Automobile : fragilisés par les crises successives, les constructeurs obligés de repenser leur modèle industriel

Après la crise sanitaire, la pénurie des semi-conducteurs, la guerre en Ukraine..., les constructeurs automobiles cherchent à gagner en résilience en révisant leur culture industrielle fondée sur le zéro stock et la mondialisation à outrance. L'aléa géopolitique devient également un nouveau critère de risques qu'ils souhaitent anticiper. C'est un nouveau Big Bang pour une industrie déjà fortement secouée...
Nabil Bourassi
(Crédits : KAMIL KRZACZYNSKI)

L'année a mal commencé pour l'industrie automobile... Alors que les nouvelles sur le front des semi-conducteurs ont encore une fois douché l'espoir d'une résorption rapide, la guerre en Ukraine a jeté un immense froid dans les prévisions déjà alarmistes des constructeurs automobiles : rupture des chaînes d'approvisionnement, tensions sur des matières premières critiques produites en Ukraine ou en Russie, perte du marché russe... Les constructeurs automobiles n'avaient pas besoin de ça. Alors qu'ils n'ont toujours pas retrouvé les volumes d'avant-crise sanitaire en raison de la pénurie de puces électroniques, le calendrier des réglementations environnementales leur impose d'investir des sommes colossales dans la transition énergétique. Sans parler des investissements dans la connectivité, le software ou encore la voiture autonome... Plus qu'une crise sanitaire, plus qu'un conflit, l'industrie automobile mondiale est soumise à un bouleversement de son modèle industriel.

Un exercice 2022 moins bon que prévu

Les constructeurs automobiles ne s'attendaient pas à ce que 2022 soit un grand millésime en Europe: entre zéro et 5% de croissance par rapport à une année 2021 en baisse de 22% par rapport au niveau d'avant crise. Les événements récents vont probablement tirer les volumes vers le bas: -3% d'après les nouvelles projections de PwC.

Au premier trimestre, les immatriculations ont baissé de 12% en Europe. En mars, soit le premier mois entier après le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février, la baisse était beaucoup plus nette: -20%. En avril, (en attendant les chiffres Europe), le marché français a accusé une nouvelle accélération de sa contraction: -23%. Pour les constructeurs, cette baisse est surtout liée à une indisponibilité de semi-conducteurs désormais amplifiée par des ruptures sur d'autres pièces. La principale usine du groupe Volkswagen à Wolfsburg avait ainsi suspendu sa production quelques semaines faute de câble en provenance d'un fournisseur ukrainien. Mais les analystes s'inquiètent également d'un réflexe de prudence à l'achat de la part des ménages, assez classique en temps de guerre.

"Nous avons constaté une baisse des indicateurs de confiance au premier trimestre. D'ailleurs, nous observons d'ores et déjà que la demande en Europe du premier trimestre ne correspond pas à nos prévisions de la fin 2021", explique José Baghdad, associé responsable du secteur automobile chez PwC France.

Des coûts qui s'envolent...

L'autre grande inquiétude des constructeurs est liée aux tensions sur la structure de coûts déjà sous forte tension. Alors que Carlos Tavares, PDG de Stellantis, a calculé que le passage à la voiture électrique risquait d'augmenter le prix d'achat de 50%... La forte hausse des matières premières, ou l'inflation qui ressurgit, pourrait encore tirer les prix vers le haut. Les anticipations inflationnistes devraient d'ailleurs avoir raison des taux d'intérêt ultra bas et qui ont depuis dix ans favorisé l'achat de voitures neuves bien équipées.

Face à ces enjeux, les constructeurs automobiles réfléchissent à changer plusieurs paradigmes de leur modèle industriel. "Les constructeurs ont largement souffert ces dernières années d'aléas géopolitiques, climatiques ou épidémiques. Ils veulent désormais prévenir ces risques", confirme José Baghdad. "Les constructeurs vont être contraints de revoir leur modèle industriel en cherchant davantage de résilience", souligne-t-il.

En tout premier lieu, le principe du zéro stock pourrait être immédiatement remis en cause. Les suspensions de production s'expliquent par la gestion au jour le jour des stocks. Au mieux, une usine dispose d'une semaine de pièces... Sauf que restocker risque de coûter extrêmement cher aux constructeurs automobiles: de la surface, de la logistique, de l'énergie... En second lieu, c'est toute la chaîne logistique qui risque d'être passée en revue afin de mieux la sécuriser. Cette semaine, Tesla a passé un accord avec le géant mondial des mines, le brésilien Vale, afin de sécuriser ses approvisionnements de nickel, notamment ses mines au Canada.

C'est le troisième pilier, celui d'une régionalisation des chaînes logistiques afin de réduire les délais de transports, privilégier les circuits courts et baisser les risques. La crise du transport maritime a laissé des traces.

Après l'Ukraine, Taïwan... Le coût colossal du risque géopolitique

Mais cette logique doit également résoudre le quatrième sujet qui taraude les constructeurs automobiles: l'anticipation des aléas géopolitiques. La guerre en Ukraine a renvoyé comme un boomerang la confrontation de plusieurs blocs géopolitiques antagonistes. Si la Russie est un petit marché avec ses 2 millions de voitures annuelles (sauf pour Renault pour qui c'était le second marché au monde), nul n'ose imaginer le même scénario sur des sanctions appliquées à la Chine. Et pourtant, le premier marché automobile mondial (28 millions de voitures par an) n'est pas sans intentions belliqueuses vis-à-vis de ses voisins. Que se passerait-il si Pékin décidait d'envahir Taïwan ? "On se dirige vers une plus forte intégration régionale de la production voire de relocalisation", conclut José Baghdad.

"Il faudra que les Européens se protègent davantage contre le dumping ESG que sont en train d'organiser les industriels asiatiques. S'ils ne le font pas, cela risque d'être très compliqué pour les constructeurs européens", prévient-il également.

Car, alors que les constructeurs européens sont soumis à une forte hausse de leur structure de coûts, les constructeurs chinois multiplient les modèles ultra-compétitifs à destination du marché européen.

Dans leur malheur, les constructeurs automobiles européens sont parvenus à sauver leur compte financier avec une année 2021 lucrative, des marges opérationnelles record malgré des revenus en baisse. Au premier trimestre, les premiers chiffres publiés indiquent qu'ils ont réussi à augmenter leur chiffre d'affaires malgré une baisse des volumes de vente. Tout va bien donc, tant que les consommateurs sont prêts à payer plus cher...

Nabil Bourassi

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Commentaires 6
à écrit le 13/05/2022 à 14:45
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les chromes et les changements mineurs présentés comme révolutionnaires sont les armes de séduction de cette industrie . . .

à écrit le 13/05/2022 à 11:04
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Pas grave, ces entreprises sont financés par le contribuable dès qu'elles ont des trous dans leur bilan

à écrit le 13/05/2022 à 10:46
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Certes le constructeur peut réaliser de bonnes affaires sur le coup Mais les bons coups ne durent jamais Les clients s en rappellent

à écrit le 13/05/2022 à 9:18
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Je trouve mais je n'y connais rien que nos voitures embarquent souvent trop de bidules inutiles, il serait souhaitable aussi de faire un offre de bagnoles basiques. Quant à la complexité des systèmes rendez-vous au contrôle technique dans 10 ans, cri...

le 13/05/2022 à 17:59
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Parfaitement d'accord. A quoi bon s'encombrer de gadgets électroniques en tous genres, coûteux, peu fiables, d'origine étrangère, pour rouler à 80 ou à 130 sur autoroutes, ce qu'on faisait très bien il y a 30 ans avec des voitures qui en étaient dépo...

à écrit le 13/05/2022 à 8:28
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les constructeurs vendent moins mais plus cher (cf les resultats de PSA) car p,us de rabais et les seuls modeles produits sont les modeles ou la marge est la plus grose. Apres certains constructeurs s en tirent mieux que d autres. C est sur que renau...

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