LA TRIBUNE - L'industrie automobile doit faire face à une série de goulets d'étranglement sur les marchés: hausse des matières premières, rupture d'approvisionnement de composants électroniques, hausse du prix du transport de fret... Aviez-vous anticipé une telle situation ?
JOSÉ BAGHDAD - C'est un phénomène assez cyclique dans l'industrie. Les industriels planifient leurs besoins sur trois ans afin de donner de la visibilité à leurs fournisseurs qui, à leur tour, planifient leur production sur cette période. Ce qui se passe, c'est que les besoins anticipés par les constructeurs sont en-dessous de la réalité effective. Sur les composants électroniques, la situation est particulièrement critique puisque c'est une rupture d'approvisionnement qui impacte l'industrie automobile. Les fabricants ont annoncé de lourds investissements pour augmenter leurs capacités, mais cela va prendre du temps.
Ce n'est donc pas seulement un goulet d'étranglement lié à une reprise brutale du marché ?
Sur les semi-conducteurs, il y a une tendance de fond sur l'ampleur de plus en plus importante de l'électronique dans l'automobile. Ce phénomène va s'accélérer avec le boom des voitures électriques et connectées. Le problème, c'est que les constructeurs sont dépendants de quelques fabricants.
Sur les matières premières, il y a aussi des tensions et, pour autant, la transformation n'impacte pas le niveau d'acier d'une voiture...
Sur l'acier, on est dans un cas typique de cycle avec une reprise très forte. On aura probablement une normalisation d'ici deux à trois ans. Mais, en attendant, il y a effectivement des tensions sur les cours qui sont sans doute aussi nourries par des spéculations.
N'est-ce pas une deuxième crise qui s'ajoute à la crise que sont en train de vivre les constructeurs automobiles ?
Il y aura des conséquences très importantes pour les constructeurs. Les tensions sur les cours et sur la chaîne d'approvisionnement vont bouleverser la structure de coûts des constructeurs. Il y a des groupes qui ne pourront pas répercuter cette hausse de coûts sur leurs prix. Il faut s'attendre à des impacts conséquents sur leur rentabilité financière. Le gros de la crise est devant nous.
Cette crise aurait-elle une dimension plus profonde qu'un réajustement de marché?
Cette crise semble partie pour durer. Prenons l'exemple stupéfiant des voitures électriques en Allemagne. Un commande prise aujourd'hui n'est pas certaine d'être livrée en 2021. Cette situation va représenter un frein énorme au développement des voitures électriques alors que les constructeurs y ont beaucoup investi et fondaient beaucoup d'espoir dans leur projet de transformation industrielle avec l'arrivée de nombreux nouveaux modèles. Les prochaines années devraient être critiques pour franchir de nouveaux paliers et grimper sur un plateau dans la voiture électrique. Mais le manque à gagner de cette crise pourrait empêcher les constructeurs d'investir dans ce rééquilibrage, notamment des capacités industrielles. Le risque serait même de descendre quelques marches par rapport à ce plateau.
Propos recueillis par Nabil Bourassi
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