« Le secteur automobile français doit faire face à de nombreux défis » Frédéric Rozier (Mirabaud)

Pour Frédéric Rozier, gestionnaire de portefeuille chez Mirabaud, le secteur automobile français a réalisé un bon exercice 2019 et a su refonder ses fondamentaux sur des piliers plus robustes. Mais la conjoncture comme la transformation structurelle du secteur resteront des défis pour 2020 et plus... Seul Renault est encore dans une position critique... Interview.
Frédéric Rozier.
Frédéric Rozier. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Le secteur automobile français, constructeurs et équipementiers, a publié ses résultats financiers annuels. Seul Renault ne semble pas avoir convaincu les marchés au point d'avoir été relégué au statut de valeur spéculative par Moody's. Est-ce sévère ?

FRÉDÉRIC ROZIER - Le cas Renault est tout à fait symptomatique des inquiétudes qui cristallisent les problématiques du secteur: le WLTP, le CO2, la voiture autonome... L'automobile est un secteur soumis à une disruption massive, et la position de Renault face à ces problématiques interroge. Factuellement, sur l'exercice 2019, 70% de la contre-performance de Renault est due à celle de Nissan qui contribuait jusqu'ici à environ 1,5 milliard d'euros de résultat. L'autre partie de l'explication, c'est une gamme inadéquate et des marges très faibles. Puis il y a les objectifs CO2. On a le sentiment que le chemin à parcourir sera beaucoup plus long pour Renault que pour PSA... Pour autant, plusieurs aspects ont été largement exagérés. Je pense à la situation de la trésorerie. Celle-ci est encore largement positive, sans parler des actifs de Renault comme sa participation au capital de Nissan mais également dans celui de Daimler ou de RCI Bank. Ce n'est pas ce qu'on peut appeler un groupe en situation financière critique. Mais il faudra effectivement que le groupe réponde aux questions liées à cette période très gourmande en capex. La réponse la plus simple mais également la plus complexe sera la relance de l'Alliance avec Nissan qui reste à mes yeux primordiale.

Est-ce que Renault pâtit aussi d'un effet de comparaison avec PSA qui a affiché une marge opérationnelle en hausse, quasiment deux fois supérieure ?

PSA a accompli un travail qualitatif évident et qui se traduit dans ses marges de vente. En outre, la trajectoire CO2 du groupe est plus proche des objectifs et suscite bien moins d'inquiétudes sur les amendes potentielles. Mais Peugeot a d'autres défis à venir comme la fusion avec Fiat Chrysler Automobiles. Il y a un enjeu important sur l'intégration des deux entités. C'est même critique. Il faudra trouver une cohérence de gamme et probablement repositionner des marques comme Fiat qui pourrait par exemple être appelé à devenir l'entrée de gamme du groupe. Il y aura également un sujet de rationalisation des coûts mais qui va probablement concerner l'Italie. Toutes ces questions pèsent d'ores et déjà sur le cours de bourse. Rappelons que depuis l'annonce de la fusion, le cours, qui avait culminé autour de 25 à 27 euros pour PSA, a déjà beaucoup baissé pour ne valoir que 17 euros. A cela, il faut ajouter les termes du deal qui semblent donner une prime à FCA d'environ 20%. PSA a payé cette prime sur son cours de Bourse.

Structurellement, PSA est un groupe solide, les derniers résultats financiers l'ont prouvé...

Oui, mais il y a des lacunes persistantes. Le groupe a par exemple complètement raté son implantation en Chine. Le positionnement stratégique du groupe pose de réelles questions. En outre, la stratégie de montée en gamme a permis au groupe de compenser les pertes en volume par des prix de vente plus élevés. C'est très important parce que cela renforce la résilience du groupe face à un scénario de contraction du marché. Mais même ces efforts vont finir par plafonner sur la nécessité de dégager des volumes.

Côté équipementiers, les Français semblent avoir survolé le marché...

C'est vrai. Les équipementiers français ont efficacement rationalisé leur outil de production qui les positionne bien face à la perspective de baisse du marché. Ils ont dégagé d'importants free cash flow, au-dessus des attentes, et leurs marges se sont stabilisées. En outre, les équipementiers français sont particulièrement bien positionnés sur la voiture électrique. Le bémol est peut-être à trouver du côté du marché chinois où ils sont très exposés. Alors qu'on attendait une reprise de ce marché cette année, la crise du coronavirus brouille les perspectives. Les marchés seront vigilants. Mais globalement, les équipementiers ont retrouvé des fondamentaux solides et sains.

Valeo, ancienne star de la Bourse de Paris, avait pas mal dégringolé ces deux dernières années.... Est-ce que l'entreprise a enrayé cette défiance des marchés ?

Valeo a commis d'importantes erreurs de communication financière. Il y avait une forme d'arrogance dans les certitudes du management sur l'évolution du marché notamment en Asie. On a le sentiment aujourd'hui qu'il y a eu un travail d'accompli de ce point de vue là. Au-delà de cet aspect, il y a eu de nettes améliorations sur l'efficience opérationnelle ce qui a nettement amélioré les fondamentaux. Enfin, la bascule sur l'électrique est beaucoup plus fort que prévu, ce qui va profiter à Valeo.

La transformation du modèle de Faurecia commence à produire des effets vertueux dans son approche client et ses produits. Est-ce déjà perceptible par les marchés ?

Ce qui est remarquable chez Faurecia, c'est que cette entreprise est parvenue à s'assurer de son indépendance face à son actionnaire historique, PSA. C'est ce qui lui a permis de diversifier son modèle et ainsi d'améliorer son positionnement sur les nouvelles technologies d'avenir. Faurecia a surmonté une des principales critiques contre les équipementiers en devenant une entreprise technologique.

L'entreprise technologique, c'est vertueux sur le papier, mais coûteux...

Oui, mais c'est fondamental. Regardons Michelin qui est parvenu à surprendre le marché grâce à son "pricing power" qui n'est évidemment pas sans rapport avec sa capacité d'innovation. On peut également compter Plastic Omnium qui a su adopter ce modèle. Le revers de la médaille effectivement, c'est que les équipementiers sont désormais contraints à de lourds investissements liés aux réglementations CO2, à la voiture autonome et connectée, dans un contexte de marché qui se tasse voire se contracte par endroit. Sans parler des constructeurs automobiles qui vont se concentrer davantage, et ainsi peser sur les prix d'achats. Les marchés seront très attentifs aux conséquences de cet effet ciseaux.

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