés occidentaux continueront à être davantage impactés par la crise des semi-conducteurs. "Les voitures chinoises ont moins de contenus électroniques, elles bénéficient également d'un approvisionnement mieux sécurisé avec une proximité plus forte avec les fournisseurs de semi-conducteurs", souligne-t-il. D'ailleurs, d'après les prévisions de PwC, le marché européen ne retrouvera pas sa situation d'avant crise avant 2023.
"L'Europe vit encore sous le régime de nombreuses mesures sanitaires restrictives ce qui retarde d'autant le redémarrage du marché. Le premier trimestre n'a pas été bon, ce qui fait de ce marché celui qui a encore le plus de potentiel de croissance à court terme", remarque Xavier Mosquet.
Mais sur le long terme, c'est donc encore en Chine que l'avenir de l'industrie devrait se jouer. Avec un taux d'équipement de 141 voitures pour 1000 habitants, les Chinois sont loin d'avoir atteint les standards occidentaux (600 voitures en Europe et 800 aux Etats-Unis, d'après des données compilées par Renault). Pour Xavier Mosquet, le marché chinois dissimule un autre intérêt qui ne se compte pas en volumes de ventes: "le marché chinois recèle également un important potentiel en valeur avec une hausse du prix moyen d'achat". Sur le mois d'avril, les ventes de voitures de luxe ont augmenté de 30% contre 12% pour le marché national, d'après le CAAM.
Stellantis et Renault, grands perdants
Oui mais cette donne pourrait fortement pénaliser les constructeurs qui ne pèsent rien sur ce marché. Stellantis (fusion des groupes Fiat et Peugeot) mais aussi Renault pourraient être les grands perdants de cette dynamique. En outre, l'industrie automobile chinoise continue à fortement investir dans la voiture électrique.
"La Chine pourrait continuer à creuser l'écart par rapport aux constructeurs traditionnels en matière d'électro-mobilité et prendre le leadership. Ils vont continuer à augmenter leurs capacités et à devenir beaucoup plus compétitifs", prévient José Baghdad.
Mais pour l'heure, il n'est toujours pas acquis que la Chine reprendra un cycle haussier. La hausse des taux d'intérêt qui a largement participé à gripper la croissance automobile chinoise, n'est toujours pas enrayée.
"Nous attendons également plusieurs réponses sur le marché chinois comme le dénouement de la guerre commerciale avec les Etats-Unis qui a contribué à faire baisser les ventes depuis 2017. Mais aussi une suite à la politique de soutien aux voitures électriques par le gouvernement chinois", souligne Xavier Mosquet.
Une chose est certaine, c'est que le marché automobile chinois restera un mystère dans ses rouages et dans sa modélisation prévisionnelle.
Sujets les + commentés